Covid-19 sous l’angle du genre

Quel impact sur le travail, la santé et la psychologie des femmes?

Par Mme Ramdani Ouafa

A l’échelle de la planète, personne ne peut nier ce que le covid-19 a eu comme conséquences néfastes sur la vie, le quotidien, la santé et le moral de la population en général et sur les femmes, en particulier. Ces conséquences disproportionnées sur les femmes menacent les réalisations et les possibilités qui lui sont offertes sur le plan socio-économique et sanitaire, et creusent par conséquent les écarts structurels qui persistent entre les sexes en dépit de plusieurs décennies du progrès dans le domaine de lutte contre les inégalités du genre.

Désormais, les femmes ont payé très cher les effets de cette pandémie, qualifiés de très négatifs. Le coronavirus a bouleversé le sens de la vie professionnelle et familiale des femmes, non seulement pendant la période du confinement, mais également après cette période, et jusqu’à nos jours. Dans la plupart des pays, et s’agissant des femmes qualifiées d’actives occupées, elles sont plus susceptibles que les hommes d’avoir un emploi dans les secteurs sociaux comme les services, la distribution, le tourisme et l’hôtellerie. Ces secteurs sont les plus durement touchés par les mesures de distanciation physique et les mesures d’atténuation, et donc les conséquences de cette situation sur les pertes de l’emploi d’un grand nombre de femmes, ne sont pas à démontrer.

Par ailleurs, et particulièrement, au niveau des pays à faible revenu, les femmes tendent plus que les hommes à travailler dans le secteur informel et donc elles sont plus dépendantes que les hommes de ce secteur d’emploi, énormément sensible à la crise sanitaire induite par le coronavirus. A cet égard, les Nations Unies estiment que si les femmes représentent la majorité des pauvres dans la plupart des régions du monde, l’impact de la pandémie actuelle augmentera davantage cette situation disproportionnée de la pauvreté des femmes par rapport aux hommes.

Dans ce sens, les projections réalisées par le Pardee Center for International Futures de l’Université de Denver à la demande de l’ONU Femmes et du PNUD, révèlent que si la pandémie aura un impact sur la pauvreté mondiale en général, les femmes, notamment celles en âge de procréer, seront touchées de manière disproportionnée par rapport à leurs homologues masculins. D’ici la fin de l’an 2021, ces projections dévoilent que pour 100 hommes âgés de 25 à 34 ans vivant dans l’extrême pauvreté (disposant de 1,90 dollar ou moins par jour pour vivre), on comptera 118 femmes, un écart qui devrait se creuser davantage pour atteindre 121 femmes sur 100 hommes d’ici 2030.

En fait, cette inégalité entre les sexes, tellement débattue et défendue par les tenants de la perspective du genre, a toujours caractérisé les systèmes sociaux et continue à persister à l’époque actuelle. Ainsi, elle a vu son ampleur et ses dimensions s’accentuer depuis l’apparition de l’épidémie du coronavirus. A cet égard, la Directrice exécutive de l’ONU Femmes, Phumzile Mlambo-Ngcuka, stipule, dans le cadre du contexte de la crise sanitaire actuelle :

«Nous savons que les femmes assument la majeure partie des responsabilités familiales; elles gagnent moins, épargnent moins et occupent des emplois plus précaires – en fait, dans l’ensemble, l’emploi des femmes est 19 % plus menacé que celui des hommes. Les preuves dont nous disposons ici, qui attestent de nombreuses inégalités, sont essentielles à la mise en place d’une action rapide et réparatrice plaçant les femmes au cœur de la reprise post-pandémie».

En fait, pendant la période du confinement, les femmes particulièrement celles qui sont actives occupées, ont vécu des moments difficiles à gérer et à surmonter. La pandémie a fait payer un lourd tribut à cette catégorie de femmes. Autrement dit, celles qui ont gardé leur emploi pendant la période de quarantaine, ont réalisé empiriquement et de manière notable le sens du conflit de l’incompatibilité des rôles ; cette notion théorique tellement répertoriée à travers la littérature. En d’autres termes, ce conflit consiste à déployer des efforts considérables et intenses pour accomplir le travail de la sphère professionnelle et domestique.

Ainsi,s’agissant du travail professionnel, les femmes ayant exercé le télétravail, comme les enseignantes ou autres formatrices, leur temps était partagé entre les préparations et l’assurance des cours à distance, la lecture et la correction des mémoires et des examens etc…). De leur côté, les autres catégories de femmes actives qui ne pouvaient pas réaliser le télétravail, comme le personnel de la santé (femmes médecins, infirmières, autre personnel paramédical,etc.) ont vécu une augmentation du risque et de la probabilité d’attraper le covid-19.

Tandis que le travail familial, pour ne pas dire domestique, il a pris beaucoup d’ampleur par rapport à celui accompli auparavant, c’est-à-dire avant l’apparition de la pandémie ; et cela abstraction faite de la catégorie de profession exercée par les femmes.En effet, pendant cette période, ce type de travail consiste non seulement à réaliser les tâches ménagères dans le sens du terme, avec l’émergence de la phobie de désinfection contre le virus (préparation des repas, nettoyage, désinfection du domicile et des courses, etc.), mais également à suivre et encadrer les enfants dans leurs cours et leurs devoirs. Désormais, la formation à distance a pris la place de l’enseignement présentiel. Et les femmes qui ont des apprenants au niveau du préscolaire, du primaire ou du secondaire, sont obligées de les suivre et de les encadrer pour que ce type d’enseignement puisse aboutir. Donc, elles devaient accomplir ces activités, à côté des tâches ménagères, ou d’autres soins apportés aux enfants, aux personnes âgées ou en situation difficile. Tout cela a rendu le conflit de l’incompatibilité des rôles intense, avec l’émergence de ces nouvelles missions de l’encadrement des enfants à domicile, induit par l’enseignement à distance.

Par ailleurs, et à mon sens, l’effort et le stress vécus par les femmes pendant cette période n’ont pas de prix pour ces dernières ; qu’elles soient actives occupées, en chômage ou au foyer. Hormis les charges occasionnées par les travaux physiques ou intellectuels suscités précédemment, les femmes ont vécu un stress difficile à représenter ou à estimer, surtout en l’absence de l’exercice d’autres activités à caractère déstressant comme la marche, les balades ou toute autre activité sportive. Dans ces circonstances, beaucoup de femmes ont développé des problèmes de santé liés à l’inactivité sportive et au stress quotidien amplifié par le covid-19 (lourdeurs de jambes, douleurs aux pieds, nervosité, anxiété, hypertension, diabète, prise du poids etc..).

Après le confinement, la formation à distance a continué à caractériser le modèle éducatif de plusieurs pays comme notre pays le Maroc, et ce malgré le retour à l’enseignement présentiel. Les effets de la pandémie sur la santé et le moral des femmes,soulignés auparavant, ont ainsi continué à submerger, malgré la régression de leur intensité. Ainsi,l’anxiété induite par la peur d’attraper le virus, a rendu les jours et le quotidien des femmes pleins d’inquiétude, de soucis et sans aucun enthousiasme. Les enfants, de leur côté, manquant d’activités parascolaires et d’autres atmosphères agréables leur donnant du plaisir et un sens à leur existence, ont perdu toutes les motivations pour étudier, innover ou participer joyeusement à la vie scolaire, familiale ou communautaire.

Ces aspects ainsi évoqués, reflètent modestement l’expérience des femmes exerçant une activité économique, depuis l’apparition de la pandémie. Que dire alors des vécus des autres catégories de femmes ? Celles qui ont perdu leurs emplois, sachant qu’elles ont des obligations financières pour faire vivre leurs familles et assurer les frais de scolarisation de leurs enfants ? Ou celles qualifiées d’inactives, n’ayant aucune ressource matérielle et dont les maris se retrouvent en chômage ou en situation de perte d’emploi. Cette dernière catégorie de femmes a subi grandement les conséquences de la pandémie, non seulement sur le plan matériel et financier, mais surtout au niveau psychologique.

Ainsi, des situations de violence contre les femmes de toute nature ont été enregistrées de manière remarquable un peu partout dans le monde, dans cette conjoncture de crise sanitaire. Les perturbations psychologiques engendrées par les impacts différenciés de la pression de la pandémie sur la population, pourraient expliquer en partie l’accentuation de la déclaration de la violence à l’égard des femmes. En un mot, et parallèlement à toutes ces conséquences économiques et psychologiques, on peut concevoir le degré de vulnérabilité et de l’insécurité sociale d’un grand nombre de femmes dans tous les pays du monde.

Sachant que la dimension psychologique est déterminante et explique l’apparition de plusieurs problèmes de santé, on peut imaginer alors ce que cette pandémie a causé comme effets dévastateurs et comme malheurs à l’humanité, abstraction faite des âmes qu’elle a emportées au niveau du globe terrestre. Bref, il va sans dire que tous ces effets contribuent certes au relèvement et à l’accentuation de la vulnérabilité des femmes et donc de la population, et surtout à l’élargissement des inégalités sociales entre les sexes. Cette crise a fait ressortir et intensifier désormais, les inégalités structurelles existant dans tous les domaines, depuis la santé et l’économie jusqu’à la sécurité et la protection sociale.

Enfin, en vue d’y remédier, les stratégies conçues par les gouvernements nationaux et internationaux, doivent être axées sur l’investissement dans la réduction de ces inégalités sexuelles dans les divers secteurs du développement précités, et surtout sur une approche inclusive. Et cela dans le but de pouvoir inverser l’impact de la pandémie sur la réduction de la pauvreté des femmes et de la population en général. Bref, au-delà du contexte de la pandémie, les organisations sociales et tous les acteurs de la société sont appelés à s’engager en faveur de la flexibilité, de l’équité et de l’inclusion afin de permettre aux femmes de réaliser leur progression professionnelle et leur statut social, et éventuellement de promouvoir leur capacité de s’adapter aux risques, perturbations et aléas qui menacent la vie sur terre. La pandémie de la covid-19 n’est qu’un simple cas de figures parmi tant d’agressions virales que l’humanité a enregistré durant des siècles et des siècles ou qu’elle connaîtra probablement dans les années à venir…

  • Professeur de l’enseignement supérieur au Centre d’Orientation et de Planification de l’éducation (COPE).
  • Membre  du Laboratoire Marocain de l’Evaluation et de la Recherche Educative
  • Membre du comité scientifique  de la Revue Marocaine de l’Evaluation et de la Recherche Educative.
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