Un livre lu pour vous
L’AI occupe aujourd’hui une place centrale dans plusieurs secteur, à commencer par l’éducation, la santé en passant par le monde des finances ou encore la culture, sans omettre aussi le champ politique….
Dans cette série d’articles, nous allons présenter à nos lecteurs, chaque jour et ce durant tout le mois de ramadan, un livre écrit par l’un des grands chercheurs en matière de l’intelligence artificielle.
Aujourd’hui, nous abordons le livre de « «L’Âge du capitalisme de surveillance », écrit par Shoshana Zuboff.
Publié en 2019 et traduit en français en 2020, « L’Âge du capitalisme de surveillance » de Shoshana Zuboff constitue une analyse percutante et alarmante de la mutation du capitalisme à l’ère du numérique. Loin de se limiter à la simple exploitation des données personnelles, ce nouveau paradigme repose sur une logique inédite : l’appropriation de l’expérience humaine elle-même comme matière première pour générer du profit.
Dès les premières pages, Zuboff met en garde contre un phénomène qu’elle qualifie de « sans précédent » : « Le capitalisme de surveillance revendique unilatéralement l’expérience humaine comme matière première gratuite destinée à être traduite en données comportementales ». À travers une démonstration implacable, elle dévoile comment les géants du numérique, notamment Google et Facebook, se sont arrogé un pouvoir inédit sur la société, transformant la vie privée en un gisement exploitable et notre comportement en une ressource commercialisable.
Capitalisme de surveillance : une rupture avec l’ancien modèle
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Contrairement au capitalisme industriel qui reposait sur la transformation de ressources naturelles, le capitalisme de surveillance s’attaque aux données comportementales des individus. Google, pionnier de ce modèle, a découvert qu’au-delà des recherches en ligne, chaque interaction numérique recelait un potentiel inexploité de monétisation.
Zuboff introduit un concept clé : le « surplus comportemental », c’est-à-dire les données captées au-delà de ce qui est nécessaire au fonctionnement des services numériques. Ce surplus, loin d’être un simple sous-produit, est raffiné, analysé et vendu sous forme de prédictions comportementales. « Nous ne sommes pas les clients du capitalisme de surveillance, mais sa matière première », résume-t-elle.
Ce détournement des données personnelles a été rendu possible par un vide réglementaire béant. À la naissance de Google, les questions de protection des données étaient embryonnaires et les gouvernements, fascinés par l’innovation numérique, n’ont pas su anticiper la dérive. Ce laisser-faire a permis aux entreprises de s’auto-instituer comme les nouveaux législateurs de l’ère numérique.
L’IA comme outil de captation et de manipulation
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L’un des aspects les plus troublants du livre est la manière dont Zuboff met en évidence le rôle central de l’intelligence artificielle dans cette transformation. Grâce aux algorithmes d’apprentissage automatique, les entreprises peuvent non seulement anticiper nos comportements, mais aussi les influencer. « Ce n’est plus seulement une question de prédiction : ils façonnent activement notre futur », insiste-t-elle.
Les IA ne se contentent plus d’enregistrer ce que nous faisons, elles nous orientent subtilement vers certains choix. Cette dynamique est particulièrement visible sur les réseaux sociaux où, sous couvert de personnalisation, les plateformes enferment les utilisateurs dans des bulles cognitives. Facebook, par exemple, ajuste le fil d’actualité pour maximiser l’engagement, exploitant la psychologie humaine pour capter l’attention et renforcer certaines croyances.
Le nudging algorithmique : vers une société automatisée
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Zuboff décrit un autre phénomène préoccupant : le « nudging algorithmique ». Il s’agit d’une approche insidieuse où les algorithmes modulent nos actions par de subtiles suggestions. Un exemple frappant est Pokémon Go, où les déplacements des joueurs étaient guidés non pas seulement par le jeu, mais par des partenariats commerciaux qui les orientaient vers des lieux sponsorisés. Ce type de manipulation à grande échelle pose la question de notre libre arbitre dans un monde de plus en plus régi par des algorithmes opaques.
Zuboff insiste sur un point crucial : le capitalisme de surveillance a engendré une asymétrie du savoir d’une ampleur inédite. « Ceux qui détiennent l’information contrôlent les conditions de vie des autres », écrit-elle. Autrefois détenue par les gouvernements ou partagée par la communauté scientifique, la connaissance est aujourd’hui accaparée par quelques entreprises privées.
Cette concentration extrême du savoir permet aux géants du numérique de modeler la société selon leurs propres intérêts. Google, Amazon ou Facebook détiennent aujourd’hui des bases de données si vastes qu’elles dépassent celles de nombreux États, ce qui leur confère un pouvoir d’influence inégalé.
La manipulation politique et l’érosion de la démocratie
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Le scandale Cambridge Analytica a démontré à quel point ces technologies pouvaient être détournées à des fins politiques. En exploitant les données psychologiques des électeurs, des campagnes ciblées ont pu être menées avec une efficacité redoutable, influençant des scrutins majeurs comme le Brexit ou l’élection présidentielle américaine de 2016.
Le risque est clair : les processus démocratiques peuvent être subvertis par des campagnes invisibles aux yeux des électeurs, manipulant leurs émotions et leurs opinions sans qu’ils en aient conscience. Comme l’écrit Zuboff, « La démocratie dépend d’un espace public sain, et cet espace est désormais contaminé par l’influence cachée des plateformes numériques ».
Zuboff appelle à une régulation urgente de ce capitalisme hors de contrôle. Elle prône l’adoption de lois inspirées du RGPD européen, mais plus contraignantes encore, imposant des limites claires à la collecte et à l’utilisation des données personnelles.
Elle insiste aussi sur la nécessité d’un sursaut citoyen. L’acceptation passive de ces pratiques est dangereuse, et il est essentiel de revendiquer un droit fondamental au contrôle de nos données. Elle plaide pour des initiatives renforçant la souveraineté numérique, comme l’utilisation de technologies alternatives, des moteurs de recherche éthiques ou des services décentralisés.
Enfin, elle souligne l’urgence d’une prise de conscience collective. Sans une éducation critique aux enjeux du numérique, les citoyens continueront d’être manipulés à leur insu. « La bataille pour l’avenir de l’humanité se joue aujourd’hui, et nous avons le devoir d’y prendre part », conclut-elle.