Il était une fois….le cinéma
Comment se présentait le paysage cinématographique marocain vers la fin des années 1960 ? Le cinéma était un phénomène populaire ; il représentait certainement la première forme de loisirs urbains. Les chiffres sont éloquents dans ce sens : pour prendre l’année qui nous intéresse, 1968, le Maroc comptait 235 salles de cinéma (dont plus de 50 pour la seule ville de Casablanca) qui ont attiré plus de 17 400 000 spectateurs. La production nationale était par contre à sa plus simple expression : quelques courts métrages que de jeunes cinéastes, fonctionnaires un peu malgré eux du CCM, réalisaient pour répondre à des commandes institutionnelles. Un documentaire de création va cependant marquer l’année 1968, c’est le mythique «Six et douze» de Bouanani, Rechich et Tazi. C’était le désert plat.
Sauf que le ministre de l’information et du tourisme de l’époque, l’atypique Ahmed Alaoui va avoir l’idée de doter le Maroc d’un festival de cinéma (les Tunisiens ont lancé avec succès Carthage en 1966). La ville de Tanger a été choisie pour abriter la première édition (1968) avec comme thématique le cinéma méditerranéen. Comme le Maroc n’avait pas de long métrage à présenter, on décida à la hâte de produire deux longs métrages. C’est ainsi que Larbi Bennani et Abdelaziz Ramdani entamèrent le tournage du film « Quand mûrissent les dattes » ; Mohamed. Tazi B.A et Ahmed Mesnaoui, la réalisation de «vaincre pour vivre ». Les historiens du cinéma marocain retiennent que «Quand mûrissent les dattes» a été bien le premier film à être produit et réalisé par le Maroc mais comme il était en couleurs, son développement a été réalisé à Rome et du coup c’est «Vaincre pour vivre », tourné lui en noir et blanc et donc développé au Maroc, qui va figurer comme le premier film long métrage marocain sorti dans des normes professionnelles. L’année 1968 sera donc l’année du démarrage de la production officielle de longs métrages avec ses deux films aux contenus et aux destins partagés. Deux fictions, l’une rurale, un conte tribal, «Quand mûrissent les dattes » qui tombera vite dans les oubliettes, l’autre urbaine, « Vaincre pour vivre ». Ce dernier aura tenté quand même une sortie commerciale et connaîtra une tragique participation à certains festivals. A Carthage par exemple, il sera non seulement hué et sifflé mais la légende raconte que le réalisateur algérien, Mohamed Lakhdar Amina, un peu encore imprégné de l’ambiance violente de la guerre de libération algérienne, va sortir son pistolet et va chercher à «descendre» les deux réalisateurs du film pour crime de lèse cinéma.
Quel est leur crime ? En fait, pour user du jargon d’aujourd’hui, le film est un «copié-collé» d’un mélodrame égyptien : le récit linéaire d’un chanteur d’origine modeste qui parvient à la notoriété grâce à sa musique et surtout grâce à une rencontre féminine. En lieu et place de Abdelhalim égyptien, les deux réalisateurs ont mis une jeune star montante de la chanson marocaine, Abdelouhab Doukkali. Il incarne Karim, jeune fils de menuisier qui quitte sa petite ville de Chaouen, après une rupture avec le père (symbole d’un déterminisme social) pour rejoindre avec son luth la ville de Casablanca. Là, le récit va se développer avec une série de rebondissements et de rencontres fortuites pour aboutir à un happy end où le bien l’emporte sur le mal, les méchants punis et les amoureux réunis. Laila Chenna interprète la riche et bourgeoise Souad par qui le bonheur va arriver.
Mohammed Bakrim