Sionisme, antisionisme et antisémitisme
Mokhtar Homman
Profitant de l’impact émotionnel provoqué lors de la libération des camps de concentration nazis, le sionisme va habilement imposer la création de l’État d’Israël en Palestine, qui comptait déjà 50% d’Européens juifs, lors des premières résolutions de la nouvelle ONU.
C’est ainsi que les puissances occidentales sous influence sioniste et pour se dédouaner de leur inaction puis, pour certaines, de leur collaboration avec le nazisme, et l’URSS, croyant encore à la nature progressiste du sionisme en espérant une politique anti britannique de ses dirigeants (1), vont faire adopter la résolution 181 de l’ONU créant, sous conditions, deux États juif et palestinien, avec des frontières définies. La principale condition était l’organisation d’un référendum pour les populations palestiniennes et européennes juives pour valider cette résolution, référendum qui n’aura jamais lieu. Cette absence de référendum est de facto une invalidation juridique à la création d’Israël par l’ONU.
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Délimitation des territoires selon la résolution 181 de l’ONU (source : L’Histoire).
La suite est bien connue. Fondation de l’État d’Israël en 1948, expulsion terroriste des Palestiniens, guerre arabo-israélienne aboutissant à un armistice sur les frontières de 1949, dite ligne verte, plus larges que celles définies par l’ONU en 1947, qui seront internationalement reconnues. Quant à la résolution 194 adoptée le 11 Décembre 1948 par l’ONU, qui « décide qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible », elle sera appliquée sporadiquement, quelques dizaines de milliers de Palestiniens de retour dans les années cinquante, mais le droit au retour des Palestiniens chassés de leur terre ne sera pas respecté.
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Délimitation des territoires après la guerre de 1948/49 (source : L’Histoire).
D’éminents intellectuels juifs vont refuser de s’associer à la création d’Israël tel que défini par le projet sioniste.
Albert Einstein écrivait en 1938 : « Je ne peux pas comprendre pourquoi il est nécessaire d’avoir un État juif. Avec une organisation internationale, nous pourrions vivre côte à côte avec les Arabes. ». Il plaidait pour une société fondée sur l’égalité avec les Arabes et ne soutenait le sionisme que pour son versant renouveau culturel (2).
Hannah Arendt était critique envers la vision sioniste de l’État-nation juif. Elle craignait qu’Israël devienne un État militarisé et exclusif, fondé sur le nationalisme et l’exclusion des populations arabes. Elle plaidait pour une solution binationale en Palestine, où Juifs et Arabes pourraient coexister sur un pied d’égalité. Elle a dénoncé les massacres, comme celui de Deir Yassin, et a averti des dangers du militarisme sioniste (3).
Le philosophe et penseur religieux israélien Yeshayahu Leibowitz (1903-1994) a critiqué les dérives du sionisme après la création d’Israël. Il dénonçait l’occupation des territoires palestiniens après 1967, qu’il considérait comme moralement inacceptable. Leibowitz avertissait que le contrôle d’Israël sur les Palestiniens corromprait les valeurs juives et démocratiques de l’État (4).
L’émigration forcée
Les dirigeants sionistes étaient conscients du déficit démographique du nouvel État, au-delà du projet sioniste de regroupement de tous les Juifs en Palestine. En accord avec les puissances occidentales, qui ne voulaient pas de Juifs chez elles comme nous l’avons rapporté dans l’article précédent, plusieurs vagues d’émigration auront lieu.
Nous avons déjà évoqué comment l’émigration juive en Palestine aura une composante forcée via les restrictions à l’immigration aux États-Unis en 1924, les accords sionisme/nazisme en 1933/38, le transfert des survivants du nazisme en 1945/48. Il s’agit là du transfert forcé des Européens juifs, communément désignés comme Ashkénazes. Beaucoup plus tard, suite à une campagne médiatique occidentale massive sur les « refuzniks », une émigration massive des Soviétiques juifs (5) eut lieu en 1990/91. Chaque « refuznik » bénéficiait immédiatement d’un visa d’immigration en Occident, passait dans les médias pour dénigrer l’antisémitisme soviétique. Quand l’URSS décida de permettre l’émigration libre des Soviétiques juifs en direction des États-Unis, qui figuraient comme appât à la candidature de départ, elle rapidement réorientée vers Israël, toujours en déficit démographique juif, surtout ashkénaze (6), à la suite d’un nouveau durcissement opportun de la politique d’immigration américaine et la négation de visas européens. Quelques « refuzniks » étaient glorieusement les bienvenus en Occident, des centaines de milliers de Juifs certainement pas, comme cinquante ans auparavant. C’est ainsi que le sionisme trompait les Juifs.
Cette émigration forcée sera aussi le cas pour les Juifs dits « orientaux », c’est-à-dire les Arabes au sens large (7), Iraniens et autres, communément appelés Séfarades.
Étymologiquement séfarade est le terme hébreu pour ibère, espagnol ou portugais, ce qui fait que son extension à tous les non ashkénazes efface l’origine arabe, berbère, perse et autres de la grande majorité des séfarades, les « européanisant » (8). La propagande sioniste auprès des Juifs séfarades, dans une vision déformée des réalités « orientales » par sa vision ashkénaze, les enjoints à quitter la terre de leurs ancêtres sous le risque imaginaire d’extermination du fait de leur assimilation au sionisme et donc à l’occupation coloniale en Palestine. Une forte émigration vers Israël, mais aussi vers d’autres pays, aura donc lieu par vagues successives, notamment à partir des indépendances arabes et de la guerre de 1967.
Tous ces Séfarades qui émigrèrent vers Israël connaîtront un statut de citoyens de deuxième catégorie (9), leur origine arabe étant sujet au mépris des Ashkénazes, en moyenne plus éduqués et imbibés d’idéologie sioniste, un racisme intra-juif propre aux racines européennes du sionisme. Les Palestiniens musulmans et chrétiens restés en Israël seront eux des citoyens de troisième catégorie (10), ceux des territoires occupés des non-citoyens.
L’extension des frontières
Conformément au projet sioniste, qui a besoin de surface pour y installer tous les Juifs du monde, Israël va provoquer et exploiter toutes les occasions pour étendre ses frontières.
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Extension du territoire contrôlé par Israël depuis 1946, avant la résolution 181 de l’ONU, jusqu’à nos jours (source : ritimo.org).
Une colonisation rampante et massive
Sans prendre en compte la colonisation avant 1967, car toute l’immigration juive en Palestine est de facto une colonisation par sa forme violente et expropriatrice (à la différence d’une immigration à titre individuel pour des raisons personnelles) voici une synthèse de l’évolution démographique des colonies israéliennes dans les territoires occupés, y compris Jérusalem-Est (11) depuis la guerre des six jours.
Année | Nombre de colons et répartition (approximatif) | % croissance annuelle moyenne sur la période |
1967 | 0 | |
1972 | 10 000 | |
1989 | 200 000 : Cisjordanie : 70 000Jérusalem – Est : 117 000Golan : 10 000Gaza : 3 000 | + 19,3%/an |
2004 | 442 000 : Cisjordanie : 235 000Jérusalem – Est : 182 000Golan : 17 000Gaza : 8 000 | +5,4%/an +8,4%/an +3,0%/an +3,6%/an +6,8%/an |
2010 | 535 000 : Cisjordanie : 314 000Jérusalem – Est : 199 000Golan : 20 000Gaza : 0 (retrait israélien en 2005) | +3,2%/an +5,0%/an +1,5%/an +2,8%/an -100% |
2020 | 705 000 Cisjordanie : 440 000Jérusalem – Est : 230 000Golan : 35 000Gaza : 0 | +2,9%/an +3,4%/an +1,5%/an +5,8%/an 0% |
2022 | 710 000 | +0,5%/an |
1989/2020 | 197 000 è 705 000 Cisjordanie : 70 000 è 440 000Jérusalem – Est : 117 000 è 230 000Golan : 10 000 è 35 000Gaza : 8 000 è 0 | +4,2%/an +6,1%/an +2,2%/an +4,1%/an -100% |
1972/2022 | 10 000 è 710 000 | +8,9%/an |
Tableau de la croissance démographique des colons dans différentes zones des territoires occupés entre 1967 et 2022.
On constate donc un accroissement soutenu de la colonisation avec un taux moyen annuel de presque 9% sur 50 ans. De plus cette colonisation occupe 61% (12) de la surface de la Cisjordanie pour 710 000 colons, contre 39% pour les 4,8 millions de Palestiniens dont 2,1 millions à Gaza (365 km2) et 2,9 millions en Cisjordanie et Jérusalem-Est (5 727 km2) en 2019 (13). Ajoutons à cela près de 600 barrages routiers entravant la circulation des Palestiniens dans les zones non-interdites (14).
Le nombre de réfugiés palestiniens enregistrés auprès de l’UNRWA (15) s’élevait, en décembre 2019, à 5,6 millions : 1,4 million à Gaza, 858 000 en Cisjordanie, 2,2 millions en Jordanie, 476 000 au Liban et 562 000 en Syrie.
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Délimitation des territoires selon les accords d’Oslo (source : L’Histoire).
Nous résumons ci-après les populations par zones suivant les accords d’Oslo (1993).
Zone | Population (2022) | Surface | Densité hab/km2 |
Israël (ligne verte) | 6,3 millions Israéliens juifs (7 millions – 740 000 colons) 2 millions Israéliens palestiniens (musulmans et chrétiens) 478 000 Israéliens autres | 20 770 km2 | 400 |
Golan occupé | 30 000 Israéliens 20 000 Syriens druzes | 1 154 km2 | 43 |
Jérusalem-Est occupé | 233 300 Israéliens 361 700 Palestiniens | 148 km2 | 4020 |
Cisjordanie colonisée (zone C sous juridiction israélienne) | 476 700 Israéliens | 3 493 km2 (61% de 5 727 km2) | 136,5 |
Cisjordanie (zones A et B sous juridiction israélienne Autorité Palestinienne) | 2,9 millions Palestiniens | 2 234 km2 (39% de 5 727 km2) | 1300 |
Gaza | 2,1 millions Palestiniens | 365 km2 | 5750 |
Tableau des populations et densités des différentes zones de la Palestine historique.
La densité à Gaza est supérieure à celle de la ville de Jérusalem-Est. En Cisjordanie la zone « contrôlée » par l’Autorité Palestinienne est dix fois plus dense que la zone colonisée.
Le projet sioniste prévoit l’installation de tous les Juifs du monde en Israël. En maintenant la même densité, la surface de l’Israël officiel devrait tripler. Par conséquent le sionisme est incompatible avec la création d’un État palestinien dans les territoires occupés.
D’autre part la colonisation en Cisjordanie, en surface et en structure, a aussi pour objectif rendre impossible la création d’un État palestinien sur les territoires occupés si la grande majorité des colonies ne sont pas démantelées.
Enfin dans une région à pluviométrie réduite, l’accès à l’eau est stratégique. Les hauteurs du Golan, le lac Tibériade, le Jourdain et la mer Morte sont indispensables au projet sioniste.
En synthèse l’évolution du peuplement juif et des colonies dans les territoires occupés correspond exactement au projet sioniste. Cet expansionnisme est vital pour le sionisme, sa raison d’être. Il n’a jamais cessé malgré les appels internationaux et les résolutions et condamnations de l’ONU. Nous avons déjà vu qu’Israël ne respecte aucune disposition du droit international et agit en faits accomplis, souvent en trompant ses interlocuteurs les plus dévoués. Nous verrons dans un prochain article que cela implique un état de guerre permanente. Mais avant nous ferons une analyse des alliés du sionisme.
Mokhtar Homman, le 21 Février 2025
XI – Les alliances du sionisme
Notes
- À la suite de la guérilla menée depuis 1944 par les milices sionistes armées contre les Britanniques.
- Source : The Collected Papers of Albert Einstein, Princeton University Press.
- Source : Hannah Arendt: The Jewish Writings.
- Source : Yeshayahu Leibowitz: Judaism, Human Values, and the Jewish State.
- Parmi eux certains non juifs, en tout cas pour la plupart loin du Judaïsme. Ils sont en grande partie les plus fervents partisans de la déportation des Palestiniens.
- Les Juifs orientaux constituent la grande majorité des Israéliens juifs. Le sionisme de culture ashkénaze pratiquait une forte discrimination à leur égard. Les Soviétiques ashkénazes, mais pas les Géorgiens, étaient favorisés dans leur installation.
- Notamment les Marocains et les Yéménites, qui ont une grande influence culturelle en Israël.
- Julien Cohen-Lacassagne : Berbères juifs, p. 31 et suivantes. Les vrais séfarades, en bon nombre originaires du Maroc au moment de la conquête de l’Andalousie, se réfugièrent au Maroc en fuyant les persécutions et expulsions de l’Espagne de la Reconquista. Plus cultivés et plus riches que leurs coreligionnaires berbères, ils finirent par leur imposer une identification plus prestigieuse.
- Ella Shohat : Le sionisme du point de vue de ses victimes juives, sur « l’oppression structurelle que subissent les juifs orientaux en Israël », p. 43 et suivantes.
- Sylvain Cypel : L’État d’Israël contre les Juifs, p. 83 et suivantes.
- Sources : Colonies israéliennes — Wikipédia (1972-2020), https://plateforme-palestine.org/Colonies-les-chiffres-cles-2023?utm_source=chatgpt.com (2022).
- Source : Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), zone C, 2021.
- Source : OCHA, Occupied Palestinian Territory – Humanitarian Atlas, 2019.
- Source : OCHA, Territoire palestinien occupé, aperçu des besoins humanitaires 2021, décembre 2020.
- Source : UNRWA in Figures.
Bibliographie
Cohen-Lacassagne, Julien : Berbères juifs. L’émergence du monothéisme en Afrique du Nord. La fabrique éditions, 2020.
Cypel, Sylvain : L’État d’Israël contre les Juifs. Éditions La Découverte, Paris, 2020.
Shohat, Ella : Le sionisme du point de vue de ses victimes juives. Les juifs orientaux en Israël. La fabrique éditions, Paris, 2006.