Une presse écrite, mais peu lue : Bonjour tristesse!

Un mien ami, grand habitué des espaces publics casablancais (cafés, salles de cinéma…) me fit la remarque suivante, l’autre jour, tard d’une soirée ramadanienne tranquille : «le jeune vendeur de journaux n’est plus passé depuis quelques jours…personne ne lui achète de journal. Il a certainement renoncé à faire sa tournée nocturne ; les gens sont connectés en direct aux événements ; ils n’ont plus besoin d’intermédiaire». En effet entre le récepteur et le journal il y a désormais, un écran.

Traditionnellement saison faste de la lecture, ramadan était un mois béni pour les médias (la télé avec son tunnel publicitaire autour du ftour, et les journaux avec les retrouvailles avec un lectorat avide de dossiers consistants). Tout laisse croire que c’est désormais une image du passé. Ramadan vient confirmer une tendance lourde. La situation de la presse écrite au Maroc n’est pas très luisante. Les bilans périodiques relevés par les sociétés de distribution et  les informations qui circulent sont très inquiétants, notamment en termes de chiffres globaux des ventes ou du taux  de pénétration. Nous détenons le taux le plus bas du monde arabe.

Rien à voir bien sûr avec ce qui se passe dans les pays développés, ni encore plus grave avec des pays qui nous sont proches de par les traditions culturelles et linguistiques, comme l’Algérie et la Tunisie. Ce qui rend ces chiffres plus alarmants c’est que le pays est en train de vivre une période socio-politique palpitante, susceptible normalement de favoriser  le développement de la «lecture citoyenne» qui devrait se traduire par une explosion des chiffres de vente de la presse écrite. Il faut rappeler à ce propos que les périodes de transition démocratique sont propices au débat et le journal est le vecteur de l’échange d’opinion. L’expérience démocratique contemporaine et l’expérience révolutionnaire du XIXème siècle nous ont fourni des exemples probants à ce propos. Au point que tout progrès démocratique est tributaire de l’existence d’une presse libre.

Alors pourquoi cela ne fonctionne pas au Maroc ? Certes, de temps en temps des titres font des percées et réalisent des scores intéressants. D’abord, cela reste relatif. C’est le cas de certains journaux qui, à coup de titres sensationnels, parviennent à des chiffres qui sortent de la moyenne habituelle, mais cela reste focalisé autour du microcosme et de l’axe Casa /Rabat. En fait, le véritable indicateur qui est pris en considération dans les statistiques internationales reste celui des quotidiens en langue arabe. Leurs chiffres sont révélateurs de l’état du lectorat en profondeur. Et là, la situation n’est guère réjouissante. Les chiffres accumulés dénotent un retard énorme. Les prouesses réalisées ponctuellement ne s’inscrivent nullement dans une tendance.

Pourquoi alors une telle situation ? D’un point de vue académique, on a abordé à plusieurs reprises la question pour souvent s’arrêter  sur certains points et ainsi on a recensé les facteurs intervenant d’une manière négative comme le taux d’analphabétisme, le niveau de vie, la liberté d’expression, l’absence de traditions de lecture, le manque de professionnalisme… Mais aujourd’hui, sociologiquement comme politiquement, on peut dire que de nombreux facteurs cités ont connu une évolution positive sans que cela aboutisse à  la constitution d’un large lectorat pour les journaux marocains. On cite aussi et de plus en plus la concurrence des médias électroniques. La révolution numérique a bouleversé le schéma traditionnel de la circulation de l’information.

Peut-être tout simplement que la balle se retrouve dans les camps des journaux eux-mêmes qui doivent trouver les moyens d’accompagner cette mutation, d’aller à la reconquête de ce public potentiel qui est là et qui n’attend qu’à être séduit et convaincu. Séduit, car aujourd’hui tout passe par la forme qui doit s’inspirer de l’esprit du temps; convaincu par la qualité et la pertinence du contenu. En fait, il s’agit d’un processus qui intègre aussi le lecteur qui doit acquérir de nouveaux comportements. Le lecteur nouveau, c’est essentiellement un lecteur fidèle qui, le matin, dans son kiosque, refait son geste quotidien en achetant son journal. Un geste libérateur de l’addiction de  la pratique dominante où il reste scotché à son Smartphone : recevant un flux ininterrompu de signes qui s’accumulent sans distance  ni esprit critique.

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