La surpopulation carcérale au Maroc
Par Azzeddine Belmahi
La Délégation Générale à l’Administration Pénitentiaire et à la Réinsertion a réitéré que la population carcérale a atteint des proportions inégalées ; plus de 100.000 personnes pour une capacité de 64.000 soit un taux de 159%, en complète inadéquation avec les Règles Minima pour le Traitement des Détenus adoptées par les Nations Unies appelées également les Règles Nelson Mandela, ce qui engendre des répercussions sur la santé physique et mentale des détenus ainsi que sur leur sécurité. Chapeau bas au personnel de l’Administration Pénitentiaire qui arrive encore à assurer la paix, la sécurité et l’accompagnement au sein des établissements pénitentiaires.
Pour faire face à cette endémie, il est projeté de construire de nouvelles prisons.
Est- ce la solution ?
Il est à rappeler que la même démarche a été empruntée lorsque le nombre de détenus a dépassé les 70.000, et plusieurs nouvelles prisons ont été construites sans résoudre le problème pour autant.
Il semblerait que la solution est ailleurs !
En effet, à l’état actuel plusieurs décisions, ajustements et réajustements sont à mettre en œuvre.
Tout d’abord la rationalisation de la détention provisoire. Cette mesure, incontestablement attentatoire aux libertés individuelles, met à mal les Etablissements Pénitentiaires puisqu’elle représente plus de 40% de la population carcérale. Elle doit dès lors n’être qu’une mesure exceptionnelle permettant une réduction notable du nombre des pensionnaires.
La mise en œuvre de l’institution du juge d’application des peines devrait également contribuer à la réduction du nombre des prisonniers. Ce juge est, au fait, chargé de déterminer les modalités du traitement pénitentiaire de chaque détenu. Il peut ordonner les permissions de sortie, l’aménagement de la peine encourue ainsi que la libération conditionnelle, sachant qu’un grand nombre de détenus remplit les conditions afférentes.
Le congé pénitentiaire pour une période déterminée en vue de préserver ou de favoriser les contacts familiaux et de préparer un plan de réinsertion, ainsi que la Grâce Royale constituent d’autres mesures à même de diminuer le nombre de prisonniers.
Parmi les perspectives à mobiliser pour cet objectif, plusieurs actions sont à réaliser et des services à institutionnaliser.
La prévention en amont. Les Départements Ministériels de la Culture, de l’Education, du Sport, les ONG, les Partis Politiques et la famille ont un rôle prépondérant à jouer.
La création d’un Observatoire National de la Délinquance et de la Criminalité est devenue incontournable afin de déterminer les causes et parer au conflit avec la loi.
Sa Majesté le Roi Mohamed VI, que Dieu Le Glorifie, a étayé cette nécessité dans son discours du 20 Août 2009 à l’occasion du 56ème Anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple :
«Nous sommes déterminés à mettre au point une réforme substantielle qui ne se limite pas au seul secteur judiciaire mais qui, par sa consistance et sa globalité, englobe l’ensemble du système de la justice…il importe notamment de procéder à la création d’un Observatoire National de la Criminalité, et ce, en synergie avec la poursuite des processus de mise à niveau des Etablissements Pénitentiaires».
Les Peines Alternatives aux Peines Privatives de Liberté sont un atout pour limiter, en amont, l’incarcération.
Sa Majesté le Roi Mohamed VI, que Dieu L’Assiste, en a déjà souligné la nécessité dans le discours cité précédemment :
« Parallèlement, il convient de développer des modes alternatifs de règlement des différents comme la médiation, l’arbitrage et la conciliation, d’appliquer des peines de substitution… »
Devant la prolifération de la délinquance juvénile et la récidive de cette frange des détenus il devient urgent de mettre en place une stratégie de protection de l’enfance et de créer une institution à cette fin. Pourquoi pas une Délégation Générale pour la Protection de L’Enfance ?
Par ailleurs, pour parer à la récidive qui atteint des proportions alarmantes (24.5% ont récidivé dans les quatre ans suivant leur libération), il est nécessaire de veiller à la préparation à la réinsertion au cours de la détention et d’assurer l’accompagnement post carcéral jusqu’à la réinsertion effective dans le tissu social et le monde du travail. Le rôle de la Fondation Mohamed VI, pour la Réinsertion des Détenus est notoire à ce propos.
La rééducation et la préparation à la réinsertion, au cours de la détention, n’est pas l’apanage uniquement de l’Administration Pénitentiaire puisque la décision de la justice n’est privative que de la liberté. Le Détenu a donc droit à l’enseignement, à la formation professionnelle, aux sports…et à tous les droits dont jouit le citoyen en dehors de la prison. Ainsi donc, les Départements Ministériels concernés doivent s’investir à l’intérieur des Etablissements Pénitentiaires. Le Discours de Sa Majesté le Roi, que Dieu L’Assiste, à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire le 29 Janvier 2003 est éloquent à ce propos :
« La sollicitude particulière que nous réservons à la dimension sociale ne serait pas complète sans que nous assurions aux citoyens incarcérés leur dignité humaine qui du reste ne leur est pas déniée du fait d’une justice privative de liberté ».
La réhabilitation qui est une mesure individuelle, judiciaire ou légale, qui efface une condamnation pénale et ses conséquences, constitue un obstacle pour la réinsertion professionnelle de l’ancien détenu d’où la nécessité’ d’alléger les conditions d’obtention juste après la libération sous certaines conditions bien sûr. Cela permettra à l’ancien détenu de s’insérer dans le monde du travail ce qui annihile la probabilité de récidive.
Parallèlement à tout ce qui précède, et pour une gestion optimale des Etablissements Pénitentiaires, il est urgent d’améliorer les conditions de travail du Personnel Pénitentiaire et de le motiver financièrement, proportionnellement à la dignité de la mission et de la pénibilité et des risques du métier. Cela, conjugué avec la formation continue et la mise à niveau psychopédagogique de ce Personnel afin de transformer la prison en école de la deuxième chance.
En définitive, pour diminuer la population carcérale faut-il construire des prisons ou s’atteler aux missions judiciaires, publiques et sociales ?