Après le fiasco des législatives
Le fiasco des élections législatives en Tunisie, marquées samedi par une abstention record de plus de 90%, est un camouflet pour le président Kais Saied dont l’opposition réclame le départ, et qui se retrouve délégitimisé et très affaibli dans ses négociations avec le FMI d’un prêt crucial pour une économie aux abois. « L’échec », a titré dimanche le journal Maghreb.
Le chef de la principale coalition d’opposants Ahmed Nejib Chebbi a appelé le président à « quitter ses fonctions immédiatement » après l’annonce d’un taux de participation de seulement 8,8% au premier tour d’un scrutin organisé pour renouveler le Parlement.
Il s’agit du pire taux de participation à des élections en Tunisie depuis la Révolution de 2011 qui avait chassé du pouvoir le dictateur Zine EL Abidine Ben Ali et fait émerger la première démocratie du monde arabe.
« C’est un grand désavoeu populaire pour le processus », démarré le 25 juillet 2021 quand Kais Saied avait gelé le Parlement et limogé son Premier ministre, s’emparant de tous les pouvoirs, a déclaré dimanche M. Nejib Chebbi dans un entretien téléphonique à l’AFP.
« 92% ont tourné le dos à son processus illégal qui bafoue la Constitution », a poursuivi M. Chebbi, président du Front de Salut national (FSN), dont fait partie le mouvement d’inspiration islamiste Ennahdha, bête noire de M. Saied et ancien parti majoritaire au Parlement pendant les 10 ans qui ont suivi la Révolution tunisienne de 2011.
Il a appelé les autres formations politiques à « s’entendre sur la nomination d’un haut magistrat » capable de « superviser une nouvelle élection présidentielle ».
Après son coup de force puis la dissolution du Parlement, dénoncés depuis des mois comme « un coup d’Etat » par l’opposition, le président Saied a fait adopter cet été par référendum une Constitution qui réduit drastiquement les prérogatives du Parlement.
Il a aussi réformé le mode de scrutin utilisé samedi pour les législatives, en interdisant toute affiliation politique pour les candidats, dont la plupart étaient inconnus, ce qui, pour les experts, a contribué à faire chuter la participation.
La plupart des partis tunisiens dont aussi le Parti destourien libre d’Abir Moussi (opposition anti-islamiste) boycottaient en outre le scrutin de samedi.
Pour le politologue Hamadi Redissi, l’extrêmement faible taux de participation aux législatives « est inattendu car même les prévisions les plus pessimistes tablaient sur 30% » comme au référendum sur la Constitution.
« C’est un désaveu personnel pour M. Saied qui a décidé tout tout seul », a ajouté l’expert interrogé par l’AFP, estimant que « sa légitimité est en cause ».
Toutefois, selon cet expert, « la situation est bloquée » car « il n’existe aucun mécanisme juridique pour destituer le président » dans la nouvelle Constitution de 2022.
Le nouveau Parlement — qui ne sera constitué qu’après un deuxième tour d’ici début mars — n’a pas cette compétence et peut, au mieux, censurer le gouvernement mais à l’issue d’un processus long et complexe.
Pour le politologue Slaheddine Jourchi, après le fiasco du premier tour des législatives, M. Saied est « plus isolé, des élites, des partis et maintenant du peuple aussi ».
« Ce taux jamais enregistré (à un tel niveau dans une élection) reflète l’absence de confiance du peuple. Il s’est toujours prévalu du soutien du peuple mais ce taux de participation va être un choc, une secousse qui pourrait lui faire perdre ses équilibres », a estimé M. Jourchi.
Le FSN a lancé un appel à la mobilisation des différentes forces d’opposition, y compris via des manifestations.
Mais l’opposition « est faible et divisée » entre d’un côté le camp laïc et progressiste, et de l’autre le FSN coalisé autour d’Ennahdha, a souligné M. Redissi.
Il y a « peu de chances qu’elle s’unisse tant qu’on n’aura pas résolu la question Ennahdha », a-t-il dit, à propos de cette formation à laquelle une bonne partie des Tunisiens, qui soutenaient au début le coup de force de M. Saied, a imputé les échecs économiques et sociaux de la dernière décennie.
La population est très inquiète de la dégradation continue de ses conditions: inflation galopante, chômage très élevé et un taux de pauvreté qui touche 4 millions des 12 millions de Tunisiens.
Le FSN ne s’y est pas trompé en qualifiant aussi de « désaveu » — international cette fois — le report par le Fonds monétaire international (FMI) à début janvier au plus tôt d’un accord définitif sur un nouveau prêt de deux milliards de dollars, demandé par la Tunisie et qui aurait dû être donné ce lundi.