Un événement exceptionnel mettant en lumière les enjeux de la préservation et de la transmission

Célébration du 20e anniversaire de l’inscription de la Cité portugaise de Mazagan au patrimoine mondial de l’Unesco

DNES à El Jadida : Mohamed Nait Youssef

Tout le monde y était pour célébrer un temps fort, un instant exceptionnel. Il est 9h30. L’emblématique Théâtre de la cité portugaise à El Jadida a réuni, jeudi 20 février 2025, une belle brochette de chercheurs, d’architectes, d’experts, d’historiens dans le domaine du patrimoine pour célébrer le 20e anniversaire de l’inscription de la Cité portugaise de Mazagan au patrimoine mondial de l’Unesco.

Un joyau architectural et civilisationnel témoin de la diversité, de la richesse et de l’histoire partagée entre le Maroc et l’Europe. Organisé sous l’égide de la Province d’El Jadida, et en partenariat avec la Direction Provinciale de la Culture d’El Jadida et Sidi Bennour et l’Université Chouaib Doukkali, l’Association « Doukkala Mémoire pour la Préservation du Patrimoine» a mis en lumière, par biais  d’une série d’activités et de tables rondes,  l’importance majeure  de cette inscription et de cette reconnaissance l’Unesco. En effet,  cette célébration, placée sous le thème : «Héritage pour demain : préserver le patrimoine face aux défis du futur» a été marquée par l’organisation d’une journée de réflexion et de débats entre les différents acteurs et figures emblématiques des mondes de la culture, du patrimoine, de la société civile afin de réfléchir et d’échanger sur les défis relatifs  à la préservation du patrimoine et ses rôles important dans le développement économique, social, touristique et territorial.

Abdelahad Fassi Fihri : le patrimoine, un vecteur essentiel du développement

«Nous sommes convaincus que notre attachement au patrimoine est, certes, d’ordre affectif. Mais, cet amour pour le patrimoine devient encore plus fort lorsqu’il est fondé sur la connaissance de l’histoire. Nous souhaitons que cet instant soit un moment de débat, en réunissant des acteurs politiques, scientifiques, universitaires et architectes, avec des échanges extrêmement fructueux.», a souligné Abdelahad Fassi Fihri, Président de l’Association Doukkala Mémoire. Et d’ajouter : «Nul doute que cette rencontre sera, à l’avenir, perçue comme un moment clé dans l’engagement en faveur de la préservation du patrimoine, et plus largement au service du développement économique et social de cette ville.»

Selon lui, cette rencontre constituera également un élément essentiel pour renforcer les liens au sein de la communauté, uni par un objectif commun : la préservation de ce patrimoine irremplaçable.

Par ailleurs, l’inscription de la cité portugaise en tant que patrimoine mondial représente, poursuit-il,  un acquis et une reconnaissance de l’importance de ce patrimoine, tant pour sa beauté et son esthétique que pour son rôle de témoin du passé et de l’histoire. « Loin de toute vision passéiste, nous considérons le patrimoine comme un vecteur essentiel du développement.», a-t-il rappelé.

André Azoulay, conseiller de S.M le Roi : ‘’On protège les pierres pour les faire parler’’

Intervenant lors d’une conférence plénière sur le thème«Héritage pour demain: préserver le patrimoine face aux défis du futur», André Azoulay, conseiller de S.M le Roi, a affirmé que le Maroc est aujourd’hui l’un des grands leaders et un des grands pays dans le monde.

«Notre pays incarne une grande civilisation.», a-t-il révélé. Au Maroc, poursuit-il, on ne protège pas les pierres simplement pour les admirer, on les protège pour les faire parler parce qu’elles sont à la fois le témoin, elles sont l’incarnation de résilience de notre pays, et elles nous racontent à la fois les pages les plus glorieuses de notre très grande histoire. «Ici, en terre d’islam, notre pays a su ne rien laissé sur la route.», a-t-il indiqué.

D’après lui, notre leadership est fait de ces valeurs que nous avons su protéger. «Nous avons érigé la diversité dans sa légitimité historique.», a-t-il fait savoir.

Ainsi,  nous marocains, dit-il, nous savons aborder notre histoire dans ses pages glorieuses, mais aussi dans ses pages difficiles, dans ses pages tragiques.

«Aujourd’hui, nous sommes dans une situation, dans la capacité de ne pas mettre de côté les pages noires de notre histoire, de voir l’histoire dans sa globalité ; une histoire inclusive, une grande Histoire parce qu’on sait la lire. », a-t-il expliqué. Et d’ajouter : «on n’écrit pas l’histoire, on n’appelle pas au patrimoine de façon sélective, en fonction des aléas de l’instant ou des modes du moment. Ça doit être une approche objective, globale et loyale.»

En outre, cette approche de notre patrimoine, a-t-il insisté, n’est pas simplement basée sur l’instinct de conservation, car  ce patrimoine  incarne,  installe et dit à chacune et à chacun de nous une grande histoire, et cette histoire n’est que des valeurs.

«Aujourd’hui, dans mon pays, et malgré les aléas de l’instant, malgré les tragédies du moment, on sait prendre la juste mesure des choses et faire la différence.», a-t-il affirmé.

Carlos Pereira Marques, Ambassadeur du Portugal au Maroc : un caractère unique et irremplaçable

L’Ambassadeur du Portugal au Maroc, SEM Carlos Pereira Marques, a souligné, pour sa part, que cette inscription atteste du caractère unique et irremplaçable de l’ensemble monumental d’El Jadida. « Votre présence est la preuve de l’importance et de la priorité que le Maroc accorde à la préservation de ce patrimoine pour les générations futures », s’est-il exprimé lors de la rencontre.

Selon lui, la très célèbre citerne portugaise est unique au monde. « Nous n’avons pas de telles citernes au Portugal, ni des forteresses comme celles que nous avons bâties tout au long de la côte marocaine. Il s’agit d’un patrimoine d’une richesse exceptionnelle qui fait pleinement partie des nombreux atouts culturels et touristiques du Maroc, et qu’il faut préserver et valoriser », a-t-il souligné.

Le patrimoine, une manne à valoriser et  à préserver…

Azzedine Azim, Président de l’Université Chouaib Doukkali estime que le patrimoine culturel met en lumière l’importance de l’action humaine dans la compréhension de l’espace où nous vivons. Il joue, dit-il, un rôle primordial en en liant le présent au passé et en faisant entendre la voix de ceux qui nous ont précédés, à travers différentes formes d’outils architecturaux et d’expressions linguistiques, dans lesquelles plusieurs styles se superposent, mais se fondent pour donner à un groupe humain ou à un peuple son identité culturelle, le distinguant ainsi des autres.

D’après lui, l’importance de ce joyau architectural et civilisationnel réside non seulement dans ses spécificités esthétiques et architecturales, que l’on peut observer ou toucher, et qui, d’une manière ou d’une autre, mais contribuent également au renforcement des liens, d’harmonie sociale, de confiance et de savoir partagé. Il contribue également, à un autre niveau, à renforcer et dynamiser l’économie, notamment locale et régionale, a-t-il expliqué. «La politique archéologique est devenue un levier majeur de l’économie mondiale et une industrie qui participe à dynamiser l’économie, pour plus de progrès et de prospérité.», a-t-il fait savoir.

De son côté, Abdelilah Nafis, Directeur Provincial de la Culture d’El Jadida et Sidi Bennour, a salué les efforts déployés par l’association Doukkala Mémoire pour la sauvegarde du patrimoine, ainsi que les rôles accomplis par tous les partenaires pour faire en sorte que cet événement se déroule dans les meilleures conditions. D’après lui, le patrimoine est un bien global et inclusif. Il révèle une part de notre histoire, de notre authenticité, de notre identité, et témoigne de nos racines profondes. Par ailleurs, l’intervenant  a mis l’accent sur la diversité et la richesse du patrimoine marocain, tant matériel qu’immatériel, au niveau national et régional. Il a également rappelé l’importance de Mazagan, qui témoigne de manière exceptionnelle des diverses influences de la culture européenne et marocaine, visibles dans l’architecture. «Cette célébration nous pousse à renouveler notre travail, à créer des partenariats et à bâtir des ponts afin de donner plus de rayonnement à Mazagan, tant sur le plan national qu’international, dans le cadre d’une  vision participative.», a-t-il affirmé.

« La Cité Portugaise de Mazagan, histoire d’une reconnaissance »

La première table ronde, intitulée «La Cité Portugaise de Mazagan, histoire d’une reconnaissance », a réuni un beau parterre de chercheurs venus de divers horizons pour apporter des éclairages sur l’histoire de la Cité Portugaise de Mazagan et de son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO.

En effet, après avoir dressé un aperçu des spécificités historiques, architecturales et patrimoniales de ce lieu emblématique, Azzedine Kara, Directeur du Centre des Études sur le patrimoine subaquatique, a mis l’accent dans son intervention intitulée «La cité portugaise de Mazagan, entre l’acquis du classement et les défis de la préservation »,  sur les étapes importantes du processus de classement. L’intervenant a évoqué les particularités de la cité portugaise, le parcours du classement du site, ainsi que les critères sur lesquels se sont basés les experts de l’UNESCO. Par ailleurs, l’expert en patrimoine a rappelé les défis à relever pour maintenir cette reconnaissance mondiale.

Abdellah Filli, historien et professeur d’enseignement supérieur, est revenu dans sa communication intitulée « La cité portugaise de Mazagan, patrimoine universel dans son environnement régional : besoin d’une approche globale et intégrée » sur l’importance de valorisation de la Mazagan, soulignant qu’il s’agit à la fois d’une question identitaire et d’un atout pour le développement social, économique et culturel. Il a également mis en évidence l’importance de l’histoire de la région de Doukkala et de la Cité portugaise sur les plans économique, historique et culturel.

Toutefois, il a mis en lumière les spécificités archéologiques et culturelles qu’il convient de préserver, tout en soulignant que Mazagan représente une manne économique à valoriser. « Il faudrait que ce patrimoine vivant soit un vecteur de développement économique et social », a-t-il affirmé. Cette valorisation, a-t-il ajouté, est un processus qui n’est pas linéaire, mais plutôt circulaire, en insistant sur le fait que la valorisation de ce patrimoine est le devoir de tous et de toutes.

Dans sa communication intitulée «Grandes lignes pour un terrain de réflexion sur Mazighen d’un point de vue différent », Redouan Khedid, anthropologue, a insisté sur l’importance du récit à la fois historique et identitaire spécifique à Mazighen, ou Mazagan. Ce récit, a-t-il expliqué, servira davantage dans l’enseignement, les musées et la transmission du patrimoine. Il a également mis l’accent sur la nécessité d’avoir des critères locaux et nationaux, tout en encadrant les différentes perceptions, afin de valoriser le patrimoine sous toutes ses facettes.

Frederico Mendes Paula, architecte et historien, a évoqué dans son intervention l’installation des Portugais à Mazagan et les enjeux qui y sont associés. Il est revenu sur les rôles que les Portugais ont joués sur les plans militaire et économique à Mazagan ;  car  cette cité, a-t-il révélé, a été une forteresse imprenable pour faire face à tout danger potentiel venant de l’océan. Il a également souligné l’importance de ce site militaire ayant contribué à la supériorité militaire des Portugais à l’époque, tout en assurant la protection de la population de la ville.

 «Patrimoine culturel, contraintes et perspectives»

La deuxième table ronde s’est articulée autour du patrimoine culturel, contraintes et perspectives. Un thème toujours d’actualité.

Dans ce cadre, Rachid Andaloussi, architecte et fondateur de l’association Casa-Mémoire, s’est penché sur la question de l’architecture de la mémoire en mouvement.D’après lui, la ville d’El Jadida présente de grandes potentialités et des spécificités, parmi lesquelles la Cité portugaise, sa baie et son environnement agricole. Toutefois, le développement de la ville, dit-il,  aurait pu suivre une meilleure trajectoire.

Dans son cri du cœur, Rachid Andaloussi s’est également interrogé sur les retombées touristiques et économiques de l’inscription de la Cité Portugaise de Mazagan au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. En revanche, il a mis l’accent sur l’importance des déplacements urbains et du logement, qui constituent, selon ses dires,  des critères essentiels de la ville.

«Nous souhaitons que la ville d’El Jadida trouve sa voie et son développement, à l’instar des autres grandes villes telles que Casablanca, Rabat ou Agadir. », s’est-il exprimé.  Et d’ajouter : « il faudrait que la mémoire soit en mouvement, au fil du temps, sans rupture entre le passé et l’évolution de la ville. C’est un cri du cœur pour cette ville, pour laquelle j’ai une grande affection, afin que son développement prenne la bonne direction, en favorisant une mémoire positive.»

De son côté, Fikri Benabdallah, président de l’association Rabat-Salé Mémoire, a évoqué le rôle de la société civile dans l’éveil au patrimoine. Or, l’intervenant n’a pas manqué de faire le point sur l’état des lieux du patrimoine de la ville.

«En faisant le tour de la ville, j’ai ressenti beaucoup de tristesse.», s’est-il exprimé.  Car, dit-il, il y a dans ce territoire un énorme potentiel philosophique, historique, esthétique et humain, avec une concentration de bâtiments remarquables… et puis, tout d’un coup, des blancs.

«Tout cela va changer, car sous l’égide de notre Roi, je pense que nous sommes  le plus beau pays du monde, mais nous devons le rendre encore plus beau parce que nous avons la mer, la neige, la Méditerranée, le désert, l’Atlantique… un infini de situations, tant dans les villes que dans les espaces ruraux. Une énorme diversité de situations urbaines et architecturales.», a-t-il rappelé.

Pour le président de l’association Rabat-Salé Mémoire, nous avons vécu une rupture en matière de connaissance et de prise en main de ce magnifique héritage des siècles passés. Jusqu’à l’indépendance, a-t-il expliqué, il y a eu une prise en charge, un renouvellement et des sédimentations successives qui ont enrichi le legs patrimonial, mais cet enrichissement s’est fait par la connaissance, par l’étude, par la visite et par l’immersion.

«Je pense qu’après l’inscription de Fès au patrimoine mondial de l’UNESCO, il y a eu un certain nombre de projets, mais ils sont restés extrêmement rares. Aujourd’hui, depuis une vingtaine d’années, les choses ont évolué, car nous avons une situation où le patrimoine, sa connaissance, sa revalorisation, au bénéfice de la population, de son économie et de l’image globale du pays, sont devenus une priorité. À cela s’ajoute, les pouvoirs publics déploient des efforts très intenses et importants.», a-t-il fait savoir.

Aujourd’hui, le patrimoine, poursuit-il, est traité à l’instar des autres grands projets d’infrastructure, comme les autoroutes, les ports…

Il a souligné que les enveloppes budgétaires importantes allouées à la restauration et à la rénovation des anciennes médinas, notamment à Essaouira, Rabat, Salé, Casablanca… sont une avancée majeure. « Je pense que la société civile doit être vigilante en respectant son statut et son image, en s’appuyant sur la connaissance et en proposant des solutions. Nous avons cette prise d’otage liée à tout ce qui est numérique, et une forme de déviation de la jeunesse vers d’autres intérêts et réactions, en décalage avec l’environnement sociétal dans son ensemble.», a-t-il indiqué.  Par ailleurs, Fikri Benabdallah a souligné  que le prochain texte de loi ‘’doit être extrêmement attentif aux moyens qu’il accorde aux associations, aux gens sérieux, aux militants.’’

Naima Lahbil Tagemouati, Professeur de l’enseignement supérieur, a révélé dans son intervention intitulée « des chiffres et des lettres pour la culture & le patrimoine », que le patrimoine à la fois tangible et intangible est considéré aujourd’hui comme une chose sérieuse.  «Il y a un effort remarquable qui est fait, et je pense qu’il faut le saluer.», a-t-elle rappelé.

En outre, l’intervenante a insisté sur l’utilité et la nécessité d’avoir de manière institutionnelle des statistiques culturelles. «Les statistiques et les données culturelles permettent de nourrir la connaissance et l’action.», a-t-elle expliqué.

En termes de chiffres, l’intervenante a affirmé que la culture contribue à 1,24 % du PIB. En matière d’emploi, la culture représente 10,4 % et, en termes de création d’entreprises, elle contribue quasiment à 10 %.

«L’enjeu aujourd’hui de la culture n’est pas uniquement la création de valeur ajoutée, mais surtout la création d’emplois et le soutien aux petites et micro-entreprises. Je pense que c’est extrêmement intéressant, car cela nous devrait inciter à réfléchir sur les orientations à suivre et à redéfinir cette notion d’industrie culturelle et créative », a-t-elle révélé.

Nisrine Safi, conservatrice des villes d’El Jadida et Azemmour à la Direction Provinciale de la Culture, a mis l’accent, dans sa communication intitulée « Patrimoine, site mondial : potentialités, contraintes et perspectives de sauvegarde et de gestion », sur la diversité du site de Mazagan ainsi que sur les efforts déployés par les institutions locales, régionales et la société civile pour le développement de ce site, tout en soulignant les difficultés qui le menacent.

Une programmation diversifiée

Pour célébrer en beauté cet événement d’une grande portée historique et patrimoniale, une programmation riche et diversifiée a été proposée aux amoureux du patrimoine et aux visiteurs de la cité. Au programme : la projection de film « Cité Portugaise de Mazagan : 20 ans d’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO », une exposition rétrospective : « Une plongée dans l’histoire et l’évolution de la Cité Portugaise », mettant en lumière les actions entreprises pour sa préservation, des  visites guidées et une rencontre avec l’écrivaine Naima Lahbil Tagemouati autour de son dernier ouvrage « Qui est Si Bekkaï ? » (Éditions Marsam, 2024).

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