Il était une fois….le cinéma
Produire une image de soi appelle le passage par une déconstruction du schéma dominant. Produire des images authentiques au sens littéral du mot : un contre-champ des images qui circulent dans le paysage maghrébin et qui sont l’émanation d’un centre dominant, européocentriste voire impérialiste. Sortir de la pseudo-universalité du modèle hollywoodien. «Il appartient peut-être aux cinéastes des sociétés qui n’ont pas été à l’origine du cinématographe de remettre en question les structures et les types de construction de film hérités du cinéma classique» écrit M.S. Le film Chergui (1975) peut être perçu comme le manifeste cinématographique de cette esthétique de rupture:
- Refus du récit linéaire
- Système polyphonique des personnages avec la multiplication des micro-récits
- Montage sec et rapide
- Logique temporelle aux antipodes de la narration classique : enchevêtrement de temporalité.
Le film annonce son programme d’emblée à travers la multiplication des images qui renvoient à une ville plurielle, polyglotte et cosmopolite. Le générique monté en parallèle avec les images de la ville illustre cette pluralité.
Le titre du film se décline en effet à travers au moins trois langues : l’arabe classique, l’arabe marocain et sa traduction en français. Un autre tableau vient encore développer le titre du film en offrant une sorte de son double métaphorique et interculturel : «le silence violent» bloque d’abord toute référence interne à la diégèse, sa fonction informative est neutralisée au bénéfice d’une fonction poétique que renforce le clin d’œil au travail de Georges Bataille.
Une polyphonie que vient légitimer la bande son avec un chant en voix off qui renvoie au plurilinguisme du pays.
Les premières images du film, fidèles au programme initial, s’inscrivent plus dans la monstration que dans la narration : le regard se veut d’abord témoin d’un espace qu’il s’agit de se réapproprier en le libérant du regard de l’autre, cet autre omniprésent dans l’architecture et la toponymie. Chergui apparaît dès sa séquence d’ouverture comme une mise en scène de l’architecture de l’altérité : ville européenne versus médina ; noms de rues ; drapeaux de la présence internationale. Un monde clos (multiplication des portes fermées et des grilles) clôture que la caméra vient doubler par l’usage de la contre-plongée.
Pour mieux découvrir ce monde pluriel, le film aborde le récit d’une femme Aicha. Mariée à un patriarche qui cherche à avoir une seconde épouse. Aicha femme recluse enfermée derrière son voile et sa Djellaba va tenter par les moyens que lui offre la tradition de contrecarrer ce projet. Cette trame narrative permettra au récit d’installer un regard ; celui qui nous mène à découvrir une ville, qui porte l’altérité dans son code génétique. Le regard d’Aïcha guide notre regard vers l’autre. Mais le film refuse le cliché, c’est un regard de quête qui va du dedans vers l’extérieur : il instaure une représentation de l’autre en multipliant des images de soi. M.S parle d’un récit métonymique ; parler d’un microcosme pour faire référence à toute une culture, à un corps social amputé et confronté à des mutations qui lui échappent. La caméra de Smihi capte des signes qui sont construits comme des mythes : la récurrence du four à pain ; le troupeau de chèvres et la scène fondatrice du Sultan dans la lune.
Le destin tragique de Aicha est monté en parallèle avec l’image de l’enfant sur les bancs de l’école et notamment sur l’émergence d’une nouvelle entité sociale, la classe ouvrière. La mort de Aicha emportée par de pratiques éculées ouvre la voie à l’émergence de nouvelles pratiques sociales. Le film commence par l’ouverture d’une porte sur le rêve de l’enfant. Il se clôt sur les images d’une grille qui se ferme. L’arrivée du récit correspond à la clôture d’un chapitre. Une fin qui renvoie à une autre ouverture que signifie le recul de la caméra. «Feu, flamme fou» sont les mots inscrits au tableau et que répètent des écoliers attentifs; tout un programme.
Mohammed Bakrim