«Aziz Belal, l’hypothèse du développement souverain»

Noureddine El Aoufi

Au début de son exposé, Pr Noureddine El Aoufi a fait savoir avoir publié chez «Le Fennec», il y a un an, un essai intitulé «Ainsi pensait Aziz Belal», dans lequel il a revisité les œuvres du défunt et y a découvert des scénarii et voies de développement du Maroc durant la période actuelle et à venir.

Dans une annonce bien ramassée de cet essai, il est indiqué qu’ «un retour, même critique, sur la pensée économique de Abdelaziz Belal trouve sa justification dans la récurrence des problématiques qu’il a explorées dès «L’investissement au Maroc» (1968) et dont il a poursuivi l’analyse dans «Développement et facteurs non économiques» (1980).

Le programme des réformes économiques à l’œuvre aujourd’hui renvoie à des contraintes, à des dilemmes, à des indéterminations en matière de choix collectifs qui se trouvent, en creux ou en plein, dans ses travaux. A. Belal achève «L’investissement» sur un chapitre étonnamment en phase avec le «Nouveau modèle de développement» (2021).

Cet essai se présente sous la forme d’une lecture personnelle synthétique et sténographique des œuvres de feu Aziz Belal en particulier ses ouvrages «l’investissement au Maroc 1912-1964» et «les facteurs non économiques du développement», selon le conférencier. Le but recherché, a-t-il dit, est de synthétiser en un travail ramassé les grandes lignes de son immense œuvre pour une meilleure accessibilité et lui rendre hommage. Cet essai traduit tous les hommages qui lui ont été rendus durant au moins cinq rencontres.

Il s’agit aussi de faire connaitre au public la pensée de l’intellectuel à propos de l’économie marocaine en général et de l’économie du développement en particulier, après avoir constaté que les étudiants ne savent rien sur lui, a-t-il affirmé.

Et ce sans parler de l’homme, le professeur et le chercheur, l’économiste distingué, l’intellectuel équilibré à tous les égards, le militant progressiste, autant de qualités qui marquaient ses travaux et ses écrits académiques, a-t-il ajouté.

Revenant à «L’Investissement….», il a indiqué qu’il doit être considéré comme faisant partie des travaux théoriques et pratiques, c’est-à-dire ceux qui peuvent être transformés en stratégies et en politiques publiques praticables. Il ne s’agit pas de travaux théoriques purs. Aux termes de cette théorie, il y a une politique et une stratégie de développement réalisable. Des travaux avec ces deux qualités réunies sont très rares dans l’histoire de la pensée économique en général, selon le conférencier.

La théorie de Keynes, devenue une politique économique et d’autres théories sur le développement humain, à l’instar de celles de Milton Friedman.

Dans «l’Investissement», on trouve une théorie générale de l’investissement qui jette les bases de l’hypothèse du développement national dans le sens nationaliste développé par l’allemand Friedrich List, cet économiste, très critique d’Adam Smith de Ricardo, partisan et théoricien du  «protectionnisme éducateur» et dont les travaux n’ont été traduits malheureusement dans les autres langues et en français que tardivement.

L’hypothèse est le possible à conditions. Quant à la condition, elle signifie qu’il n’est pas possible de réaliser quelque chose sans cette condition.

Les conditions pour un développement national, selon Aziz Belal, sont de nature économique matérielle et non économique et immatérielle (public et particulier). Le développement est tributaire de toutes ces dimensions. Ces conditions reposent sur des fondements constants et inconstants.

Le développement est un, mais les voies de développement sont diverses et variées. A. Belal n’utilisait pas les termes du modèle de développement. Il parlait des voies de développement.

La deuxième partie de l’ouvrage de l’Investissement comprend quatre chapitres concernant les conditions limitatives de ce qu’il appelle la stratégie souhaitable du développement.

Son travail repose sur un montage précis : il y a les titres, les sous titres, les chapitres, les sections et sous sections etc….

Abdelaziz Belal parlait du développement souhaitable, lequel est encadré par des conditions économiques et non économiques. Et ce sont les conditions non économiques qui encadrent, d’après A. Belal, les conditions économiques. Il s’agit des conditions politiques et culturelles.

Il parlait aussi de deux niveaux : la dépendance politique et l’investissement et l’indépendance politique et l’investissement.

Selon Pr El Aoufi, la méthode utilisée par A. Belal est historique et non pas chronologique. Il a analysé l’historique de l’investissement et son multiplicateur depuis le protectorat jusqu’à l’indépendance, avant de conclure que les conditions économiques sont encadrées par les conditions non économiques (politiques, sociales, culturelles). Selon lui, les transformations dans le comportement socio-politique constituent une condition principale du développement national indépendant.

L’opération de développement repose sur des fondements dont en premier lieu la sortie de la dépendance, l’impératif industriel ou d’industrialisation, l’intégration économique, l’intervention de l’Etat, l’encadrement politique et la participation populaire et le développement souverain.

Dans la première partie de l’Investissement sous le titre de la dépendance politique et l’investissement et ses singularités, il diagnostique entre autres le développement colonial lié à la dépendance politique et qui se manifeste sous la forme dualiste de l’investissement.

Il y a des secteurs préférés de l’investissement pour renforcer la dépendance du capital étranger.

Au terme de l’investissement colonial, tout est transféré vers la métropole. C’est la raison pour laquelle, A. Belal prônait d’abord la sortie de ce cercle de la dépendance économique coloniale, à travers le renforcement de l’investissement national. Le pays se doit d’utiliser d’abord ses propres moyens et ressources.

Quant aux conditions d’intégration dans les marchés étrangers, elles doivent dépendre des conditions du marché intérieur et non l’inverse.

Pour ce qui est de l’industrialisation, A. Belal appelait à un développement équilibré entre les industries légère et lourde et entre les secteurs de production et de consommation.

Parmi les conditions d’industrialisation figure en premier la protection de l’industrie nationale en particulier des industries naissantes en bas âge.

L’infrastructure économique coloniale est d’abord dualiste, fondée sur l’économie capitaliste et moderne et une économie non capitaliste traditionnelle liées par des rapports de domination. Le premier comprend les activités industrielles, minières et agricoles marchandes ayant pour objectif la réalisation du bénéfice.

Le développement national chez Aziz Belal est une opération moderniste des infrastructures économiques et matérielles et de la superstructure politique et culturelle. Mais la modernisation capitaliste ne doit pas se faire au détriment de l’économie traditionnelle et des activités productives non marchandes.

L’Etat est son intervention conditionnent aussi le développement par le biais du secteur public et l’investissement dans les secteurs stratégiques.

L’Etat se doit d’intervenir car il peut réaliser une accumulation permanente et un réinvestissement du surplus dans l’infrastructure et dans les secteurs à rendements à long terme.

L’Etat peut réaliser un taux élevé d’investissement et préserver cet effort durant une longue période. L’Etat est également habilité à assurer une affectation optimale de l’investissement dans ses différentes formes.

L’Etat peut transformer le rôle du secteur public pour servir le développement économique national et répondre aux exigences de l’intérêt général, au lieu de servir le secteur privé et les grands groupes privés.

Aziz Belal se prononce aussi pour l’adoption d’un mode médian de la planification économique entre impérative et indicative, et entre centralisée et décentralisée.

Pour lui, le mode yougoslave était le meilleur

Selon A. Belal, toute planification souhaitable requiert un système nouveau qui va au-delà de l’économie mixte (public-privée) pour englober des activités non capitalistes et non bénéfiques qui s’inscrivent dans ce qu’il appelle l’économie traditionnelle, coopérative, solidaire, (sociale et solidaire).

Dans le dernier chapitre consacré à la transformation des infrastructures et à l’éradication des effets de blocage de l’investissement, A. Belal souligne l’importance des facteurs non économiques dans cette perspective et de l’encadrement politique et de la participation effective des masses.

Pour lui, le développement représente une révolution sociale et culturelle profonde dans les infrastructures et les relations et les méthodes reproductives de la dépendance de l’autre et entrave le développement.

Elle se traduit par une libération nationale authentique, économique et politique de l’hégémonie étrangère qui limite la souveraineté nationale.

 Cette vision se retrouve dans le plan quinquennal (1960-64) du gouvernement d’Abdellah Ibrahim avec la participation et la contribution d’Aziz Belal. Ce plan était axé sur le développement national, mais n’avait malheureusement pas atteint ses objectifs. Le Maroc ayant opté par la suite pour une ouverture sur le développement extraverti, qui a conduit plus tard au plan d’ajustement structurel.

Aziz Belal appelait aussi à un  développement souverain dans le but d’assurer la sécurité économique et l’autosuffisance. Il en résulte l’emploi des ressources nationales concernant les secteurs à caractère stratégique et les espaces relatifs à l’économie de la vie santé (alimentation, eau, etc…).

Et Pr El Aoufi de souligner que le retour aujourd’hui aux travaux d’Aziz Belal en général et à l’Investissement en particulier est un retour au présent et à l’avenir. Le développement souverain, devenu le signe marquant de l’étape n’est qu’une partie d’un tout qu’est le développement national, indépendant et global, dont les fondements ont été examinés et posés par feu Aziz Belal. Il en avait défini les constantes et les conditions avec précision et dévoilé les méthodes et voies qui donnent lieu à un tel développement, et ce dans les années 60 du siècle dernier.

Étiquettes ,

Related posts

Top