Gare à 2030 !
Pr. Jamal Eddine NAJI
La première guerre de décolonisation au monde eût pour théâtre Casablanca. Le Général Drude bombarda la ville, avec le soutien d’une canonnière espagnole, détruisit la ville, faisant 1700 morts (3000 selon des sources allemandes) en couplant l’attaque navale avec des bombardements incendiaires (à la mélinite, composé chimique explosif à l’acide picrique).
Cette « guerre de la Chaouia » comme la nommèrent les envahisseurs (y compris un bataillon de tirailleurs algériens) dura du 5 au 22 Août 1907. Six mois avant, le Général Lyautey occupait Oujda tout en lorgnant vers Casablanca. Les tribus de la Chaouia mobilisèrent la population de la ville (30.000, à l’époque), s’en suivent de violentes émeutes… L’origine de la confrontation ? Le chemin de fer !
Le 29 juillet, chefs de tribus de la Chaouia et émeutiers bidaouis exigeaient la destruction du chemin de fer en construction, jouxtant le cimetière de Sidi Belyout (enseveli depuis pour ce besoin colonial), et que les Français comptaient utiliser pour transporter les matériaux nécessaires à la construction du grand port de Casablanca. Le 30 juillet, les émeutiers détruisirent ces premiers rails. L’histoire du pays avec le chemin de fer commença à cette date, date aussi de la deuxième destruction de la ville, plus de quatre siècles après avoir été détruite (Anfa à l’époque) par les Portugais… En 1469, les Portugais attaquèrent la ville depuis 50 navires, avec 10 000 hommes et les habitants d’Anfa, durent fuir vers Rabat et Salé, ne pouvant se défendre. La ville resta inhabitée pendant trois siècles.
La gare de Casa-Port est donc l’ancêtre historique de nos gares, la plus grande et se voulant au look le plus moderne…La plus pratique en termes de services ? A voir… Quand l’agent (e) au guichet des billets vous confirme que votre train rentrera bientôt au quai 5, comme affiché sur les nombreux écrans qui décorent la gare, vous rejoignez ce quai confiant… Mais quand vous vous rendez compte que les voyageurs se précipitent vers le train stationné sur le quai 6, alors que le quai 5 est encore désert, vous vous sentez un peu perdu. Ni train ni voyageurs en attente sur le quai 5, vous doutez de l’information reçue au point d’aborder timidement un agent de quai pour lui demander si votre train partira bien du quai 5, comme affiché même sur les écrans trônant sur les quais… «Non, ça a changé, votre train est au quai 6, vous voyez bien qu’il n’y aucun train au quai 5 !» … Oui mais le 5 est sur les écrans et « vendu » par le guichetier (e) !
A l’origine de la communication humaine comme pour son utilité, la conversation, l’échange face à face entre humains, est la voie la plus sûre pour se mouvoir dans le monde, pour ne pas sortir des rails…ou se tromper de voie, de quai en l’occurrence.
Oralité sans langue
Quand, trois mois plus tard, dans la même gare hyper connectée, l’agent de quai vous confirme que votre train annoncé/affiché pour le quai 6, comme celui initialement prévu pour le quai 4 sont annulés, vous montez dans le train en arrêt sur le quai 5, puisque ses portes sont ouvertes, le départ étant prévu dans 20 minutes…Ce qui explique qu’il soit encore vide… Mais, au bout de 10 minutes, une dame chargée de services de propreté monte et, par civisme des gens modestes, vous avise que ce train ne part plus ! Il fait partie des annulés ! « Il faut voir l’autre… » … Celui stationné sur le quai 8 qui semble sur le point de bouger ! Juste à temps pour y monter, la distance entre quai 5 et quai 8 étant moins confuse et tortueuse que les infos reçues des agents, en principe, au service – conséquent- des voyageurs (es)…
Parfois oui, parfois non : des agents assistent et guident les voyageurs… Pour savoir si la classe 2 ou la classe 1 est au début ou à la fin, il faut parfois courir le long du train… Là encore, pas mieux que d’user de l’oralité et demander… quand, par chance, il y a un agent sur les quais…
Mais l’oralité a ses limites. Elle pourrait aussi devenir inconséquente, c’est-à-dire ne point aider le voyageur en conseils ou infos menant à bon port, pardon, à la bonne classe, au bon quai, à la bonne voiture pour retrouver la bonne place quand les places sont numérotées (cas du TGV, fierté nationale, à juste titre). Quand on pense que notre réseau ferroviaire a commencé son existence il y a plus d’un siècle, en 1908, dans cette «gare aux martyres» de Casa, par une ligne Casa-Berrechid !
Projetez-vous en l’an 2030, RDV mondial de notre sport roi, le football… Quelle oralité peut fonctionner, et même les écrans d’affichage électronique, face à la foire de langues à venir, peu ou pas du tout usitées sur nos quais et dans nos gares : anglais, espagnol, portugais, hollandais, italien… Combien d’agents polyglottes nous faudrait-il à pied d’œuvre pour nos services d’assistance aux voyageurs… Et quelles langues afficheront les écrans d’info dans les gares ? Quelles ressources humaines et quelles formations sur ce registre planifier à temps pour dans cinq ans, au plus ?
Parions que ces interrogations, entre mille, finiraient par trouver leurs réponses, compte tenu du fait que l’horizon 2040 porte de telles ambitions et que dix ans avant, en 2030, cet horizon mondial devrait déjà préfigurer ses promesses et objectifs… L’année 2030 pourrait être une étape déterminante quant au succès du «Plan Rail Maroc 2040», ce schéma directeur du chemin de fer qui nous annonce desservir, avec un budget de 375 milliards dhs, 43 villes (23 actuellement), 12 ports (6 en ce moment), 15 aéroports (1 seul maintenant) et donc relier 87% de notre population au rail, avec création de 300.000 emplois… Puisse ce plan nous rassurer sur sa marche, dès à présent, sur les rails de la communication, cette 1ère assistance aux voyageurs, les nationaux comme les étrangers… étrangers qui débarqueront chez nous si nombreux et si divers en 2030…Ce service d’assistance, gare à ce qu’il ne déraille pas en 2030 !