Colloque en marge du FCAK: «Nous sommes des Africains déformés par le temps!»

Chaque édition du festival du cinéma africain de Khouribga, qui fête cette année son quarantième anniversaire, donne l’impression d’être une victoire à l’arrachée. Tant il est inscrit dans les aléas de la  vie africaine formant une sorte de destin tragique comme pour un héros d’un film de Souleiman Cissé, d’Idrissa Ouedraogo ou de feu Bouanani… Et pourtant, on continue à tirer des salves…saluant un avenir certainement plus prometteur.

Le contexte se prête à l’optimisme, le choix de l’africanité étant aujourd’hui sanctionné par un engouement qui n’a d’égal que celui du fils qui revient chez lui. Le cérémonial multidimensionnel de la cérémonie d’ouverture offre cette lecture d’espoir. Une cérémonie dont le maître d’œuvre artistique a été le cinéaste et chorégraphe Lahcen Zinoun qui lui a donné une touche puisant dans les racines culturelles du pays et dans les acquis d’une écriture scénographique moderne. Un moment marqué par l’intelligence des propos et l’émotion des hommages. Les interventions de M. Saïl et M. Laabi ont été d’une grande teneur intellectuelle. M. Laabi, prolongeant la réflexion et M. Saïl restituant les 40 ans de Khouribga en un montage d’images fortes, retenues par sa garde mémoire de cinéphile aguerri.

Le colloque international organisé le lendemain de l’ouverture a confirmé cette tendance cinéphilique et intellectuelle. Organisé autour de la problématique de l’identité dans le cinéma africain, il a réuni un plateau des plus prestigieux. Modéré par le président et fondateur du festival Nour Eddine Saïl, il a vu des contributions de l’un des ainés du cinéma africain le burkinabé Gaston Kaboré, du cinéaste et critique de cinéma tunisien Férid Boughedir et du poète sénégalais Mamadou Lamine Sall.

Dans un style qui lui est propre, M. Saïl a souligné que nous sommes devant un thème complexe, l’identité. «Un thème lourd qui se prête à tous les dérapages» ce qui est parfois utile, «se perdre pour se retrouver» souligne-t-il.  M. Kaboré a placé la problématique dans une perspective humaniste ; il a rappelé au préalable que l’identité «n’est pas un lieu statique auquel on va revenir, ni un moment du passé à retrouver». L’identité en outre n’est pas ce qui nous permet d’être certains de nous-mêmes. «Ce n’est pas un logiciel qui nous permet de nous retrouver». Les films africains sont en effet traversés de questionnement sur qui nous sommes ; d’où la prégnance des scénarios portés par la dynamique de la quête. Le cinéma s’avère alors un vecteur qui relie les différents fragments et segments d’une vie parcellaire.

Le grand poète Lamine Sall a commencé son intervention par rendre un vibrant hommage au Maroc et à ses rois. Ancien compagnon et disciple  intellectuel de Léopold S. Senghor, il a pu ainsi côtoyer le défunt roi Hassan 2. Il  a également salué l’existence du festival du film africain à Khouribga, un lieu de mémoire et de vie». Abordant la question de l’identité, il a rappelé qu’aujourd’hui avec la mondialisation le monde se tribalise, une des conséquences est que nous «Les africains nous devenons déformés par le temps». Deux missions sont assignées aux intellectuels africains aujourd’hui : le devoir d’être nous-mêmes et le droit d’accéder à l’universel.

Férid Boughedir a restitué au débat sa dimension cinéphilique et cinématographique en rappelant le rôle des pionniers qui ont proposé les premières images faites par des africains pour des Africains. Cela n’a pas été évident, les cinéastes ayant été eux-mêmes marqués par ce que Frantz Fanon avait décrit comme la conscience malheureuse des intellectuels africains. Une conscience forgée à travers un cheminement qui est passé par trois étapes. Celle de l’assimilation où l’intellectuel (cinéaste) cherchait à imiter l’autre à s’approprier ses modes d’expression. Cela a abouti à l’échec. Ensuite la phase de retour aux sources ; un retour au passé de façon aveugle versant dans une mythographie des origines. Et enfin une phase  critique celle de la quête d’une synthèse faite de distanciation et d’esprit critique.

Au cinéma, cette démarche est rendue difficile par la nature des rapports de forces au sein du marché des images ; un marché déjà dominé est balisé par l’autre. Le cinéma africain est né dans un environnement économique colonisé. L’une des issues qui reste à un cinéma africain de recherche et en l’absence d’un marché intérieur viable est ce que Boughedir a appelé «l’international cinéphilique» dont l’une des expressions est le festival de Khouribga.

Ali Benali

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