Tétouan et le festival du cinéma méditerranéen
Par M’barek HOUSNI
Depuis le temps que on y vient, il y a presque une vingtaine d’années, la ville s’est érigée comme un lieu de pèlerinage cinéphilique incontournable rehaussé par l’attrait qu’elle suscite pour les moyens d’expression, notamment ceux de l’écrit entre autres.
L’art s’y déploie en images qui disent le monde et signifient l’homme, autour de ce pourtour méditerranéen, berceau des civilisations qui ont façonné notre terre. On y a vu de très beaux films ayant pour point commun cette mer blanche et centrale, qualificatifs qui traduisent son nom générique. Mais qui est aussi une frontière géante entre deux mondes différents, l’un pauvre au sud, et l’autre riche et prospère au nord. Frontière établie par des siècles de guerres de conquête dans les deux sens, des décennies de colonisation, suivies par de longs périodes de luttes de libération douloureuse. Une frontière devenue infranchissable, sauf via des visas ou des aventures dangereuses. Ou bien à travers la symbolique de la création et l’imaginaire que le cinéma fait sentir. Le lieu où les peuples se retrouvent juste des humains, vivant les mêmes contraintes existentielles, loin des détestables politiques politiciennes.
Tétouan est, depuis son instauration comme une vitrine renommée du septième art du pourtour, l’une des majeures porte-paroles de ce fait. Ville qui nous procurait un voyage vers le nord, notre nord du pays, le chamal. Voyage double. L’un vers le monde, et l’autre pour lier contact avec une part de notre identité culturelle nationale. On se retrouve à chaque fois entre les deux. Comme par une magie qui nous fait passer des salles obscures peuplées de visages et d’événements sur grand écran, vers les espaces lumineux de la ville, dite blanche. Durant une semaine, cela ponctue une réalité qui se superpose à la réalité spatio-temporelle des autres jours. On dirait qu’il existe un temps cinéma où le corps semble enchainé, lié à d’autres corps qui lui ressemblent par quelques traits et qui lui demandent de s’oublier en eux. Chose qui se réalisait la plupart du temps. Et on dirait de même qu’il y a un temps vie où ce même corps se libère, se secoue pour plonger dans l’offre tétouanaise du moment : sortir de l’une des belles salles de cinéma à l’architecture magnifique, avec ce caractère vieillot qui s’embellit avec le temps. Avenida et Español sont de vrais autres cinéphiliques concoctés dans la poésie de la pierre inspiratrice. Réceptacle d’une émotion à fleur de peau pour tout passionné des arts de la représentation sur écran ou in vivo. Plongeon dans la continuité d’une histoire, loin des tumultes de l’instant qui n’est pas disposé au rêve rédempteur de l’âme.
Puis immerger dans cet antre, équivalent mais grandeur nature, qu’est la médina perchée sur le flanc d’un mont, avec ses ruelles tortueuses et ses places mêlant le fondé de base marocain et l’apport andalou en commun, la vivacité d’une foule humaine qu’il est bon de côtoyer. Dans la café Ouchak (des amoureux) par exemple. Ou dans le site du club local de football, MAT, qui a croisé le fer pendant un certain temps dans la Liga avec les grands clubs du voisin ibérique. Mais le plus à même de susciter la fougue créatrice est de nous trouver dans les halls de l’école des beaux-arts, l’un des deux pans essentiels fondateurs de l’art plastique marocain (l’autre étant à Casablanca) ou dans les salles du centro de arte moderno de Tetuàn. C’est dire que l’on est pressé de toutes parts par la veine artistique sous différentes formes et divers aspects.
Le cinéma nous a offert ici chaque année l’occasion de nous mêler aux meilleures cinéastes et stars et d’écrire nos meilleures chroniques. De nous former plus et d’aller plus loin, dans l’écrit lié au cinéma et à la vie. Indissociable alchimie où la plume se trouve dans le ravissement recherché.
L’opportunité de vérifier ces dires nous est possible ces jours-ci avec l’organisation de l’édition 27, qui se déroule actuellement du 10 au 17 juin. Une édition qu’on vit avec un bonheur des retrouvailles, jamais éprouvé auparavant, après les deux années pénibles de l’épidémie qui ont étranglé le monde. Que l’on vit aussi avec toute cette nostalgie planant par-dessus, résultat d’une accumulation des expériences vécues citées ci-haut.
Le festival fait accéder ainsi à une autre expérience directe d’un instant de vie balisé par le film. Que dire d’une immersion, le jour de notre arrivée, dans un film turc à la teneur kafkaïenne, « Kerr », du cinéaste et écrivain Tayfun Pirselimoglu. Un film confectionnant une image aux couleurs noircies à dessein, dans un temps hivernal neigeux, accompagnant un homme à qui on a interdit de quitter sa ville qu’il visite pour les funérailles de son père, et qui est témoin d’un meurtre froid qui indiffère son auteur. Un parfait absurde camusien.
Il faut citer aussi le film de l’Italienne Laura Samani, « petit corps ». Du pur cinéma. Autre immersion dans le moyen âge européen, en un temps d’hiver rude, où une jeune fille donne naissance à une mort-née, mais qu’elle déterre et porte sur son dos le long d’un périple dangereux vers les hautes montagnes où un sanctuaire devait la baptiser et lui donner un nom. Du grand raffinement cinématographique.
Deux exemples d’enfoncement heureux, voulu et à fond que cette ville programme avant de nous captiver par les plaisirs de l’errance en son sein.