Severodonetsk près de tomber
Les forces ukrainiennes semblaient mercredi près de céder à Severodonetsk, ville stratégique du Donbass, témoin de l’avancée de l’armée russe dans l’Est du pays où les Ukrainiens comptent sur les « systèmes de missiles plus avancés » annoncés par Washington pour renverser la tendance.
Après 98 jours de guerre, les forces russes « contrôlent désormais 70% de Severodonetsk », a déclaré mercredi Serguiï Gaïdaï, gouverneur de cette région du bassin du Donbass, sur sa chaîne Telegram.
S’il a ajouté qu’ils « n’occupent pas entièrement » cette ville industrielle, il semblait s’y préparer: « si dans deux-trois jours, les Russes prennent le contrôle de Severodonetsk, ils vont y installer de l’artillerie et des mortiers et vont bombarder de façon plus intense Lyssytchansk », la ville voisine séparée de Severodonetsk par la rivière Donets, selon lui plus difficile à prendre car « située sur des hauteurs ».
Severodonetsk est devenue la capitale administrative de la région de Lougansk pour les autorités ukrainiennes, depuis la prise de la ville même de Lougansk en 2014 par les séparatistes prorusses appuyés par Moscou.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a estimé mardi soir que les frappes « aveugles » de l’armée russe » sur cette ville, notamment sur une grande usine chimique, étaient « tout simplement folles ». « Mais au 97e jour d’une telle guerre, cela n’étonne plus que, pour les militaires russes, pour les commandants russes, pour les soldats russes, toute folie soit absolument acceptable », a-t-il ajouté.
L’autre région du Donbass, celle de Donetsk, est également sous le feu russe.
Des journalistes de l’AFP ont vu des immeubles détruits par des missiles mardi à Sloviansk- à quelque 80 km à l’ouest de Severodonetsk – dans lesquels trois personnes sont mortes et six autres ont été blessées. Et mercredi, une frappe de missile à sous-munitions a fait au moins un mort et deux blessés à Soledar, ville équidistante de Sloviansk et Severodonetsk, a constaté l’AFP.
Selon la vice-ministre ukrainienne de la Défense Ganna Malyar, Moscou veut « encercler les troupes ukrainiennes et compliquer la situation en nous faisant chanter plus tard avec ces troupes encerclées, ce qu’on peut appeler en général un +chaudron+ ».
« Jusqu’à présent, il n’ont pas réussi, parce que l’armée ukrainienne résiste avec une grande puissance », a-t-elle affirmé mercredi sur YouTube, tout en reconnaissant que les forces russes avaient « l’avantage en matière de quantité d’équipements, d’armes et d’hommes ».
Si les Russes parviennent à achever l’encerclement de l’agglomération de Severodonetsk-Lyssytchansk, ils pourraient faire la jonction avec les forces russes plus à l’ouest et lancer une offensive sur l’autre capitale administrative ukrainienne du Donbass, Kramatorsk, selon des analystes.
Moscou s’est fixé pour objectif de prendre le contrôle de la totalité du Donbass.
Dans ce contexte, les forces ukrainiennes attendent avec impatience les livraisons de nouveaux systèmes de lance-missiles plus puissants promis par les Etats-Unis.
« Quand vous savez qu’il y a des armes lourdes derrière vous, le moral de tout le monde remonte », indiquait lundi à l’AFP un soldat proche de la ligne de front, qui donne uniquement son nom de guerre « Loujniï ».
Le président américain Joe Biden a écrit mardi dans le New York Times que son pays allait « fournir aux Ukrainiens des systèmes de missiles plus avancés et des munitions qui leur permettront de toucher plus précisément des objectifs clé sur le champ de bataille en Ukraine ».
Selon un haut responsable de la Maison Blanche, il s’agit de systèmes Himars (High Mobility Artillery Rocket System), des lance-roquettes multiples montés sur des blindés légers, d’une portée de 80 kilomètres environ. Aucune date de livraison n’a été précisée.
Ces équipements font partie d’un nouveau volet plus large d’assistance militaire américaine à l’Ukraine, de 700 millions de dollars au total, dont le détail doit être donné mercredi.
Certains spécialistes estiment que les Himars pourraient changer le rapport de force militaire sur le terrain.
Soucieux d’éviter que les Etats-Unis soient considérés comme cobelligérants, le président américain Joe Biden a néanmoins insisté sur le fait qu’il « n’encourage pas » et « ne donne pas à l’Ukraine les moyens de frapper » sur le territoire russe.
Lui qui déclarait le 26 mars que le président russe Vladimir Poutine ne devrait « pas rester au pouvoir » a aussi souligné que les Etats-Unis « n’essaieront pas de provoquer son éviction », même si ses agissements sont « scandaleux ».
Une autre priorité des Occidentaux est de débloquer les ports ukrainiens de la mer Noire, notamment le grand port d’Odessa.
Au moins 20 millions de tonnes de céréales ukrainiennes, stockées dans des silos, ne peuvent actuellement être exportées à cause d’un blocus russe, faisant planer le risque d’une crise alimentaire mondiale.
Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov devrait discuter de la mise en place de « corridors sécurisés » pour le transport de ces céréales lors d’une visite en Turquie le 8 juin, selon son homologue turc Mevlüt Cavusoglu. Même si M. Lavrov a rejeté la responsabilité de ce blocage sur les Occidentaux, qui ont coupé des « chaînes logistiques et financières » avec leurs sanctions contre Moscou.
Ils doivent décider s’ils veulent « faire de la com’ sur la question de la sécurité alimentaire, ou résoudre ce problème avec des mesures concrètes: la balle est dans leur camp », a-t-il affirmé mardi depuis Bahreïn.
Le président français Emmanuel Macron a indiqué avoir proposé samedi à Vladimir Poutine le vote d’une résolution à l’ONU pour lever le blocus d’Odessa.
« La décision dépend d’un accord de la Russie et des garanties qu’elle apporte: face au déminage (du port d’Odessa) qui est indispensable pour que les vraquiers et bateaux puisse être acheminés et prendre ces céréales, (il faut) des garanties de sécurité apportées aux Ukrainiens pour éviter qu’ils ne soient attaqués », a précisé mardi M. Macron.
Après avoir poussé la Finlande et la Suède à demander leur adhésion à l’Otan, l’invasion russe de l’Ukraine continue à avoir d’autres effets géostratégiques: les Danois votent par référendum mercredi sur une entrée de leur pays dans la politique de défense de l’Union européenne, après s’y être refusés pendant trois décennies.
Le dernier sondage paru dimanche donne plus de 65% d’intentions de vote au « oui ». Mais l’incertitude demeure en raison de la forte abstention attendue, dans un pays habitué à dire « nej » (non) aux référendums sur l’Europe, le dernier en 2015.
Jadis marginale, la politique de défense européenne s’est amplifiée ces dernières années, même si des idées d’armée européenne font encore figure de repoussoir pour de nombreuses capitales.
Les résultats sont attendus mercredi vers 23H00 locales (21H00 GMT).
En Ukraine, c’est surtout le match de qualification pour le Mondial-2022 de l’équipe de football face à l’Ecosse qui est attendu, 90 minutes qui devraient permettre de s’échapper du quotidien de la guerre.
« J’espère une victoire », confie à l’AFP Andriy Veres. « En ce moment, c’est très important pour le pays, pour tout le monde, pour ceux qui sont fans de foot, mais même pour ceux qui ne le sont pas ».