Entretien avec le directeur du projet de dessalement de Dakhla, Lahcen El Moussaoui
Propos recueillis par NES à Dakhla, Karim Ben Amar
La région de Dakhla Oued-Eddahab bénéficiera dans les prochaines années de projets structurants de grandes envergures. Parmi, la station de dessalement d’eau situé à 130 Km de la ville de Dakhla. Cette station permettra à cette région agricole de ne plus puiser dans la nappe phréatique et ainsi économiser cette ressource non renouvelable aux générations futures. Pour être plus au fait de cet ambitieux projet, l’équipe d’Al Bayane est allée à la rencontre du directeur du projet de dessalement d’eau de mer de Dakhla, El Moussaoui Lahcen. L’ingénieur en Génie Rural nous livre les détails de ce projet unique dans notre pays. Entretien.
Al Bayane : Pouvez-vous nous parler de l’historique de l’agriculture dans la région de Dakhla ?
Pour vous parler de l’historique de l’agriculture dans la région de Dakhla, je dois tout d’abord mentionner que depuis le retour de la province à sa Nation le 14 août 1979, les autorités marocaines ont procédé à la création de toutes les administrations et les établissements nécessaires de services publics. Dès le début des années 80, le Maroc a débuté le chantier, celui du développement de la province en commençant par l’installation et la création des établissements publics pour assurer les services publics. Parmi ces établissements, il y avait la Direction Provincial de l’agriculture. Cette Direction a assuré le développement du secteur agricole et surtout l’accompagnement des éleveurs. Il faut savoir que l’agriculture à cette date, était principalement basée sur l’élevage. Les habitants de la région ne pratiquaient que l’élevage, et principalement celui des dromadaires. La direction a donc soutenu ces éleveurs pour préserver et développer leur cheptel, mais aussi à acheminer les cheptels qui étaient en dehors de nos frontières. Les aides du ministère étaient constituée d’apport en orge subventionnée, de citernes pour abreuver les cheptels et aussi de l’encadrement des éleveurs et des fils d’éleveurs. Cette politique s’est poursuivie jusqu’à fin des années 80. Rappelons que vers le milieu des années 80, on connaît la création de la première ferme spécialisée dans la production de la tomate (la ferme Tiniguir). Puis vers la fin des années 80, il y a eu la création d’un nouveau périmètre par l’État, à 15 kilomètres au nord de la ville. Il s’agit de Tawarta qui s’étend sur une superficie de 40 hectares. Elle produit jusqu’à aujourd’hui le persil, la luzerne ainsi que l’élevage bovins pour produire le lait. Ce périmètre est alimenté en eaux souterraines de son lancement jusqu’en 2002, date à laquelle nous avons assisté à la création de la première ferme moderne de production de tomates. Située en pleine péninsule, à 11 kilomètres au nord de la ville, cette dernière se trouve sur la route de Laâyoune. S’étalant sur 50 hectares cette ferme est spécialisée dans la production de tomates cerises et de melons. Quant aux produits, ils sont destinés à l’export à 100%. Avec cette ouverture sur les nouvelles fermes et l’arrivée d’autres investisseurs, on a vécu un développement accéléré jusqu’à 2010, où on a atteint presque 450 hectares d’agriculture moderne. C’est des grands producteurs qui ont donné a l’agriculture de la région un essor très important, et notamment en matière de création de l’emploi. Il faut savoir qu’un hectare de tomates crée presque 3 000 journées de travail par an. Il y a donc des fermes qui emploient plus que 600 ouvriers, c’est un chiffre important. L’arrivées de ces fermes modernes ont encouragé plusieurs investisseurs locaux et étrangers à s’installer à Dakhla, pour la simple raison que les conditions climatiques sont très favorables aux productions de primeurs, notamment la tomate et le melon. Toutes les cultures Maraichère peuvent sortir de terre car nous avons un climat clément frais, et qui se situe sur le littoral, sur une bande de 70 kilomètres. Tout cela a promu l’investissement privé. Avec la pression sur l’eau et les problèmes liées à la raréfaction de cette ressource, il y a eu une révision du plan d’aménagement des eaux par l’agence du bassin hydraulique de Laâyoune. En 2012, l’agence a fait une étude concernant les variations des ressources en eau de la région. La conclusion de cette étude a signifié que la nappe de Dakhla est profonde, artésienne, non renouvelable ajoutant que la bonne nappe se situe à 600 m. À partir de 200 mètres, il y a présence de l’eau, mais la ressource est abondante à partir de 600 ou 700 mètres. Cette a recommandé que le secteur agricole cesse l’exploitation de cette nappe, vu que le stock de l’eau peut être assujetti à un déstockage. Cette étude a donc préconisé l’arrêt de l’agriculture pour préserver la ressource aux générations futures et garder l’eau potable. Dakhla a beaucoup de potentiel en matière de production agricole, notamment les primeurs, qui sont des cultures de hautes valeurs ajoutés destinés à l’export, en plus du fait que ce soit un secteur très porteur pour la région, surtout en terme de création d’emploi. Autrement dit, l’arrêt du développement de l’agriculture n’est pas la solution. Le ministère a donc décidé de continuer à développer l’agriculture dans la région de Dakhla mais avec une autre alternative de ressource en eaux qui est le dessalement, c’est de là d’où vient l’idée d’un périmètre irrigué de 5000 Ha.
En terme de chiffre, que représente le secteur de l’agriculture dans la région de Dakhla-Oued Eddahab ?
Le chiffre d’affaires du secteur de l’agriculture avoisine 1,4 milliard de dirhams. S’agissant du cheptel, il est constitué de près de 110.000 têtes. Ce cheptel comporte quelques 30.000 têtes de caprin, 40.000 ovins, et 40 000 camelins. En terme de production, ce cheptel produit près de 900.000 tonne de lait par an, 1000 tonnes de viandes rouge et 975 tonnes de viande blanche. Concernant les primeurs, la région produit près de 105.000 tonnes dont 90.000 tonnes de tomates, 13.000 tonnes de melons, et concernant les myrtilles qui sont cultivés sur 113 Ha, le rendement est de près de 1200 tonnes par an. La valeur ajouté de tout le secteur avoisine 450 millions de dirhams, pour 3 millions de journées de travail annuellement.
La station de dessalement verra bientôt le jour. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet majeur ?
L’idée de projet a débuté à partir de 2013-2014. C’est un projet qui a été retenu dans le nouveau modèle de développement des provinces du Sud, qui a été lancé par Sa Majesté à la Laâyoune en 2015. C’est un projet a pour objectif le développement du secteur agricole, notamment l’expansion des surfaces agricoles destinées aux cultures primeurs et autre cultures à haute valeur ajoutée, destinées à l’export. Le projet représente aussi une solution alternative aux ressources conventionnelles ou traditionnelles, qui puisaient dans la nappe locale. Les objectifs de ce projet sont de continuer à développer l’agriculture, sécuriser les apprivoisements en eau potable et aussi, sur le plan environnemental, contribuer à la préservation de l’environnement par l’utilisation des énergies renouvelables. C’est un projet unique en son genre parce qu’il est parmi les premiers projets au monde qui utilisent l’éolienne pour la production de l’énergie et le fonctionnement de la station de dessalement. C’est un projet qui est constitué de trois composantes principales. Il comporte une station de dessalement, un parc éolien pour la production de l’énergie et un périmètre irrigué de 5000 hectares. Ce projet se réalise dans le cadre de la loi 86-12 qui concerne la PPP (partenariat public-privé). Ce projet est parmi les premiers projets au Maroc qui se réalise avec un véritable partenariat public-privé. Ce projet est pionnier au Maroc puisqu’il implique le partenaire dans la conception du projet, le financement, la réalisation et l’exploitation. Pour le montage institutionnel, il y a plusieurs contrats et conventions qui lient les partenaires. Il y a deux contrats de partenaires publics et privés que nous avons conclus. Il y a le premier contrat qui concerne la construction et la gestion de la station et le parc éolien. Le deuxième contrat concerne la conception, le cofinancement, la construction et l’exploitation du réseaux d’irrigation au profits des agriculteurs pour une superficie totale de 5000 Ha. C’est un contrat aussi spécial. Pour le montage institutionnel , Il y a un contrat qui lie le producteur de l’eau, premier partenaire, puisqu’il va construire la station et le parc éolien, et vendra par la suite l’eau aux distributeurs. Le deuxième partenaire quant à lui est en charge de la distribution de l’eau. Il va revendre l’eau aux agriculteurs. Il faut savoir que cette opération est conventionnée. Le troisième partenaire associé à ce projet est l’Office National de l’Eau et de l’Électricité (ONEE), à travers son office de l’eau potable. Cette office aura des contrats et conventions avec le producteur de l’eau, premier partenaire mais aussi des contrats avec les bénéficiaires à savoir les habitants.
Quid de l’avancement des travaux ?
Le projet est en cours de réalisation. Nous avons commencé les travaux fin 2022, début 2023. Ce projet structurant avance et nous avons dépassé la barre des 50% en terme d’avancement global. Nous sommes actuellement à 57% . La mise en œuvre et l’achèvement total du projet est prévue pour l’été 2025. C’est un projet dont le coût s’élève à 2,5 milliards de dirhams. L’État contribue largement à ce budget avec pour seul objectif d’avoir un prix abordable pour les agriculteurs les habitants de cette région.
Quels seront les impacts liés à ce projet ?
Le projet va créer une dynamique économique. Il va bénéficier aux jeunes de la région et aussi aux investisseurs privés. Nous avons près de 219 projets qui vont être attribués aux exploitants. Parmi ces projets, il y a 100 projets qui sont destinés aux jeunes de la région. L’objectif de ces projets et d’intégrer les jeunes, car il faut noter que ce projet se penche aussi sur le volet social et solidaire. Ce projet aura un fort impacts socio-économiques. Il a pour objectif la production de plus de 415 000 tonnes de primeurs (maraîchage), comme production supplémentaire, par rapport à la production actuelle dans la région. Il va aussi nous permettre de créer 10 000 emplois permanents et aussi près d’un milliard de dirhams comme valeur ajoutée. Le projet va créer une dynamique économique très importante car il va attirer près de 2,5 milliards de dirhams comme investissement dans la zone, dans le périmètre agricole. En plus de cela, il y a la sécurisation de l’approvisionnement du secteur agricole et l’eau potable, car nous utiliserons désormais une source pérenne. La ressource de l’eau de mer est inépuisable comparé aux eaux conventionnelles. Ce projet donnera une garantie aux investisseurs qui seront rassurés et pourront ainsi investir dans la région. Il va aussi contribuer à l’ouverture de plusieurs voies de développement, notamment avec l’installation des réseaux électrique. La couverture en électricité se fait actuellement dans les environs et périphérie de la région. Avec cet approvisionnement qui sera disponible, il va ouvrir plusieurs voies de développement pour le secteur touristique, et plusieurs autres secteurs économiques. L’emplacement de la station sera située à 130 kilomètres de la ville de Dakhla. Elle va permettre de tirer la région vers le nord en termes de développement.
Quelques chiffres concernant ce projet d’envergure ?
La station de dessalement aura une capacité de 37 millions de mètres cubes par an, dont 7 millions de mètres cubes par an sera réservé à l’eau potable pour la province de Dakhla et ses environs. Pour le parc urbain, la capacité s’élève à presque 60 mégawatts par an. Le réseau de délégation sera quant à lui irriguée par un débit total de 1mètre cube par seconde.