L’honneur du cinéma

C’est un palmarès magnifique qui vient clore la 16e édition du festival international du film de Marrakech. «Avec Béla Tarr à la tête du jury, nous savions et nous étions sûrs que les films de la compétition officielle étaient entre de bonnes mains», nous dit un familier historique du festival.  Un palmarès qui fait triomphe au cinéma ; qui met en avant un cinéma fort de son ancrage esthétique et de sa dimension humaniste. C’est en outre un palmarès clin d’œil à l’avenir avec la consécration des premières œuvres (quatre sur les cinq primées).

Le grand prix,  l’Etoile d’or de Marrakech, est allé au film chinois, The donor de Zang qiwu. C’est le récit d’un père qui, face aux risques de voir sa modeste demeure démolie par les nouveaux projets d’urbanisation, cherchent de l’argent pour empêcher cela. Mais son petit boulot de réparateur de motocycles parvient à peine à subvenir aux nécessités de la vie quotidienne et aux frais de la scolarité de son fils unique (on est en Chine). Il décide de vendre un rein à un jeune riche qui en a besoin pour  sauver sa sœur, «le soleil de sa vie». Il touche une importante somme et les deux familles font connaissance sous un faux prétexte, le père ayant caché la transaction à sa petite famille. Manque de chance, le rein ne fonctionne pas, «le donneur est trop âgé». Le jeune riche se tourne alors vers le rein du jeune garçon qu’il parvient à séduire avec d’alléchantes promesses (argent, études aux USA…). Mais le père refuse ; résiste à l‘harcèlement du jeune bourgeois. Il ne veut pas va voir son fils amputé d’une partie de son corps. Mais celui-ci a atteint l’âge de 18 ans et n’a donc pas besoin de la permission du père ; il a ses propres projets. Le père est alors acculé à une décision fatale.

Au-delà de cette dimension mélodramatique, «The donor» est d’abord une œuvre d’une grande beauté esthétique avec des plans époustouflants de la ville quadrillée par le réseau ferroviaire qui écrase toute vie humaine et par des autostrades qui réduisent les hommes à des fourmis. Le père, personnage tragique, évolue déjà dans un univers sans issue. Le film est en outre un constat accablant de la Chine du capitalisme cupide où une nouvelle classe sociale s’offre le luxe de tout pouvoir acheter. Tout se négocie comme une transaction commerciale. Le don d’organes, ultime geste de générosité humaine, devient une bonne affaire à traiter comme une marchandise. Le tout est inscrit dans une logique temporelle qui confine à la méditation.

C’est un autre film chinois qui a décroché le prix de la réalisation   pour «Knife in the clear water» de Wang Xuebo; Le récit, dans un style qui-documentaire, d’une communauté recluse (l’islam en Chine) loin de la Chine capitaliste et mercantile filmée dans «The donor». Dans les montagnes reculées de la province de Ningxia, le vieux Ma Zishan porte le deuil de sa femme, aimée de tous dans le village. À l’occasion de la cérémonie traditionnelle des 40 jours depuis sa disparition, leur fils souhaite sacrifier l’unique taureau appartenant à la famille. Ma Zishan ne s’y oppose pas, même si le chagrin et l’amour qu’il éprouve pour le vieil animal le font hésiter. Mais ses prières ou même l’imam ne parviennent pas à lever ses doutes. Jusqu’à ce qu’un matin, le vieux taureau arrête de boire et de manger, comme s’il pressentait sa mort imminente…

Le prix du jury est allé à un film co-produit par l’Italie et l’Australie, «Mister Universo» de Tizza Covi  et Rainer Frimmel : le film le plus simple dans son écriture, le plus profond dans son humanité. Les personnages incarnent leur propre rôle. Tairo, un jeune dompteur de lions, n’est pas heureux. La disparition de son porte-bonheur lui sert de prétexte pour partir en voyage à travers l’Italie à la recherche d’Arthur Robin, un ancien Mister Univers, qui le lui avait jadis offert. Mais dans le hors champ, son amie qui croit encore plus que lui au fétichisme

C’est sans surprise que le film irano-afghan, Parting,  a décroché le prix de l’interprétation féminine. C’est l’histoire de deux jeunes Afghans, Fereshteh et Nabi, s’aiment passionnément mais Fereshteh doit suivre ses parents qui quittent le pays pour se réfugier en Iran. Quelque temps après, Nabi décide de traverser illégalement la frontière pour rejoindre sa bien-aimée et l’emmener avec lui vers une vie meilleure en Europe.

«Partir» reprend cette image de la frontière physique  et géographique puisqu’ il traite de clandestins toujours mais cette  fois ce sont des Afghans qui transitent par l’Iran et qui font cap vers l’Europe via la Turquie. Le film islandais, «Cœur de pierre», qui a décroché le prix d’interprétation masculine pour ses deux prodiges adolescents qui ont séduit le public du palais des congrès, aborde lui une autre traversée, plus psychologique, celle du passage de l’adolescence à l’âge adulte (le mot apparaît sur une affiche dans une chambre des enfants). Comment se constituer une identité (sexuelle et psychologique au premier degré) est la question centrale dans le film.  Le cinéaste met en avant les conditions sociales qui entravent tout épanouissement individuel : groupes sociaux compartimentés (les filles; les garçons; les adultes…), des familles déchirées; un environnement délabré à l’image du cimetière des véhicules. Du coup, le passage d’un univers à un autre s’avère douloureux  et coûteux… On ne revient jamais indemne d’une traversée de frontières.

M.B

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