Quel est le niveau de la dette publique au Maroc ? Est-il vraiment excessif comme on le lit souvent ici et là? Ya-t-il un niveau optimum d’endettement des Etats qu’ils doivent s’efforcer de respecter? Le présent article tentera d’y apporter des éléments de réponse dans le but de dissiper un certain nombre de confusions qui entourent ce mystère de la dette. Voyons d’abord ce que disent les chiffres après avoir rappelé la définition de cette notion.
La dette publique comporte deux composantes : la dette du trésor et la dette des établissements publics garantie par l’Etat. Cette dette provient soit du marché intérieur (sous forme notamment de souscription aux bons du trésor ouverte tant aux particuliers qu’aux institutionnels), soit d’origine extérieure (provenant de la part des institutions multilatérales, des Etats, ou du marché financier international). Autre élément à rappeler : une dette peut être contractée à un taux d’intérêt fixe ou à taux variable : chacune de ces deux formules a nécessairement des avantages et des inconvénients. Bien sûr, le taux d’intérêt est déterminé par une série de variables qui ne relèvent pas exclusivement des conditions du marché, mais englobent d’autres facteurs tels que la stabilité macro-économique, le risque-pays, son positionnement géostratégique, l’intérêt qu’il représente pour la partie créancière etc…
Pour ce qui est des chiffres, ils ont évolué comme suit durant la période 2012-2017 : l’encours de la dette du trésor est passé respectivement de 493,6 MM DH (58,2% du PIB) à 692,3 MM DH (65,1% du PIB), soit un taux d’augmentation de 40 % durant la période envisagée et une moyenne annuelle de 8%. Toutefois, cette augmentation est due essentiellement au recours au marché intérieur puisque la part de la dette intérieure est passée de 44,4% du PIB à 5O,7% du PIB de 2012 à 2017 alors que la composante extérieure n’a évolué que de 0,6 point durant la même période en passant de 13,8% à 14,4% du PIB. Pour sa part, la dette publique dans son ensemble, en se référant aux chiffres publiés par la Cour des Comptes, est évaluée en 2017 à 970 MM DH, soit 91,2% du PIB, une différence de près de 10 points par rapport aux données publiées par le Ministère des Finances. La différence est due au fait que la Cour des Comptes prend également en considération la dette non garantie. Cette divergence méthodologique reste évidemment sujette à discussion.
Bien que la dette publique soit à dominante interne (plus de deux tiers), la question qui intéresse le plus l’opinion publique et préoccupe les décideurs est celle la dette extérieure. Et pour cause ! Les deux composantes relèvent de logiques séparées et revêtent des enjeux différents. Aussi, et pour ne pas déroger à la règle, intéressons-nous à la dette extérieure publique. Celle-ci est passée de 212,7 MMDH en 2012 (25,1% du PIB) à 332,5 MM DH en 2017(31,3% du PIB) soit une augmentation de 56,3% durant la période et un accroissement moyen annuel de 11,2%. Toutefois, la dette du trésor a vu sa part diminuer de près de 9 points au cours de cette période au bénéfice de celle des établissements publics. En 2017, la dette extérieure du trésor ne représente que 46% contre 54% pour la dette du secteur public.
Cet inversement de tendance s’explique essentiellement par le recours de plus en plus massif des établissements publics à l’emprunt extérieur comme moyen privilégié de fiancer les grands projets réalisés ou en cours de réalisation : transport ferroviaire, ports, aéroports, eau et électricité, phosphates…Par ailleurs, la dette publique extérieure marocaine est essentiellement d’origine multilatérale (Banque Mondiale, BAD et BEI) et bilatérale (pays de l’UE et du CCG). Par conséquent, la dette privée, caractérisée par son coût élevé tant au niveau du taux d’intérêt que de la conditionnalité, représente en moyenne entre 20 et 25%.
Au vu de ces données, on peut supposer que la dette extérieure marocaine ne suscite pas d’inquiétude outre mesure. Elle est soutenable. Mais cela ne doit aucunement être un motif pour continuer à lever des fonds à l’infini sur le marché international. La prudence doit être de rigueur eu égard à la situation somme toute fragile de notre tissu productif et de nos finances publiques. S’il est admis qu’en matière d’endettement, il n y a pas de limite particulière, force est de reconnaitre que tout dépend de la situation de chaque pays.
A nous d’apprécier le niveau de la dette qui soit en adéquation avec nos moyens. Le Maroc qui connait une situation de déficits jumeaux (déficit budgétaire et déficit commercial) ne peut pas s’accommoder d’un endettement excessif. On ne doit surtout pas oublier ce qui nous est arrivé au début des années 80 du siècle dernier. Le meilleur moyen de vivre en paix et de préserver notre indépendance consisterait à vivre en fonction de nos moyens et à compter sur nos propres forces. Ce qui n’exclut nullement le recours au capital étranger, dans des limites raisonnables. Toute solution de facilité est à écarter.
C’est pourquoi il faut revenir aux fondamentaux pour mobiliser nos ressources disponibles et potentielles et qui sont loin d’être négligeables. L’organisation des assises fiscales les 3 et 4 mai prochain est une opportunité historique pour un débat national débarrassé de la langue de bois et de la fuite en avant. Le moment est venu, dans le sillage de la mise en place d’un nouveau modèle de développement, pour procéder à une évaluation objective de notre système fiscal et penser une réforme fiscale audacieuse fondée sur l’équité, la rationalité, l’efficacité et le patriotisme. Tout doit être fait dans la transparence.