La patera France en naufrage

Point de vue

Par Jamal Eddine NAJI

Quand une nation est prise de peur, elle se crée des malheurs qui finissent par sonner sa dernière heure. Depuis plus d’une année, la république française a mal à sa société et sa classe politico-médiatique est pratiquement en état de panique totale, au bord d’une brutale syncope à la seule évocation du terme : immigré !

L’ex empire colonial, s’étendant encore aujourd’hui à des territoires et îles sur tous les continents, mers et océans, le voilà, près de trois siècles après Napoléon, dérivant comme une patera sans boussole ni but précis, laissant derrière elle le rivage que 68 Millions de français (dont 2,2 M peuplent territoires d’outre-mer et contrées ultramarines) chérissaient fièrement : la «Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen» de 1789. Désorientée, la «Patera France», est ballotée par un tangage incessant et inédit, avec tous ses fonds et tréfonds (institutions, législations, leaders politiques et d’opinion, ministres et élus…).

Le naufrage est de plus en plus certain. Du fait qu’un roulis constant et puissant fait trembler chaque matin une Présidence, sans vision cohérente, qui hésite entre naviguer vers la droite ou naviguer vers la gauche. Du fait, aussi, d’une houle brutale qui menace de dislocation totale un parlement zébré, houleux et fragilisé de toute part. Nulle salle des machines, ni gouvernail stable, dans cette embarcation chancelante, et pour cause ! Elle ne compte que sur une voile, plusieurs fois rafistolée, qui ne peut résister à un furieux vent charriant tous les contraires : une loi sur l’immigration (votée le mardi 19 Décembre 2023, date qui fait échos à la victoire du poujadisme le 2 janvier 1956, sous la défunte 4ème République, avec un groupe de 52 députés élus, menés alors par leur chef, Jean-Marie Lepen !).

 Le dernier prédécesseur et ex patron de l’actuel occupant de l’Élysée dévoila, le lendemain du vote de cette loi scélérate, les coordonnées de la dérive menant au naufrage : « Le Président Macron et le gouvernement n’ont pas pris les voix du Front National, ils ont pris leurs idées ». Sans appel ! « C’est une permission à la xénophobie et au racisme », explicite crûment « Danny, le rouge » de Mai 68, Daniel Cohn-Bendit, ex député européenet ex admirateur de Macron comme il le confirme à présent !

L’arnaque, le faciès et les sous des étudiants

De quoi figer dans le désarroi les 10% des habitants de la république qui sont pointés comme immigrés, étrangers ou d’origine étrangère. Nul, parmi cette minorité, qualifiée par certains de « visible », n’est à l’abri, désormais, de l’escroquerie du « jeu de bonneteau » ou « jeu des gobelets » exécuté par un tour de passe-passe ou manipulation de trois cartes : chasse des « sans papiers » sans exceptions atténuantes, expulsions sans tous les recours prévus (français ou européens), disparition en masse des droits sociaux, voire de la nationalité légalement octroyée… L’immigré victime de cette arnaque est perdant, par la loi (!) sur toutes les cartes ! Et le contrôle de facies se renforcera forcément, comme conséquence logique de l’application de cette loi. Même le touriste, repéré par la maréchaussée sur la voie publique ou dans les transports comme trop typé ou singulièrement accoutré, en sera victime potentielle parce que « visiblement » ne semblant pas être une « pure souche hexagonale » ! Avis d’alerte aux touristes de tous les pays trop ensoleillés et gare aux amateurs trop bronzés des jeux olympiques prévus à Lutèce l’été prochain.

Quant aux étudiants étrangers que la France a toujours veillé à les séduire par ses « lumières » et ses « humanités », l’escroquerie qui les menace est carrément annoncée d’avance comme « révolutionnaire ». L’objectif, solennellement désigné par Macron d’accueillir 500.000 étudiants étrangers à l’horizon 2027 (terme de son 2ème et dernier mandat) se révèle finalement une carte perdante dans ce bonneteau. Sous prétexte de douteuses statistiques (qui circulent si nombreuses en France) concernant de « faux étudiants » qui ne retournent pas dans leurs pays, une fois diplômés, la France compte sévir avec cette loi. Elle veut tarir les hordes des prétendants, dissuader d’autres qui ne peuvent, pécuniairement, garnir ses caisses par des « cautions de retour », majorer les droits d’inscription pour les non européens, restreindre leurs prestations sociales… Bref, cerner l’étudiant étranger, estampillé « immigré clandestin » en puissance (surtout les africains et les maghrébins), par le maximum d’obstacles. A la trappe la réalité : en 2022, la France a empoché dans ses caisses 1,3 milliard d’euros (différence entre les 5 milliards dépensés pour leurs études par ces étudiants et les 3,5 milliards comme coûts pour le pays et ses universités). En 2022, la France comptait ainsi sur cette manne grâce à un total de 400.000 étudiants étrangers. Notons, au passage, que les 46.371 étudiants Marocains inscrits en 2022 dans les universités et grandes écoles françaises étaient les plus nombreux devant les Algériens, les Chinois, les Italiens, les Sénégalais, les Tunisiens, les Espagnols, les Ivoiriens et les Libanais, avant d’autres pays qui comptent moins de 10.000 inscrits. Sur 119.000 visas d’étudiants livrés en 2022, 50% venaient d’Afrique et du Moyen Orient.

Des forces de travail pour des valeurs

Sans minorer cet aspect financier pour l’indépendance et la gestion des universités et grandes écoles, reproduisons du communiqué de leurs présidents (plus de 80) la dénonciation de cette loi d’immigration qui « s’attaque aux valeurs sur lesquelles se fonde l’université française. Ces valeurs sont celles de l’universalisme, de l’ouverture et de l’accueil de la libre et féconde circulation des savoirs, celles de l’esprit des Lumières (…) Comment accepter des mesures qui tendront à replier l’université française sur elle-même alors que nos étudiants et chercheurs accueillis participent à la production, à la diffusion des valeurs et des savoirs académiques et culturels au-delà de nos frontières ? (…) L’accès aux connaissances et à la formation ne peut être entravé par des considérations financières si restrictives et sans fondement à l’image de l’instauration d’une caution de retour ou d’une limitation des aides sociales».

Un exemple : sur 70.000 doctorants, l’année dernière, seuls 25.000 ont renoncé au retour dans leurs pays d’origine, un grand nombre parmi eux ayant été, à coup sûr, incités par le pays d’accueil afin de louer leur force de travail et d’expertise dans des secteurs de pointe : médecine, recherches scientifiques, High Tech et informatique, ingénieries diverses etc. Autant de cerveaux en moins pour leurs pays d’origine ! Idem pour les forçats, avec ou sans papiers, dans les arrières des cuisines, dans les hôtels (la France 1ère destination touristique au monde avec 80M de visiteurs), dans les BTP, dans les services de voierie, d’assistances sociales, dans les ONG caritatives, dans les champs agricoles etc. Métiers et secteurs qui risquent de prendre de l’eau si le dogme de « la préférence nationale », glissé dans la nouvelle loi sur l’immigration, s’en mêle, comme l’admettent ceux qui le brandissent et ceux qui le combattent.

En fait, la Patera France a une cale bricolée en plusieurs soutes.

Une première soute qui déborde de sondages d’opinion par quotas, pêchant par une tradition toute française (depuis son 1er sondage politique en 1969, contrairement au monde anglo-saxon) : ne jamais révéler la marge d’erreur… « Nous ne savons pas la calculer et les chiffres d’un sondage sont des chiffres approximatifs, des chiffres de sciences sociales », nous avertit, avec modestie, Roland Cayrol, autorité française en la matière, co-fondateur de « Marocmétrie » chez nous, natif de Rabat. Les sondages produisent l’opinion plus qu’ils ne la mesurent, c’est connu.

L’hallali sur les plateaux TV

Dans la 2ème soute de la cale on emmagasine pêle-mêle la moindre rixe entre voisins, une bêtise d’enfant mal élevé ou sombrement « illuminé », un fait divers banal ou fréquent, deviennent des « faits de société », puis des « affaires d’État », puis des « menaces existentielles » pour tous les occupants de cette patera. Surtout si un acteur impliqué dans ces faits est, ou semble être, un étranger, à fortiori s’il est maghrébin, musulman ou africain…

Ces deux soutes de la patera France, où s’amoncellent statistiques invérifiables, données approximatives, fausses informations, comptes rendus de faits biaisés, ressentis de passants, alimentent une troisième soute qui décide du rythme de navigation pour cette embarcation, désormais bien mal fortunée. Au moyen, ou par le biais (les biais) des réseaux « asociaux » et surtout des prospères chaînes françaises d’information continue (discontinue, devrions-nous dire). Chaînes qui font défiler sur leurs plateaux, sans relâche et sans SAS de contrôle de savoir ou d’expertise, obscurs tribuns, racistes déguisés, ministres médusés, élus effacés ou mal élus, analystes improvisés, en direct, sur place, retraités aux facultés diminuées ou tardivement revanchards…

Et même des descendants d’immigrés redoutant d’être comptés dans le lot de leurs semblables ciblés et visés par l’excommunication politico-médiatique menant à la damnation d’être éjecté de la patera France. Certains prennent la précaution de changer de prénom trop « visible » …L’hallali sonne pour chasser le « visible » comme le « démasqué » à bord de la patera. Tant le droit d’être à bord de « France » n’est plus à l’abri d’exception légale. Dixit la mesure de la nouvelle loi d’immigration de décembre 2023 qui s’attaque au séculaire « jus soli » (droit du sol), apparu déjà en 1315 dans un édit royal –certes restreint – de Louis X, pour le rogner progressivement au profit du « jus sanguinis » (droit du sang). Reniement d’un droit fondamental qui finira par déboulonner la devise clouée sur le fronton de la patera France depuis des siècles : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Un déclassement ! Dans le Larousse, ce mot est précédé, par, moins d’une page, du mot : déchéance.

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