Il fut un temps où les annonces d’investissements en provenance des pays arabes au Maroc pleuvaient en millions de dollars. Seulement, la criseest passée par là et nombre de projets faramineux ont été laissés en suspens. Plusieurs institutionnels marocains sont venus à la rescousse, mais pas seulement. Eagle Hills, fonds d’investissement basé à Abu Dahbi créé il y a deux ans à peine, s’est, lui, attelé à la Marina de Rabat-Salé. Zoom sur un investisseur à l’identité quelque peu mystérieuse.
La Marina Morocco est une joint-venture entre deux groupes : l’Agence pour l’Aménagement de la Vallée du Bouregreg (AAVB) et Eagle Hills Morocco. Eagle Hills est une société d’investissement immobilier privée basée à Abu Dhabi. Elle est spécialisée dans la création de nouveaux hubs dans les villes situées sur des marchés à forte croissance. « Concentrée sur le développement de projets immobiliers de grande ampleur, Eagle Hills conçoit et implante des installations à usage mixte. Ces communautés utilisent les dernières technologies pour bâtir des projets intelligents et durables, créateurs de valeur pour l’économie locale », peut-on lire sur le site web du groupe. Créé en 2014, c’est dans ce sens que depuis 2015 Eagle Hills a pris en charge le développement de la Marina Rabat-Salé. Après les nombreuses rumeurs autour d’une révision à la baisse des investissements programmés, voire le départ de nombre d’investisseurs d’arabes, Eagle Hills est venu donner un coup de fouet à la Marina de Rabat-Salé. Seulement voilà. Eagle Hills n’existe que depuis deux ans, et quasiment aucun de ses projets développés à l’international n’est achevé.
Un nouveau nom pour un nouvel élan
C’est Al Maabar, une société immobilière d’Abu Dhabi,qui en 2011 est annoncé pour l’aménagement de la Vallée du Bouregreg, dans le cadre du projet Bab Al Bahr à Rabat. Bâtiments résidentiels, hôtel cinq étoiles, boutiques et une large gamme degaleries d’art et de musées thématiques sont au programme. Le projet est conçu par le célèbre architecte britannique “Foster and Partners” dans un style inspiré
par les rues étroites de l’ancienne médina de Rabat.Les unités résidentielles de la phase 1 devaient être livrées pendant le premier trimestre de 2012, la date prévue de l’achèvement de l’ensemble du projet ayant été fixée en 2014. Et voilà que début 2015, Eagle Hills fait surface. Représenté par Mohamed Al Abbar, membre du conseil d’administration et PDG d’Emaar (autre investisseur arabe de renom impliqué dans plusieurs projets au Maroc), Eagle Hills signe des conventions d’investissement avec les sociétés de développement de la Vallée du Bouregreg et du port de Tanger. «En réalité, Eagle Hills a repris en 2014 le contrôle d’Al Maabar, la société émiratie en charge de divers investissements de promotion immobilière dont celui de Bab Al Bahr à Rabat.Le fonds en profite pour devenir actionnaire majoritaire dans la société Bab Al Bahr», explique un banquier d’affaire de la place. En effet, l’Agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg (AAVB) a conclu un accord, portant sur la cession de 41% du capital de la société Bab Al Bahr Development Company (devenue Marina Morocco) au profit du fonds Eagle Hills d’Abu Dhabi, alors même que Al Maabar en détenait déjà 50%.
Le fonds émirati devient quasiment seul maître à bord de «Marina Morocco», soit 20 hectares de terrains sur lesquels sera érigé un programme urbain de près de 400.000 m2 couverts incluant des ensembles résidentiels de standing, quelque 1700 unités, dont les premières tranches sont en cours de commercialisation ainsi que des commerces…La première phase du projet intègre trois quartiers, la Marina Plaza, le Front Fluvial et la Cité des Arts. Chaque quartier abrite des zones commerciales et résidentielles. En tout, Marina Morocco ce sera 540.000 m2 de construction, 66.000 m2 d’espace hôtelier et 51.000 m2 d’espaces commerciaux
Un an après sa reprise en main, et sur les 7 milliards de DH que mise l’entreprise sur la Marina Morocco, Eagle Hills dirigé par M’hammed Lemrini dit déjà avoir investi 30%. Hormis le complexe hôtelier et résidentiel signé Fairmont, et dont les travaux ont démarré en juin dernier, l’entreprise met les bouchées doubles en termes d’aménagements polyvalents, à savoir magasins, galeries d’art, animation, …Pourvu que ça dure…
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Des projets pharaoniques
Eagle Hills se dit développeur de nouveaux centres urbains et de projets à usage mixte sur les marchés internationaux à forte croissance. En effet, le groupe est présent à Bahreïn, en Jordanie, en Serbie et au Nigéria.
Bahrein Marassi est un projet en front de mer qui s’étend sur plus de 875.000 m², comprend 5600 unités résidentielles, un centre commercial Marassi Galleria de 178.000 m² et pas moins de 5 hôtels. En Jordanie, Eagle Hils développe Le Saint Régis Amman, dont l’ouverture est prévue en 2017. Créée par John Jacob Astor IV avec l’inauguration du premier hôtel St. Regis à New York il y a plus d’un siècle, la marque St. Regis est réputée pour sa conception unique du luxe, Ce projet aussi bien que celui de Marsa Zayed en Jordanie, ont été des projets initialement développés par Al Maabar. D’ailleurs la première phase de Marsa Zayed devait être achevée en 2014, soit l’année de la création de Eagle Hills. Cet ambitieux projet mobilisant un investissement de 10milliards de dollars est situé dans la station balnéaire d’Aqaba (Jordanie) sur lamer Rouge. Sur une superficie de près de 3,2 millions de mètres carré, il s’agit du plus grand projet immobilier et touristique enJordanie. Marina, terminalde croisière ultramoderne, zones résidentielles avec plus de 450 maisons et appartements, mosquée Cheikh Zayed avec une capacité de 2.000 fidèles, Marsazayed , conçu à la mémoire de feu le Président des Emirats Arabes Unis, Son Altesse Cheikh Zayed Bin Sultan Al Nahyan, est voué à devenir l’un des sites touristiques les plusimportants de la Jordanie.
En Afrique, Eagle Hillsa jeté son dévolu sur le Nigeria grâce à un investissement cette fois-ci de 18 milliards de dollars. Le Nigeria Centenary City situé à Abuja, s’étendra sur quelques 1 300 hectares. Présentée comme une ville intelligente, elle comprend un quartier central des affaires, un centre financier, un musée et un centre culturel, 13 hôtels, et des zones d’affaires et technologiques. Une fois terminée, la ville pourra abriter 137 850 résidents. En outre, le projet devrait contribuer à hauteur de cinq pour cent au projet intérieur du grand Abuja. Centenary City se positionne comme un nouveau pôle économique et social pour le Nigeria et sera dotée de technologies innovantes
Tout aussi impressionnant, mais moins pharaonique, le Belgrade Water front en Serbie consiste en la transformation de tout un quartier de la capitale serbe dans le cadre d’un projet à près de 3 milliards d’euros. La Serbie et le promoteur immobilier émirati Eagle Hills ont signé en 2015 un accord pour transformer ce quartier du XIXe siècle sur la rive droite de la Save, près du centre, en un luxueux complexe comprenant des immeubles d’habitation, des bureaux, des commerces et une tour de 200 mètres de haut. Le groupe investira directement 300 millions d’euros dans le projet, selon une déclaration des autorités serbes. Aucun détail sur le reste du financement n’a été révélé.
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Un fin connaisseur des dossiers délicats
Depuis le début de sa carrière, cet ingénieur de formation a davantage été un homme de dossier. Le grand public, ou du moins le monde des affaires, n’a fait sa connaissance que lorsqu’il est devenu en 2010 directeur général d’Al Manar Development Company (détenu à 70% par la CGI et à 30% par Sama Dubaï à l’époque), en charge du développement de la Marina de Casablanca.
Auparavant, il a œuvré pendant près de 4 ans à la CGI où il a notamment contribué à sa réorganisation avant son introduction en bourse en 2007. Son tempérament de travailleur acharné fait d’ailleurs l’unanimité. Il en ferait même un peu trop au goût de certains.
C’est sans doute ce qui a permis à ce technicien, cet homme de dossier, de mener à bien le délicat projet de la Marina de Casablanca, dont les partenaires sont multiples et pour lequel la maîtrise de l’art de la négociation, et parfois même de l’esquive, ont dû être incontournable. Car le projet de la Marina de Casablanca a vraiment eu du mal à voir le jour. Il est dans les cartons depuis près de 20 ans : il devait être développé en 1992 par une société nommé Puerto Loisirs, puis par le groupe Derker korian en 2000, avant que la CDG ne s’empare du projet en 2004 !
Lauréat de l’école Hassania des travaux publics (EHTP), M’Hammed Lemrinia fait ses premiers pas au ministère de l’équipement.
Il se forge sous la houlette de trois gros calibres: Mohamed Kabbaj, Mohamed Hassad et feu Abdelaziz Meziane Belfkih, ministres successifs de l’équipement dans les années 90. Discipliné et travailleur, il a même reçu une lettre nominative de félicitations de feu Abdelaziz Meziane Belfkih, lors de son mandat de ministre des travaux publics entre 1995 et 1997, pour l ’étude d’impact qu’il a réalisée pour l ’autoroute Kénitra-Fès.
Cinq ans plus tard, il rejoint le bureau d’études Helgem où il travaille sur d’importants projets, notamment l’extension de la station de traitement de Bouregreg, la sécurisation de l’alimentation des villes de Casablanca et Rabat en eau potable ainsi que le triplement de la capacité des stations de dessalement de l’eau de mer dans les villes de Laâyoune et Boujdour.
C’est en 2003 qu’il se rapproche de la CDG à travers la société Scet Maroc (société centrale pour l’équipement du territoire), qu’il intègre un an avant qu’elle fusionne avec Scom, bureau d’études créé par la CGI en 1976 pour l’accompagnement et le suivi de ses projets ;
Ce titulaire d’un MBA de l’école nationale des ponts et chaussées entame par ailleurs une formation avec le PNUD (programme des Nations Unies pour le développement) pour devenir expert national dans le montage de projets pour la vente de crédits carbone aux pays européens.
En 2006 et après 13 années de carrière dans les métiers de l’eau et de l’environnement, la CGI l’accueille en son sein. Il a pour mission de mettre en place un plan de développement aux niveaux organisationnels et financiers pour préparer l’introduction en bourse en 2007, avec une augmentation de la cadence des réalisations des grands projets comme Casablanca Marina et le développement de nouveaux métiers comme le logement, les hôtels, les centres commerciaux… : première académie de football Mohamed VI, le CHU d ’Oujda entre autres, des facultés, tribunaux, établissements pénitentiaires. Depuis 2006, il pilote, à partir de la CGI, le projet de la Marina; C’est donc tout naturellement qu’il est nommé à la tête d’Al Manar Développement en 2010.Il aura à gérer les nombreuses rumeurs autour du départ de Sama Dubaï, et la signature de nombreux partenariats. Après près de cinq ans de bons et loyaux services, son départ se fait en toute discrétion en juin 2015, avant de rejoindre Eagle Hillsle mois suivant.
Somayya Douieb