XXVIII – Palestine : l’avenir se décide maintenant

Sionisme, antisionisme et antisémitisme

Mokhtar Homman

L’intensité de l’agression sioniste, un génocide assumé, voulu par des dirigeants sanguinaires et appuyé par des dirigeants occidentaux sans morale, démontre que la situation est dans un point de bascule, dont les alternatives seront durables. La cause palestinienne et le monde arabe se trouvent donc à la croisée des chemins.

Après avoir estimé le rapport de forces global et les issues à court terme dans l’article précédent, nous allons examiner quelles sont les issues probables à moyen et long termes du conflit proche-oriental. Elles sont au nombre de trois. Une basée sur la force, une deuxième sur un compromis diplomatique, une troisième sur deux évolutions stratégiques radicalement opposées.

Expulsion des Palestiniens de Palestine, citoyens d’Israël compris

Par la nature expansionniste du sionisme, il faut garder la possibilité, tôt ou tard, d’une expulsion de tous les Palestiniens, y compris les citoyens israéliens, entre la mer et le Jourdain. Netanyahou a exhibé cet objectif à la tribune de l’ONU en septembre 2023, des ministres actuels le proclament sans exclure des massacres. Ceci passera nécessairement par des actions de terreur et des crimes de guerre aussi importants que ceux auxquels on assiste à Gaza.

Et en cas de réussite, le projet sioniste ne s’arrêtera pas là : l’occupation de nouveaux territoires syriens à la faveur de l’effondrement de la Syrie, en sus de l’annexion des hauteurs du Golan en 1981 (1), et les projets de peuplement du Golan prouvent que le sionisme ne s’interdit aucune limite territoriale. La construction du « mur de la honte », construit à partir de 2002, empiétait déjà au-delà de la « ligne verte » pour englober certaines colonies. Sur une longueur totale prévue de 712 km, 65,3 % de la structure a été construite en 2021, dont 85 % à l’intérieur de la Cisjordanie (2). Ce mur, conçu comme une « nouvelle frontière », n’est plus d’actualité. Sionisme et expansionnisme riment.

Mur de séparation à Jérusalem-Est, vu depuis la vieille ville. Haut de huit mètres, il sépare la municipalité de « Jérusalem » de la Cisjordanie (source : Wikipédia).

Sauf crise interne majeure israélienne, sans une pression arabe et internationale immédiate, soutenue et forte, la probabilité de l’expulsion de tous les Palestiniens, morts ou vifs, est très élevée. Le sionisme, israélien et occidental, a montré son inhumanité absolue en se félicitant du « massacre des innocents » (3) à Gaza. Pourquoi s’arrêterait-il ?

La solution à deux États

Maintes fois confirmée par le droit international, consensuelle au niveau diplomatique (sauf par Israël), la solution à deux États parait la plus juste dans les circonstances actuelles. Mais relevons que dans ce cas, le régime sioniste et sa violence chronique et congénitale perdureraient, autrement dit la cause du conflit sera toujours là. « Si nous voulons rester en vie, il nous faut tuer, tuer, tuer. Tout le temps, chaque jour. […] La séparation unilatérale ne garantit pas la « paix » – elle garantit un État juif-sioniste avec une écrasante majorité de Juifs » (4). Réciproquement, l’existence de deux États dans une configuration stable, en paix, finira par étouffer le sionisme en raison de son besoin intrinsèque, sa raison d’être, de mener une guerre d’expansion. Pour cette raison même le sionisme ne peut accepter la solution à deux États sans se « suicider ». L’effacement du sionisme à terme est une condition nécessaire à la paix.

Notons que la propagande sioniste proclame une supposée volonté arabe, et iranienne, de destruction d’Israël. C’est une déformation de la véritable position palestinienne et arabe qui est la destruction de l’entité sioniste, ce qui est une différence, certes subtile (Israël est le produit du sionisme), par rapport à la destruction d’un État, et certainement par rapport à la destruction physique d’Israël. Il s’agit de vider Israël de son sionisme (idéalement par ses propres citoyens). L’Afrique du Sud a survécu à la destruction de l’apartheid, les républiques de l’URSS ont survécu à la destruction de leur système socialiste. Par conséquent un Israël non sioniste (à définir) est le véritable objectif, car il cesserait d’être colonisateur et donc pourrait coexister et coopérer pacifiquement au Proche-Orient sous une forme à construire : deux États israéliens et palestiniens, une confédération israélo-palestinienne (voire israélo-palestino-jordanienne). Ironie de l’histoire, il pourrait alors adhérer à la Ligue des États arabes !

Au cours du Sommet arabe d’Amman en 1990, Saddam Hussein avait souhaité la bienvenue dans le monde arabe des Européens juifs fuyant l’antisémitisme, selon la vieille tradition arabe et musulmane, tout en dénonçant l’immigration des Soviétiques juifs vers Israël (qui était leur seule destination possible, car sans visa pour l’Occident, donc forcés). Mais pas en tant que colons venus renforcer Israël, pas en expulsant les Palestiniens de leurs terres ancestrales.

Mais la solution à deux États est-elle encore réaliste ? Certes, en cas de départ de l’armée israélienne des territoires occupés, les colons auront vite fait de quitter les colonies, du moins une grande partie d’entre elles, les moins importantes et les plus distantes. Mais le nombre restant laisse présager des frontières alambiquées rendant inviable l’État palestinien. Sans oublier qu’Israël, toujours sioniste, refusera tout retour des réfugiés et procédera probablement à l’expulsion des citoyens israéliens palestiniens au nom d’une « pureté ethnique » d’Israël, puisque les Palestiniens auraient leur État (une des variantes de 1947/48).

Cette solution à deux États avait atteint un grand degré de précision dans l‘Initiative de Genève du 1er décembre 2003, construite par des négociateurs israéliens et palestiniens, menés par les anciens ministres israélien Yossi Beilin et palestinien Yasser Abd Rabbo. Les accords, très détaillés, prévoyaient un règlement global du conflit israélo-palestinien comprenant :

  • le partage de la souveraineté sur Jérusalem qui serait la capitale des deux États, les quartiers arabes et l’esplanade des mosquées étant sous souveraineté palestinienne,
  • l’évacuation par Israël de 98 % de la Cisjordanie (dont la plupart des colonies) et la totalité de la bande de Gaza, et le règlement de la question de la circulation entre Cisjordanie et bande de Gaza,
  • concernant le droit de retour des Palestiniens une indemnisation des réfugiés qui auraient le choix entre plusieurs options : l’installation dans le futur État Palestinien, rester définitivement dans le pays d’accueil, aller s’installer dans un pays tiers ou le retour en Israël. Les pays tiers fixeraient un nombre de réfugiés autorisés à s’y installer et Israël devra prendre pour base le nombre moyen de réfugiés fixés par les pays tiers pour établir son propre nombre de réfugiés palestiniens autorisés à revenir.

Cette Initiative de Genève, même si elle n’a pas (encore ?) abouti, montre que, du moins sur le papier, l’entente pour une solution honorable est possible. Israël deviendrait alors un État normal, l’État de ses citoyens.

La solution à un État

La solution à un État du Jourdain à la mer, incluant les Palestiniens, n’est envisageable et techniquement possible à court ou moyen terme que via la naturalisation israélienne des populations palestiniennes des territoires occupés (5) dans un État devenu binational de facto, avec une répartition démographique d’environ 50/50 entre populations juive et musulmane-chrétienne. Soit l’annexion par Israël de la rive ouest du Jourdain et de Gaza dans le cadre du régime actuel, sans l’expulsion des Palestiniens, avec le même statut que les citoyens israéliens palestiniens actuels.

Israël a modifié sa Loi fondamentale (Constitution) pour en faire un État juif contre cette perspective, un État ethnique et non démocratique.

Mais en cas de concrétisation de cette option, elle passerait d’abord par une extension du régime d’apartheid, comme ce fut le cas pour l’Afrique du Sud. Mais comme pour l’Afrique du Sud, l’émancipation se réaliserait à terme, sous l’effet de la cohabitation pacifique et le rapport démographique. Ce ne serait que dans ce cadre, une fois Israël devenu réellement démocratique (disparition de l’apartheid puis dissolution du sionisme par voie démocratique), que le droit au retour des Palestiniens réfugiés dans les camps au Liban, en Syrie, en Jordanie et ailleurs, et leur descendance, pourrait alors être envisagé. Il est fort à parier que comme pour une fraction des « Blancs » de l’ex-Rhodésie ou d’Afrique du Sud, une partie, peut être majoritaire, des Israéliens juifs opteront pour revenir à la terre de leurs ancêtres réels, en Europe ou ailleurs.

Libération Nelson Mandela et fin de l’apartheid en Afrique du Sud, 1990 (source : Paul Tian).

Enfin, hypothèse peut-être trop spéculative, l’autodestruction d’Israël par les excès même du sionisme, selon les lois du matérialisme dialectique pour qui tout excès se transforme en son contraire. Actuellement environ 500 000 Israéliens auraient quitté « définitivement » Israël depuis Octobre 2023 (6), mouvement toujours en cours. Les demandes d’un passeport étranger se multiplient (7). Constat qu’Israël n’est plus le lieu le plus sûr du monde pour les Juifs, au contraire. Si cette émigration se poursuit massivement, si l’économie israélienne s’effondre, si le soutien occidental périclite, Israël pourrait devenir à son tour inviable, ou plutôt officiellement inviable, son budget annuel ne tenant que par la perfusion constante de milliards de dollars occidentaux.

La solution juste à long terme

Soyons optimistes. À terme le monde et l’Humanité s’attaqueront aux maux qui les traversent, le changement climatique, le sous-développement, la pauvreté, les guerres. Le conflit en Palestine finira par trouver une solution juste.

À plus long terme, la solution à un État, sans passer par la voie de l’apartheid généralisé, suppose un grand nombre d’étapes préalables, deux États puis une confédération (8). Ce qui nécessite une transformation profonde de la pensée politique en Israël, devenant majoritairement post-sioniste.

Donc en définitive, pour la Palestine, la seule solution juste et stable finira par s’imposer : un seul État démocratique de tous ses citoyens sans aucune forme de discrimination (9). Le sionisme sera alors jeté dans les poubelles de l’histoire comme l’ont été toutes les idéologies racistes.

Ce but est à atteindre, pour qu’il soit une réussite, par des chemins démocratiques et pacifiques. Car le sionisme c’est la guerre permanente, soutenu par la puissance militaire de l’impérialisme. Il faut lui opposer la paix, pas la guerre dont il se nourrit. Ce qui implique faire réaliser aux citoyens israéliens juifs que le sionisme est une voie sans issue, violente, deshumanisante, et que la meilleure option pour eux est bien celle où ils seront les égaux des Palestiniens, où ils deviendront eux aussi politiquement des Palestiniens. Il faut pour cela que les forces progressistes israéliennes retrouvent des forces, que le courant intellectuel post-sioniste parvienne à s’imposer dans le débat politique israélien. Les forces progressistes arabes doivent jouer un grand rôle dans ce basculement.

En conclusion de cet article le constat est fait que la sortie de la situation actuelle porte l’énergie de la magnitude du génocide. Elle sera donc extrême, dans un sens ou dans l’autre. L’avenir se décide maintenant.

Mokhtar Homman, le 14 mars 2025

Demain : XXIX – Que faire ?

Notes

  1. L’annexion du Golan par Israël par un vote de la Knesset eut lieu le 14 décembre 1981, le lendemain du coup de force de Jaruzelski en Pologne le 13 décembre 1981, afin de profiter de l’attention des médias et des politiques sur les évènements en Pologne. Le 17 décembre 1981, le Conseil de Sécurité de l’ONU vote la résolution 497 condamnant cette annexion. L’annexion dure toujours et s’étend.
  2. Source : Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), informations actualisées sur la barrière de séparation, 2021.
  3. « Massacre des innocents » : référence à deux récits où, selon la légende, Hérode aurait fait tuer tous les enfants de moins de deux ans dans la région de Bethléem (ou de Syrie), le récit évangélique, peut être une reprise d’un récit biblique où le Pharaon aurait fait tuer tous les nouveau-nés israélites mâles.
  4. Arnon Soffer, professeur de géographie à l’Université d’Haïfa, The Jerusalem Post, 10 Mai 2004, cité dans Ilan Pappé : Le nettoyage ethnique de la Palestine, p. 317.
  5. Marwan Bishara : Palestine/Israël : La paix ou l’apartheid, p. 116. « Il y a donc deux façons pour les Palestiniens de coexister durablement et pacifiquement avec les Israéliens : ou bien on leur accorde leur droit à l’autodétermination dans leur propre État souverain dans les territoires occupés en 1967, y compris Jérusalem-Est, ou bien ils sont naturalisés dans un État Israël/Palestine, comme le million de citoyens israéliens-palestiniens, qui serait alors un État binational ou une démocratie élue au suffrage universel ». Mais cette option était écrite en 2001, dans des conditions très différentes aux actuelles.
  6. Le journal israélien en hébreu Zaman Israël (Times of Israël) indiquait le 7 décembre 2023 que « depuis le début de la guerre, environ 370 000 Israéliens ont quitté le pays, dont 230 309 entre le début de la guerre et la fin octobre, et 139 839 autres au cours du mois de novembre dernier », sans que l’on sache s’il s’agissait de départs définitifs. Toujours selon la même source le nombre de départs, définitifs ou provisoires, augmentait à 550 000 en Juin 2024. Il s’agirait d’environ 7% de la population juive ! En 2020 21 000 départs définitifs étaient enregistrés, contre 10 000 immigrations.
  7. « Un diplomate européen de haut rang explique en off que les demandes de passeports sont en forte hausse dans les consulats occidentaux, cinq fois plus que l’année dernière à la même époque. Cinq millions d’Israéliens auraient déjà un second passeport, soit la moitié de la population ». In Jean Stern : « The Tel Aviv à Haïfa : tu crois que c’est la fin d’Israël ? », Orient XXI du 28 Avril 2024. Passeport pouvant être obtenu facilement car leurs vrais ascendants sont européens !
  8. Pour un intéressant débat sur les options possibles, Noam Chomsky & Ilan Pappé : Palestine.
  9. Charte de l’OLP ; Shlomo Sand : Comment le peuple juif fut inventé ; Yakov M. Rabkin : « L’opposition juive au sionisme », p.19.

Bibliographie

Bishara, Marwane : Palestine/Israël : La paix ou l’apartheid. Éditions La Découverte, Paris, 2001.

Chomsky, Noam & Pappé, Ilan : Palestine. Les Éditions Écosociété, 2016 (Tarik Éditions, 2016, au Maghreb)

Pappé, Ilan : Le nettoyage ethnique de la Palestine. Éditions Fayard, 2006 (La fabrique éditions, Paris, 2024, nouvelle édition).

Rabkin, Yakov M. : « L’opposition juive au sionisme ». Entretien avec Pascal Boniface. La revue internationale et stratégique, n° 56, hiver 2004-2005, pp. 17-23.

Sand, Shlomo : Comment le peuple juif fut inventé. Éditions Fayard, Paris, 2008 (Éditions Champs, Paris, 2024, nouvelle édition).

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