La dimension culturelle de la qualité

comprendre si la variable culturelle peut expliquer certains comportements, comment mobiliser ces derniers pour gérer la qualité au bénéfice de la société ?
La variable culturelle et son impact sur la qualité a retenu l’attention des chercheurs en théorie des organisations dès le début des années quatre vingt du siècle dernier, après l’ascension des firmes nippones sur le devant de la scène économique et  commerciale mondiales.
En effet, même si les entreprises évoluent dans un contexte mondial, elles restent localisées spatialement, c’est-à-dire qu’elles tirent le secret de leur réussite des spécificités locales.  
Nous jetterons un bref regard rétrospectif sur les principaux apports dans le domaine de la culture en  général, une occasion pour aborder le potentiel culturel national.

La culture dans la littérature managériale

Barnard Chester, l’un des pères de la théorie du leadership, est connu pour avoir fait une analyse qui tient compte, pour la première fois (dès 1938), des facteurs non économiques dans la gestion de la qualité .C’est le principe du management soft, dirions-nous aujourd’hui, que Chester avait développé, ce qui risque de lui valoir le qualificatif d’enfant terrible à une époque encore dominée par le principe de rationalité (hard management).
Barnard et Selznick distinguent, dans la conduite d’une entreprise entre le côté rationnel ou commercial (aspect hard) et son côté affectif ou moral  (soft management).
Leurs idées ont été reprises avec intérêt par les auteurs du «prix de l’excellence », Tom Peters et Robert Waterman (in « le prix de l’excellence», Inter-Edition, 1989).
Geert Hofstede s’est intéressé, de son côté, à la culture et son impact sur les styles de management après une étude auprès des salariés occupant les mêmes postes dans cinquante pays répartis sur les cinq continents et employés par la multinationale américaine IBM (spécialisée dans l’informatique et les logiciels). Il conclut que les styles de gestion diffèrent selon les cultures nationales. Les relations entre les employeurs et les employés vont se faire sur une base normale dans les cultures communautaires, alors qu’elles se nouent sur la base d’un calcul personnel dans les cultures individualistes (Hofstede Geert, «Cultures and organisation soft ware and mind interculturel cooperation and its importance for survival», mac Grow – Hil international, 1991, traduit par les soins des éditions d’organisation en 1994, sous le titre : «vivre dans un monde multiculturel, comprendre nos programmations mentales».
Bien que d’autres théories voient dans l’effritement de la vie communautaire (famille, clan) au profit d’une culture de plus en plus individualiste un moyen qui pousse l’homme au travail au dépassement de soi, un comportement qui permettra en même temps à l’organisation de réaliser son objectif de développement.
«L’individualisme est une tendance des membres de certaines cultures à se définir en tant qu’individus, moi, plutôt que par rapport au groupe, à la famille (nous), dans les cultures communautaires» (Sainsaulieu. R, in « Sociologie de l’organisation et de l’entreprise», Dalloz, 1987).
Et l’auteur de conclure que dans le modèle communautaire (famille, clan) le besoin de réalisation personnelle (need for achievement) est beaucoup moins élevé que dans les cultures individualistes occidentales, c’est à la famille, au clan de satisfaire le besoin de l’individu et réciproquement.
Ce que l’on peut lire entre les lignes de ces deux citations est que le besoin d’accomplissement s’estompe dans les sociétés traditionnelles puisque satisfait au sein du groupe (famille, clan). Il réapparaît dans les sociétés individualistes et permet de favoriser la productivité et la performance en général.
Sainsaulieu montre que le comportement individuel est influencé par divers codes moraux, en particulier, l’observation de principes religieux, la fidélité aux obligations familiales, l’adhésion à une déontologie professionnelle ou à un code de travail.
Pour lui les difficultés surgissent lorsque ces différentes normes rentrent en conflit.
Trois cas de figure peuvent alors se présenter : impossibilité d’agir de l’individu, frustration et incertitude, immobilisme et perte de confiance en soi, obéissance à un seul code et donc violation de tous les autres. Ce qui entraîne des sentiments de culpabilité, de malaise et de perte de respect de soi-même,  recours à une solution transitoire, satisfaisante à court terme et compatible avec les différents codes.
Ce dernier choix suppose l’imagination et une aptitude à faire des arbitrages, ce que ne peuvent faire les subordonnés s’ils sont livrés à eux-mêmes, d’où le rôle des dirigeants donc du  (leadership). Ce dernier doit aider les employés à trouver une issue qui réconcilie les buts individuels et les objectifs de l’organisation.
Chester distingue en fait le rôle de gestion assuré par l’encadrement et celui des dirigeants qui consiste à créer des «sujets de motivation».
C’est l’idée aussi que l’on trouve chez Andrew Cambell et autres: «les organisations doivent permettre à leurs membres de s’épanouir en favorisant l’adéquation entre les valeurs de l’organisation   et les valeurs personnelles et en leur proposant une mission motivante» (Andrew Cambell, Marion Devine et David Young, « du projet d’entreprise à l’engagement personnel, le sens de la mission», Editions d’Organisation, 1992), on retrouve ici les principes de la  théorie Z de W.Ouchi.
En comparant les organisations de type Z, avec les administrations (bureaucratie), et les marchés, il démontre que les uns et les autre ont ceci en commun que les individus sont encouragés à agir de façon égoïste et à ne faire que ce qu’ils veulent.
Autrement, le mécanisme régulateur du marché utilise l’égoïsme individuel pour le transformer en bénéfice pour la communauté.
Dans son livre « Théorie Z « publié en 1981 il explique que certaines organisations comme l’armée américaine et la compagnie IBM contrôlent les décisions prises par le biais d’un système de valeurs ou ce qu’il appelle une «culture clanique».
Richard Pascal et Anthony Athos considèrent comme Ouchi (dans un ouvrage marquant les années quatre vingt), que les sociétés nipponnes possèdent un plus qui manque cruellement aux entreprises occidentales.
« Pascal R. et A. Athos (in «le Management est-il un art Japonais? «, éditions d’Organisation,  paris, 1984)  notent que les firmes japonaises dotent leurs employés d’une sorte de supplément d’âme.
Ces deux auteurs étudient ensuite l’impact des valeurs morales  sur les salariés, ils affirment que les valeurs sont créatrices d’objectifs supérieurs permettant de concilier la finalité de l’entreprise et les aspirations humaines.
Ils qualifient ces valeurs de «trame spirituelle», sorte d’arme secrète de la plupart des entreprises qui réussissent.
Ce  bref regard rétrospectif sur les principaux apports  en sociologie des organisations est nécessaire pour interroger le patrimoine culturel national tout en prospectant son éventuel impact sur la compétitivité, c’est l’objet de l’axe suivant.

Les facteurs culturels de compétitivité au Maroc

Pour le  Maroc les facteurs culturels  de compétitivité sont à prospecter  dans les ingrédients suivants : une culture de solidarité, « touiza» dans l’agriculture, pratique qui a vite périclitée avant de se métamorphoser pour s’adapter aux conditions du monde moderne. Il convient donc de revaloriser cette tradition ancestrale combien  indispensable, aujourd’hui, à l’acquisition d’un avantage concurrentiel clé de succès.
une culture chevaleresque source de fierté (Car suscite le désir de vaincre, comportement indispensable pour évoluer vers le TQM), un riche passé de résistance (lutte armée, armée de libération), une diversité culturelle (tradition arabo-musulmane et amazighe), source de créativité.
L’identité est d’autant plus importante que nous soyons confrontés à la tendance vers une standardisation des modes de vie inhérente au phénomène de mondialisation, standardisation qui risque de diluer ce qui fait notre différence (l’identité peut être source d’une compétence distinctive, source d’un avantage concurrentiel durable).
Nous retenons de ces valeurs la culture chevaleresque et les valeurs de dignité et de solidarité. Les deux premières sont indispensables pour le dépassement de soi (besoin d’accomplissement de Maslow), la troisième est indispensable pour le management de groupe (cercles de qualité, groupes amélioration qualité).
L’Islam, par exemple, exige honnêteté, qualité et effort au travail.
A une question portant sur les éléments culturels spécifiques au Maroc dont il faut tenir compte dans la gestion des ressources humaines M.Larbi Koullou  «(in  la vie économique» , Août 1991) cite la culture de groupe et de solidarité sociale. Et d’ajouter qu’il existe au Maroc une culture en mosaïque avec plusieurs sous cultures.
Loin d’une vision pessimiste qui consiste à dire que la diversité culturelle et les sous-groupes qu’elle sous tend  risque de démobiliser le personnel  derrière un objectif commun, l’auteur voit dans cette réalité un facteur enrichissant.
Au contraire, la tolérance et le respect de l’autre constatés au niveau de la société marocaine se retrouvent également à l’intérieur de l’entreprise.
La question de la Qualité en lien avec la culture  a besoin d’une théorie qui interroge les ressorts profonds de la personnalité humaine. C’est-à-dire  de concepts qui prennent en compte l’homme dans toutes ses dimensions, à côté de l’économique (variable qui a  jusqu’ici pris le pas sur les autres considérations), le social mais surtout le culturel, et non de
théorie (s), qui le réduirait à un animal impulsif (stimulus-réponse) aux besoins uniquement physiologiques comme le laisse entendre les préceptes de l’homo-economicus de l’économie politique classique.
Au  Japon, par exemple, l’exigüité de l’espace, l’avarice du sous-sol (absence de matières premières) et l’instabilité des terrains (activités sismiques et volcaniques), au lieu de constituer des obstacles (menaces), se sont transformées en atout (opportunités),  obligeant ainsi  les populations, il y a des millénaires, à développer des formes d’organisation ,sorte de riposte au destin de la nature, preuve qu’on ne s’améliore que sous contrainte.
Autrement, un ensemble d’usages qui peu à peu s’ancrent  dans les mœurs pour faire partie de la culture, variable structurelle qui régule les comportements pour former l’identité  d’une région, d’un espace mais surtout d’un territoire.
Pour notre part nous dirons que l’histoire millénaire du Maroc interpelle, d’abord, historiens, sociologues et ethnologues  pour une fouille dans notre passé lointain afin d’en déceler les ingrédients clés de succès, ensuite les gestionnaires pour mettre en valeur ce patrimoine Arabo–musulman et Amazighe (nourri d’affluents africain et andalou)  au service de la qualité menant vers  la compétitivité.
Force est de constater que le potentiel culturel national n’est, cependant, pas encore suffisamment mobilisé au service du développement pour un épanouissement des composantes du trinôme : société, groupe et individu.

*Enseignant chercheur à l’Université Cadi Ayyad-Marrakech,
Certifié IRCA (AFNOR international, Avril 2011).

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