Tous les intervenants insistent sur l’urgence de réformer la Moudawana

Conférence sur la Moudawana

Mahmoud Nafaa ( journaliste stagiaire)

La conférence organisée au Complexe Culturel Abdellah Guennoun à Ain Chock, a été axée sur la question de la réforme de la Moudawana. Les différents intervenants composant le panel ont souligné la nécessité urgente d’opérer des changements considérables sur le code de la famille qu’ils ont jugé obsolète et en déphasage avec l’évolution rapide de la société. Plusieurs sujets ont été abordés, tels que l’héritage, le mariage des mineurs, le mariage entre musulmans et non-musulmans et enfin le rôle prépondérant du Fiqh islamique. L’équipe Al Bayane a assisté à la conférence pour vous rapporter dans cet article les points forts abordés.

Le Complexe Culturel Abdellah Guennoun, sis à Ain Chock, a accueilli, hier le 11 février 2022, une conférence sur le thème de « la Moudawana, entre le parcours de la réforme et le défi de la modernité », organisée par le Forum de la Parité et de l’Egalité affilié au Parti du Progrès et du Socialisme et la section provinciale du parti à Ain Chock.  Le panel de la conférence a été composé de la camarade Loubna Sghiri, avocate, députée et membre du bureau politique du PPS,  et de quatre intervenants, dont Rachida Tahiri, experte en l’approche genre et membre du conseil de la présidence du PPS, Nouzha Skalli, présidente de l’Association Awal Libertés et ex-ministre du Développement social, de la famille et de la solidarité, Mustapha Sghiri, docteur en droit public et professeur de science politique à la Faculté des Sciences Juridiques d’Ain Sebaâ, et enfin Mohamed Abdelouahab Rafiki, penseur et chercheur en études islamiques, activiste et écrivain.

Nouzha Skalli fut la première des intervenants à prendre la parole, elle a précisé que le combat qu’elle mène n’est pas du tout pour encourager la guerre entre les deux sexes, mais pour lutter contre la pauvreté, l’ignorance, l’injustice. Elle a reconnu également le rôle des autres organisations progressistes dans la lutte pour les droits des femmes, et comment elles ont contribué aux avancées connues jusqu’à maintenant. Skalli en évoquant la question du mariage des mineurs, a affirmé que chaque jour au Maroc, au moins une fille de 14 ans est mariée à un homme adulte.ar ailleurs, elle a reconnu la volonté du Roi et son rôle décisif dans les avancées connues au Maroc en matière d’égalité homme-femme jusqu’à aujourd’hui. Elle a mis en garde contre les interprétations du discours du Roi qui veulent dire que c’est une indication que ce dernier ne souhaiterait pas encourager l’égalité homme-femme, quand le monarque a affirmé qu’il ne s’agit pas de rendre Halal ce qui est Haram.

Elle a d’autre part évoqué l’exemple de l’héritage, et les cas où il est organisé au détriment des femmes, et a rappelé que le coût de la discrimination contre les femmes dans le marché du travail occasionne une perte de 39% du PIB marocain.

Elle a également parlé de la question de la violence à l’égard des femmes, et du viol, et comment seulement 3% des femmes violées arrivent à déposer une plainte. Elle a également critiqué les lois sur l’adultère, et le fait que les sanctions se font au détriment de la femme. Elle a rappelé qu’on interdit aux femmes les relations sexuelles hors mariage, alors qu’on encourage les hommes à les pratiquer, et comment cette discrimination amène à la frustration sexuelle et des femmes et des hommes, pouvant amener à des conséquences graves.

Rachida Tahiri, l’experte en l’approche genre et membre du conseil de la présidence du PPS, a pris ensuite la parole et a évoqué la question des enfants nés hors mariage, et comment ces derniers subissent de la discrimination alors qu’ils sont innocents. Elle a souligné que le changement de la Moudawana est obligatoire et urgent à l’heure actuelle, et a rappelé que la société a connu ces deux dernières décennies des changements profonds, sur tous les plans, technologique, familial, social, etc., tout en appuyant son affirmation par le fait que les deux tiers des familles actuellement au Maroc sont nucléaires. Elle déplore le fait que la loi ne suit pas l’évolution de la société. Elle a rappelé que le Maroc a ratifié des conventions internationales, et qu’il doit les concrétiser dans la réalité et ne pas rester dans la contradiction. Elle a ensuite expliqué certaines discriminations relatives au mariage, comme le mariage interdit entre musulmanes et non-musulmans, et l’interdiction de tout héritage entre musulmans et non-musulmans.

Mohamed Abdelouahab Rafiki, a pour sa part, lors de son intervention, indiqué que la Moudawana n’est pas toute entière basée sur le Fiqh islamique, tout en rappelant que ce dernier n’est pas sacré, et qu’il est purement humain. Il a rappelé qu’il y a eu toujours dans l’histoire de l’Islam des changements au niveau de la Charia, et a donné l’exemple d’Omar Ibn Khattab, qui a changé plusieurs lois de la Charia, comme l’abandon de la distribution du butin aux militaires, et la constitution de « Bayt Al-Mal » (la caisse de redistribution islamique), et de salaires pour les militaires. Par conséquent, selon Rafiki, le calife Omar a institué une nouvelle politique de la redistribution différente de ce qui a été révélé dans le texte coranique, pour la simple raison que ce dernier a adressé un contexte particulier. Selon lui, la raison derrière cette obstination de ceux qui refusent le changement de la Moudawana est leur volonté de garder leurs intérêts, qui se résument à l’accès à la sexualité et à l’argent.

Finalement, vient le tour de Mustapha Sghiri, qui a, lors de son intervention, critiqué l’attitude du « Takfir » (rendre l’autre mécréant sans son accord, et l’excommunier de la communauté) qui est utilisée comme arme contre ceux qui veulent défendre l’égalité et la justice. Il a rappelé que le PPS fut parmi les premiers partis à militer pour la criminalisation du mariage des mineures. Il a évoqué par ailleurs la question de la confirmation de la parenté via des tests ADN, et a confirmé qu’il militera et réussira dans le futur à imposer.

A une question de Al Bayane, sur la problématique d’adaptation des valeurs de l’islam avec les valeurs de l’égalité homme-femme, et sur la possibilité de réaliser au Maroc des avancées en matière d’égalité et de justice sociale comparables à celles des pays démocratiques et laïques, l’islamologue Rafiki, a répondu : « je ne vois pas pourquoi on ne peut pas réaliser l’égalité même dans le cadre de la spécificité de notre société et de notre culture, il n’y a aucune contradiction quant à l’atteinte de l’égalité même dans le cadre de la commanderie des croyants et de la religion islamique. Je ne vois aucune entrave sérieuse qui puisse empêcher nos sociétés musulmanes d’atteindre ces finalités universelles ».

La deuxième question d’Al Bayane a porté sur la question de l’économie du soin que la femme effectue à la maison, lorsqu’elle participe à la reproduction sociale, à l’éducation des enfants et aux travaux domestiques. Les réponses à cette question furent données par Rachida Tahiri et Nouzha Skalli. La première a répondu, « il y a plusieurs modèles de par le monde qui évaluent ce travail du soin effectué par la femme, et le rémunèrent par une contrepartie financière. Pour ce qui concerne le Maroc, il y a également chez nous une évaluation de cette économie du soin, en effet, le HCP a déjà effectué une évaluation et a trouvé, à travers un système de critères comme le travail culinaire, l’accompagnement des enfants à l’école ou chez le médecin, etc., qu’en moyenne ce travail des femmes hors du marché du travail constitue 39% du PIB marocain. Elle a insisté sur la nécessité d’une volonté politique pour concrétiser la rémunération du travail du soin ». Alors que Nouzha Skalli a affirmé, « il y a des études du HCP qui ont calculé le temps de travail des femmes considérées comme inactives, ces dernières ont répondu souvent qu’elles se réveillent à 6h du matin, préparent le petit déjeuner, amènent les enfants à l’école, préparent les vêtements du mari, préparent le déjeuner, etc., et on trouve en fin de compte que ces femmes considérées comme inactives travaillent tout au long de la journée ».

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