Les premières leçons de la crise
Par
Pr. Abdelmoughit B. Tredano
Albert Camus, prix Nobel de littérature (1957) disait dans son discours à l’occasion de la réception qui lui était dédiée : «Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse».
La tâche des jeunes générations, présentes ou futures, consiste à faire tout ce qui est possible pour éviter le chaos; il est pour demain !! Sans jouer aux Cassandre, cette situation relève d’une réalité plus que probable.
La réflexion doit se focaliser, entre autres, autour des préoccupations suivantes : (approche sous l’angle de la géopolitique mondiale).
Dire que la situation du monde ne serait plus comme avant le coronavirus est une lapalissade.
Une nouvelle organisation du monde
1. Au niveau individuel, du groupe et de la nation, l’individualisme est censé s’émousser et la solidarité gagner en profondeur…
2. La notion de l’unicité de l’humain et de son destin commun doivent interpeller l’insouciance d’avant…
3. L’organisation du monde sur tous les plans, doit être repensée dans le sens de moins de mondialisation, plus d’Etat-nation et surtout la réhabilitation de l’Etat providence.
Et moins d’idéologie productiviste, ultra libérale initiée depuis début des années 80 (Margaret Thatcher et Ronald Reagan) ; L’ère du monde fini a déjà commencé, suivant la fameuse phrase de Paul Valéry (1930..).
*L’idée de la gestion commune du monde s’impose plus que jamais, tout en évitant la formule de Jacques Attali d’un gouvernement mondial dont la finalité n’est pas au-dessus de tout soupçon.
*Les rapports entre les Etats doivent connaître plus de coopération et moins de confrontation (Gorbatchev dès 1986 : la fameuse maison commune).
*L’organisation du monde en plusieurs puissances mondiales avec coexistence de puissances régionales chargées concomitamment d’assurer la sécurité et la coopération dans leurs régions respectives.
*Un monde à la Georges Orwell (sous sa forme chinoise ou nord-coréenne) doit faire l’objet d’un débat (entre efficacité des régimes autoritaires et la fragilité des régimes démocratiques face aux crises) et céder, peut-être, le pas à un monde où la confiance et la sérénité doivent prévaloir…
Le temps de réflexion
*Le temps de réflexion est venu pour penser le destin de l’homme en dehors de l’idée du progrès, du moins tel qu’il est conçu et perçu présentement, en rapport avec la Modernité contemporaine…
En dehors de l’idéologie productiviste…
En dehors de la compétition internationale effrénée et sans limites.
A toute chose malheur est bon
Si la crise peut avoir une vertu c’est celle de permettre à la planète une certaine pause.
Ce que le GIEC (Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat,) et les écologistes n’ont pas pu imposer aux décideurs politiques économiques et financiers, la crise liée à cette pandémie est en train, en partie, de le réaliser !!!.
Apparemment, l’air de la ville de Wuhan commence à être respirable ; et l’eau des canaux de Venise est ; semble-t- il, plus transparente !!
Toutefois, la crise ne fait que commencer ; l’effondrement des bourses, la chute du prix du pétrole, sur un fond de guerre entre les puissances, et d’autres signaux plus ou moins graves … ne sont que la partie visible de l’iceberg.
Une nouvelle organisation du monde doit être envisagée et de nouveaux modes de production et de répartition de richesses doivent être recherchés et appliqués.
Ce n’est pas un luxe mais un choix incontournable et peut-être salvateur.
Le choix entre l’extinction de l’humain et sa survie est désormais posé.
Ça peut paraître anxiogène et excessif, mais le chaos est là.
Les membres du club de Rome l’avaient prédit il y a de cela 50 ans ; ils étaient pris pour des farfelus. La réalité du monde aujourd’hui leur donne raison.
Le temps de la sagesse de l’homme est désormais venu.
Ce n’est pas une utopie mais une nécessité impérative.
Le philosophe français d’origine roumaine Emil.
Cioran disait : « un monde sans utopie devient à la longue irrespirable ».
L’Europe s’effrite, l’Amérique patauge, l’Asie s’affirme?
Ce que cette pandémie pose comme défis et ce qu’on peut tirer comme leçons, à la lumière de mon texte précédent:
1. Différence d’efficacité face au virus qu’on soit dans un pays démocratique ou autoritaire ; le choix est cornélien!!
Un peuple habitué à la pratique » démocratique » n’est pas préparé pour se priver facilement de ses libertés…
2. Le mode économique, production et de distribution des richesses, doit être totalement revu.
Une remise en cause de la mondialisation est plus qu’impérative voire salutaire.
Les politiques, les décideurs économiques et financiers vont-ils se convaincre de cette nécessité?
Il y a fort à parier que l’amnésie soit, après la fin de pandémie, de mise.
Ils oublient que les réserves stratégiques en équipements sanitaires (masques et appareils respiratoires, en molécules disponibles…) aussi importantes que celles pétrolières ou de tout autre.
L’Europe et le monde découvrent qu’ils dépendent, tous, de la chine.
La souveraineté économique ou souveraineté tout court est en cause…
3. Remise en cause de la mondialisation suppose un début de relocalisation et de réindustrialisassions ; une économie circulaire, écologique solidaire, coopérative (SICOP) et de proximité, doit être réhabilitée…
4. L’organisation du monde par groupes régionaux doit être adoptée parce que aucun état ne peut se suffire à lui seul sauf les Etats continents et encore…
5. La solidarité entre les peuples et les Etats, dans des moments de crise planétaires, est un impératif catégorique.
L’Italie a plus trouvé du soutien chez les Chinois, les Russes et les Cubains que parmi ses partenaires européens!!!
6. La configuration géopolitique mondiale va complètement être chamboulé .Les signaux relevés depuis, au moins 2003, se précisent ; L’EUROPE S’EFFRITE, L’AMERIQUE PATAUGE ET L’’ASIE S’AFFIRME.
7. A la suite de chaque cataclysme géopolitique mondial, il y a nécessité de construire un ordre international nouveau.
Ça été le cas après 1945 et 1989…
Avant, c’était un monde des vainqueurs pour les deux situations.
Aujourd’hui, il faut le faire ensemble; l’idée de la coexistence des puissances régionales et internationales est une piste et un gage de garantie devant éviter la domination des puissants.
8. La coopération internationale doit être effective et non pas seulement comme un slogan qu’on agite dans tous les forums internationaux et ce pour pouvoir affronter efficacement des situations de crise telle que celle que nous vivons actuellement. Désormais, tout est mondial ! En attendant une « démondialisation « .
9. La culture de la paix et de tolérance doit s’installer ; ce n’est pas pour sacrifier à une mode mais elle doit relever des conditions fondamentales et incontournables de vie collective des peuples et des États dans monde difficile et complexe.
Tout cela suppose une nouvelle organisation du monde.
*Professeur de science politique
et de géopolitique Université Mohamed V.