Entretien avec Souad Jamaï, auteure du roman « Le serment du dernier messager
Propos recueillis par Saad BOUZROU – MAP
« Le serment du dernier messager ». Voilà un titre qui tarabuste et éveille les synapses des curieux, d’abord par son originalité et, ensuite, par son ésotérisme. Souad Jamaï, cardiologue avant d’être romancière, aura donc bien pris le pouls aux fans des titres.
Passée l’étape de la couverture, l’auteure tenta la gageure du roman omniscient, omniprésent, où la narration se fend de la première et de la troisième personne et où les tréfonds de la médecine de demain, du transhumanisme, de la transformation biologique et morale de l’Homme, de la perte des repères et des leçons du passé (notre présent) se croisent souvent, se content et se romancent pianissimo, mais étonnent et télescopent aussi par leur grande éventualité.
Dans cette interview accordée à la MAP, Mme Jamaï nous rapproche davantage de son œuvre et dissèque, une fois de plus, sa philosophie et ses intrigues par le scalpel du verbe.
1) Votre roman, de type omniscient, raconte l’histoire assez originale et pleine de péripéties d’un médecin-homme, en l’occurrence Yélif, dans un avenir lointain. Sa conception fut pour vous une gymnastique, un amusement ou les deux à la fois ?
L’écriture d’un roman est associée à de nombreux sentiments, des plus douloureux aux plus amusants. La curiosité qui anime l’auteur lorsqu’il se demande ce qu’il va advenir de ses personnages constitue pour moi le côté le plus fascinant. Certes, l’aventure débute avec des protagonistes dont on campe avec précision les traits de caractère avant de les déposer dans un décor bien défini. Mais, même si l’intention de départ est assez claire, l’histoire finit par bifurquer, comme si au fur et à mesure des évènements, le héros décidait de reprendre les rênes pour imposer les péripéties. Je ne fais jamais de plan avant d’écrire, ce serait brider l’imagination que de la forcer à suivre un chemin préétabli, cela aurait un effet restrictif qui freinerait toute évasion. Écrire pour découvrir la suite de l’aventure est un plaisir réel.
Une gymnastique a été nécessaire pour effectuer les aller-retours d’une époque à l’autre et d’un héros à l’autre, puisque dans ce roman deux personnages se partagent ce rôle. L’intrigue devait être crédible et bien ficelée et les indices contenus dans le journal du Dr Ali devaient être lus et utilisés au bon moment par Yélif pour mener son enquête et pour s’affirmer en tant que médecin et en tant qu’homme en quête de sens. Le travail de recherche sur le transhumanisme et les assurances s’est imposé au cours de l’écriture, il a donc fallu jongler entre l’exercice consistant à se documenter pour ancrer les données scientifiques réelles et le divertissement qui laisse libre cours à l’imagination. Comme dans la vraie vie, tout est une question d’équilibre!
2) Votre œuvre est à la fois un récit mirobolant, muni d’une imagination débordante, mais aussi une sorte de cours abrégé de médecine, de par la littérature médicale qui le parsème jusqu’au bout. Quel était le but recherché derrière ce choix ? Vulgariser la médecine par exemple ?
Le véritable but recherché était de partager la réalité des manipulations scientifiques, mais aussi de redorer le blason de cette profession médicale souvent malmenée. Ceci n’est pas contradictoire, car il y a une influence réelle de Big pharma sur l’exercice médical et sur le médecin, parfois victime sans le savoir. L’objectif était de rétablir certaines vérités, et pour saisir les véritables enjeux il fallait donner au lecteur des clefs de compréhension lui permettant de naviguer dans le monde, ce monde scientifique. Par exemple, avant d’aborder le transhumanisme existant dans le monde de Yélif, j’ai dû, en prêtant la voix au Dr Ali, expliquer l’évolution et les conséquences du dopage, qui n’est qu’un mouvement précurseur du transhumanisme. Il était également important d’expliquer que la difficulté des études de médecine ne résidait pas uniquement dans la durée des études ou dans le volume des données à intégrer. La véritable peine dans cet apprentissage se trouve dans la charge physique et mentale : de l’instant de la première dissection au dernier jour d’exercice du médecin, celui-ci côtoie la maladie, la souffrance et la mort, tout en essayant de transmettre un espoir de vie. Vulgariser certains aspects de la médecine, comme les manipulations génétiques et le risque qu’elles font entrevoir, est nécessaire pour répondre à ceux qui sont avides de comprendre le fonctionnement de la machine humaine. Mon souci est d’écrire pour informer, révéler, dénoncer mais aussi pour divertir. Je suis toujours à la recherche d’une sorte de légitimité pour écrire, c’est peut-être pour cela que j’ai choisi d’écrire sur ce que je pense connaître le mieux : le monde médical.
3) Des médecins-écrivains, la littérature n’en compte pas beaucoup. Cela vous fait quoi de l’être, vous qui êtes déjà à votre troisième roman ?
N’ayant pas de formation littéraire, je suis entrée très timidement dans le monde de l’écriture. En tant que médecin, nous avons appris à connaître tous le fonctionnement biologique de l’humain, mais on réalise au bout de quelques années d’exercice, que cela ne suffit pas, il faut aussi comprendre les processus émotionnels du patient pour être un bon médecin. Á force de côtoyer différentes personnalités et de connaître les histoires de vie que nous confient nos patients, l’exercice de la médecine devient la meilleure école pour connaître l’être humain dans sa totalité complexe. Face à un terreau aussi fertile, il est évident que la médecine nourrit l’écriture. Je suis d’abord médecin, médecin en priorité et par passion. Une passion qui en a déclenché d’autres, comme l’écriture et surtout le théâtre. La salle d’attente du médecin et son cabinet sont une vaste scène qui voit défiler à longueur de journée des fragments de vie avec ses peines et ses joies, des situations burlesques qui poussent à la réflexion et surtout nous font réaliser que chaque humain est unique.