Une bouteille d’eau du temps de la pandémie corona

Professeur E.B. Maarouf*

Un jour du confinement instauré suite à la pandémie COVID 19, seul dans mon bureau, j’ai vu à ma droite, posée sur une table, une bouteille d’eau minérale dont la contenance est un litre. Alors je me suis dit, qu’il n’y a pas plus que Un (une bouteille). Un est un chiffre et un nombre que tout le monde comprend, appréhende et qui ne pose aucun problème. Et l’eau alors ? Cette question m’est venue comme ça sans préliminaires.

Je me suis, alors, posé la question toute simple, pourquoi c’est avec le nombre un que mon intellect a interagit de manière instantané et immédiate ? Où est passée ma subjectivité?

Bien sûr la mathématique est une arme redoutable, sans quoi l’homme n’aurait rien compris de cet univers, et que c’est grâce, à elle, que nous arrivons à dévoiler sa beauté. Galilée n’est-il pas bien le premier fou qui a vu cette relation corrélative entre mathématique et l’univers ? Heureusement, pour lui, qu’il a aussi su comment garder sa tête entre ses épaules.

La bouteille d’eau, posée sur la table, alors je me suis dit, un litre d’eau c’est bien 1000 grammes, soit 55,5 moles c’est-à-dire  molécules d’eau. Autrement dit, dans la bouteille posée sur la table, il y a 33,4 millions de milliards de milliards de molécules d’eau. Sans prévenir, ma subjectivité injecta dans mon égo, tu vois, tu es immensément grand. Alors, c’est en ce moment que j’ai compris que je suis infiniment petit. Je me suis dit, une inférence n’est pas du domaine de la subjectivité mais plutôt une spécialité de l’intellect et d’ailleurs, c’est lui qui s’est manifesté en premier. Non, je refuse qu’il m’arrive comme le fou français en qui la révolution française se reconnaisse.

Oui, le fou qui dans un instant, aussi banal que tous les autres, a voulu mettre la main sur la sagesse. Armé d’un doute hyperbolique, il s’est mis en quête d’un point d’Archimède, lui permettant d’édifier son royaume. Au pays des fous, où chacun a son royaume, il y a toujours des terres vierges, des zones libres, et un nouveau fou est toujours le bienvenu, pourvu que son échafaudage ne tombe pas sur nos têtes. Mais, comment est-il possible, qu’une conjecture et non une inférence comme «je pense je suis» matérialise un point d’Archimède après un doute hyperbolique?

La question est légitime, puisque ce fou, armé de son doute hyperbolique a fait disparaitre l’ordre parfait, qui a régné depuis tous les temps. Alors comment a-t-il pu prendre un moment de pure subjectivité pour instant zéro. Comment a-t-il pu faire table rase pour n’admettre que sa subjectivité? N’a-t-il pas défiguré, tout simplement, la sagesse? Où trouve-t-on un cogito? il n’y a point de cogito.

Pourquoi alors saccagé, inutilement, une merveilleuse existence, un cosmos parfait où tout est bien réglé, dont le correct n’est que ce qui est en harmonie avec lui, le faux est toute touche qui fait défaut à cette harmonie. Le bien et le mal n’est que l’objet d’une dictée. La beauté elle est là, il suffit juste de regarder, une fleur, une rivière, un oiseau, un arbre ou tout simplement un individu lambda. Se regarder lui-même, pourquoi pas, puisqu’il a succombé facilement à sa subjectivité. Il aurait dû voir que tout est beau, bon et parfait. Exactement comme la bouteille d’eau minérale dont la contenance est un litre, posée sur la table, là à ma droite. Ce geste n’est-il-pas un acte de pur vandalisme intellectuel?

Ce fou nous a plutôt proposé une danse ou une valse et non pas un système compact et plein de sagesse. Une valse à trois temps, le temps de la table rase, le temps de l’an un et enfin le temps de la construction.

Mais, soudainement, j’ai réalisé que sur un rythme similaire que la France a dansé entre 1789 et 1799. Le 5 Mai 1789, n’est-il pas le moment de table rase? Le 4 Aout 1789, l’abolition des privilèges et des droits féodaux, n’est-il pas le point d’Archimède ? et ensuite, l’ère de la construction est venue tout naturellement. Voilà une réalité historique, qui donne toutes les lettres de noblesse à la pensée de ce fou français.

Du coup, je me suis mis en doute. Pourquoi je rejette sa subjectivité ? Il se peut qu’elle soit un chemin, une issue. Pourquoi je porte atteinte à la sagesse en jugeant ce fou, tout ce qui est dans mon droit c’est d’interpréter son interprétation pas plus.

Pour cela, j’ai décidé alors de questionner, encore une fois, cette bouteille, posée à ma droite sur une table. Cette myriade de molécules, ne sont-elles pas dans un chaos total ? Puisque, cette eau a obligatoirement une température, cela veut dire, que ces molécules sont continuellement en mouvement, elles se livrent à des chocs incessants entre elles. Où est, alors, cet ordre éternel, total ? A ce niveau de l’existence, je n’ai trouvé aucune beauté. J’ai perdu, logiquement, le sens de la réalité que j’avais auparavant. Ma certitude s’est envolée en air.

Totalement perdu, la bouteille toujours là, qu’il m’est venu à l’esprit les paraboles d’un autre fou, qui, parodié exactement comme Jésus, le christ. C’est un fou allemand, qui ne s’est jamais séparé de son marteau, le généalogiste.

Le fou généalogiste, affirme qu’il n’y a point de vérité ultime, la valeur de la vie ne peut point être jugée, il n’y a que des interprétations, le nihiliste est celui qui invente de hautes valeurs pour nier les valeurs des ignorants. Pour ce fou, on n’invente l’idéal que pour nier le réel, on invente le paradis pour nier la vie terrestre. Le blasphème est parlé contre la terre. Ce fou, parait-il, n’a posé son marteau qu’après avoir créé une nouvelle morale, la morale de l’anti-christ grâce à la volonté en puissance.

J’ai regardé, encore une fois la bouteille d’eau, posée à ma droite, sur une table et je me suis dit, effectivement, une molécule d’eau, a bien une origine, avant d’être, ce qu’elle est maintenant devant moi. Inéluctablement, sous toute réalité, il y a bien d’autres réalités. La molécule d’eau est composée d’atomes d’oxygène et d’Hydrogène. Chaque atome est fait d’électrons, de protons et de neutrons. Le proton n’est-il pas composé de trois quarks, deux up et un down. Le neutron n’est-il pas composé, lui aussi, de trois quarks, un up et deux down?

Soudainement, j’ai réalisé que mon esprit a été en train, d’inventer l’éternel infini. Alors, j’ai regardé, de nouveau, la bouteille d’eau en se demandant ce qu’elle a été réellement. Mais, juste un petit moment, pour ne pas dire une fraction de secondes, que mes yeux ont abandonné le champ visuel qui a cadré la bouteille d’eau, par respect un mon égo, à ma subjectivité, à mon intellect, à l’être que je suis. J’ai senti une honte invraisemblable. J’ai eu l’impression que l’eau me disait, je suis là pour apaiser ta soif, mais, dire que tu peux m’appréhender, contre mon gré, avec tes nombres et tes chiffres, n’est qu’une prétention incommensurable.

Ne dit-on pas que l’eau c’est la vie ? Oui, j’ai compris que la valeur de la vie ne peut pas être évalué ni par un vivant, car, il est juge et parti, et même objet de litige, ni par un mort pour d’autres raisons.

Et voilà, seul dans mon bureau, une bouteille d’eau à ma droite posée sur une table, ma bouche est bien sèche comme jamais, alors que je ne peux ni regarder la bouteille ni profiter de la fraicheur de cette eau magique. Cette eau faite de quarks, qui a-t-il entre les quarks, un monde continu ou discontinu ? A l’instant même où je me suis posé cette innocente question, une sensation bizarre m’a enveloppé, une perdition totale, que du noir tout autour de moi, un silence total, le néant tout autour de moi, du vide, cet autre diable pour l’intellect.

Mais, qu’est ce qui m’arrive ? Dès que je pense au vide, je fais de lui quelque chose, je le transforme, je suis conscient qu’il se moque de moi. Ce n’est pas la nature qui a horreur du vide, mais plutôt l’esprit, notre intellect.Le néant est un diable invraisemblable. Je me demande comment ces grecs n’ont pas fait de lui une divinité.

Oublié, perdu nulle part, rien que moi, je me suis dit, bravo, tu es devenu le tout, sinon tu hallucines, tu délires, ressaisie toi, c’est simplement de la métaphysique. Penser l’eau ne fait pas partie de la métaphysique. Mais plutôt des sciences dites exactes comme la chimie, la physique, la biologie et bien d’autres. Des domaines de la connaissance, dont la force et l’efficacité n’est plus à démontrer, ils se sont mis à l’abri du doute grâce au principe de la causalité. Mais là, je viens de réaliser que ce principe est intrinsèquement contradictoire. Expliquer une chose, c’est chercher sa cause, puis la cause de la cause et ce à l’infini.

C’est-à-dire qu’il n’y a pas une cause ultime. Sinon, on postule son existence ce qui contredit le principe de causalité admit auparavant. C’est une vraie absurdité, on part du rationnel pour se retrouver dans les bras de l’irrationnel. Le problème persiste donc même avec ces sciences dites exactes. Pourtant, elles ne questionnent que l’étant, et avec un humble type d’interrogation, le comment ou le pourquoi, mais jamais pourquoi l’étant.

Comment je pourrai intégrer la sensation d’une réelle existence qui m’est propre avec cette autre réalité intellectuelle conduisant rationnellement à l’irrationnel ou à l’absurdité du réel.

La mathématique est une science exacte sans l’ombre du moindre doute. Cette caractéristique, est une conséquence de fait que ses éléments ont tous des identités invariables. Chaque objet, être mathématique a une identité qui ne dépend d’aucun autre paramètre. Mais, qu’en est-il pour les étants qui ne sont pas des intelligibilités? Il est vrai que, pour moi et à mon échelle, cette bouteille d’eau que j’aperçoive en tant qu’un objet bien défini dans l’espace, délimité avec des contours, oui, a bien une identité, pour moi, là et maintenant.

Le fait de chercher l’origine de l’eau, m’a conduit, a un changement de dimension accompagné de la confusion des limites et des contours, plus de frontières propres à un quelconque étant. Tout simplement plus d’identité, plus d’individualisme, il y a un seul et unique système confus dans sa globalité. Autrement dit, l’absurdité de la réalité du cosmos et de la vie trouve son origine dans la subjectivité dimensionnelle.

Il n’y a aucun sens à cette existence. Si l’existence été absurde et joyeuse, elle serait plus qu’acceptable, ou même si elle avait un sens et malheureuse, elle serait bonne. Mais absurde et malheureuse, voilà qui est irrationnel subjectivement.

Mais cette eau est vraiment sage, tellement sage, qu’elle m’apprend la sagesse. Elle est là gracieusement, ne s’intéresse, nullement ni au passé ni au futur. Que trouve-t-on hors du présent ? rien que la nostalgie, le remord et l’espérance, que le pire. Simplement des passions tristes. Alors qu’il faut regretter un peu moins, espérer un peu moins et aimer un peu plus. La vie bonne est une vie libre et intense. Tous les deux, passé et futur, pèsent beaucoup sur nous. Seul le présent nous permet de se réconcilier avec le réel par le biais de l’amour fatum.

*Université Mohamed Premier

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