Au-delà des chiffres et statistiques avancés et commentés au sujet des réalisations du gouvernement, dont le mandat va expirer cette année, les participants à une table ronde organisée, jeudi soir à Rabat par le Centre d’études et de recherches Aziz Belal (CERAB), en coordination avec l’Association des économistes marocains ont souligné que le Maroc a effectivement connu des changements importants qui se sont traduits par la préservation des équilibres macroéconomiques et la réduction de la pauvreté, laquelle n’a pas permis une diminution des inégalités sociales.
L’expérience gouvernementale, a-t-on également rappelé au cours de cette rencontre dont la modération a été assurée par le vice-président du CERAB Abdelouahed El Jai, a été celle des grandes réformes que le pays a engagées au cours de cette période fondatrice consécutive à la Constitution de 2011 (compensation, retraites, régionalisation) parallèlement aux grands projets structurants lancés partout dans le pays.
Pr Abdelkhalek Touhami :
Prenant la parole, Pr Abdelkhalek Touhami, a indiqué que la volatilité de la croissance de l’économie nationale est le trait saillant de l’économie nationale, ce qui fait que le taux de croissance est intimement lié au niveau de la productivité agricole. C’est ainsi qu’il ne devra pas dépasser 1% cette année, chutant de 6% à 2% puis à 1%.
Une autre caractéristique de l’économie nationale, a-t-il poursuivi, réside dans le fait que l’amélioration de cette productivité dans le secteur agricole ne crée pas automatiquement de nouveaux emplois, au contraire le secteur a accusé une perte de 32.000 postes d’emplois, quand le secteur a enregistré une production céréalière record.
Quand la productivité dans le secteur augmente, il y a une perte de plusieurs postes d’emploi, a-t-il expliqué, ajoutant que le taux de chômage varie actuellement entre 9 et 10 % de la population active, dont la courbe est en baisse.
Selon lui, le poids de l’agriculture dans le PIB a baisse. Le secteur ne représente que 14,2 % alors qu’il emploie 33,9 % de la population active.
Il a fait savoir en outre que l’impact de la croissance sur le taux de chômage est faible, indiquant que la croissance économique ne réduit pas le chômage. Elle ne constitue pas un moteur de réduction du chômage.
Le rendement de l’investissement est faible en ce qui concerne la réduction du chômage, sachant que l’investissement public constitue toujours le principal moteur du développement du pays, a-t-il ajouté. Cette situation est aggravée par le fait que l’économie nationale est intimement liée à la zone euro, qui tarde à sortir de la crise, a-t-il estimé.
Il a par ailleurs avancé que la chute des cours mondiaux de pétrole n’a pas impacté positivement l’économie nationale. Elle a toutefois permis au pays de maitriser l’inflation qui varie entre 1,2% et 1,5%. Elle a également aidé le gouvernement à mener avec succès la réforme de la caisse de compensation qui représentait une ponction de quelque 55 milliards de Dirhams du budget de l’Etat.
Cette situation a permis aussi la réduction du déficit budgétaire de plus de 7,2% à 3,2% seulement et une amélioration du compte courant à travers l’augmentation des réserves en devises, qui représentent environ 8 mois d’importation.
En termes d’endettement, la situation reste également gérable tant que le taux de la dette se situe à 64%, a-t-il soutenu, estimant par ailleurs que les investissements publics (180 milliards de Dirhams) n’ont pas eu les effets escomptés. Ils n’ont que relativement contribué à la réduction de la pauvreté en milieux urbain et rural et au sein même du même espace. Quant aux inégalités sociales, elles se sont par contre accentuées, suite aux différentes réformes réalisées.
Il a toutefois fait savoir que c’est surtout la classe moyenne, dont le rôle est capital dans le développement du pays, qui supporte le coup de ces réformes, estimant qu’il n’y a pas eu d’effritement de cette classe, qui semble n’avoir pas perdu de terrain.
Selon Pr Touhami, les inégalités se sont accentuées, car les stratégies de lutte contre la pauvreté ne se traduisent pas automatiquement par un recul des inégalités.
Mohamed Chiguer :
De son côté, Mohamed Chiguer, président du CERAB a opté pour une lecture académique objective des réalisations axée sur le programme du gouvernement, qui s’inscrit, selon lui, dans la continuité de ses prédécesseurs, programme qui ne correspond pas à l’action de l’Etat, lequel ne dispose pas de vision et de stratégie globales. Ce qui rejaillit, a-t-il estimé, sur l’autorité du gouvernement, qui se trouve entre le marteau et l’enclume. Le gouvernement ne dispose pas du plein pouvoir exécutif, dit-il. C’est clair au niveau de l’élaboration des lois de finances. Le gouvernement a reculé aussi en matière de lutte contre la prévarication, estimant qu’il ne dispose pas des moyens pour le faire. Il a fait aussi marche arrière dansle dossier des agréments, a rappelé Chiguer.
Ce qui prouve que la source du pouvoir est ailleurs et non pas à la primature, a-t-il dit, ajoutant que ce programme gouvernemental n’a pas été non plus réactualisé après la sortie de l’Istiqlal et son remplacement par le RNI. C’est ainsi que le plan d’accélération industrielle n’y figure pas.
Il ne s’agit donc que d’un programme de coalition gouvernementale disparate qui n’a rien à voir avec les programmes électoraux, aux termes desquels les partis politiques s’engagent envers les citoyens, a indiqué le président du CERAB.
Mais quel est le style de l’actuel gouvernement, s’est-il interrogé, affirmant que le style Benkirane diffère de ses prédécesseurs.
Selon lui, ce style est marqué par la personnalité du chef du gouvernement et son référentiel, qui font de lui un fonceur et un autoritaire qui se veut par moment paternaliste, pensant que tout ce qu’il fait est bon pour le pays.
Quand on est autoritaire, on n’a pas l’art d’écoute, a estimé Chiguer.
Au niveau économique, il est d’un libéralisme qui laisse perplexe. C’est ainsi qu’il n’a pas hésité à opter pour la vérité des prix en présentant à la télévision le projet de la réforme de la caisse de compensation. Cette orientation libérale s’explique aussi par le fait qu’il est issu du secteur privé, comme elle correspond à la vision manichéenne du monde où seuls le bien et le mal coexistent, ce qui exclut l’existence d’une classe moyenne.
Le gouvernement se targue aussi d’avoir su préserver la stabilité du pays. Pour lui c’est ce qui compte, le reste, l’économie, le chômage, les conditions de vie et la situation sociale viennent après, a ajouté Chiguer, reprochant à l’actuel gouvernement de n’avoir pas négocié comme il se doit le virage du pays en 2011, à l’instar d’ailleurs du gouvernement d’AbderrahmanYoussoufi.
Idriss El Azami el Idrissi :
Prenant la parole, le ministre délégué chargé du budget, Idriss el Azami el Idrissi a d’emblée fait savoir que le gouvernement donne uniquement l’impression d’être libéral, ajoutant que le FMI ne dicte rien à l’actuel gouvernement. Selon les propos des responsables du FMI, a-t-il affirmé, ce dernier n’a rien à dicter au gouvernement, qui a identifié dès son investiture ses priorités axées sur la valorisation de la notion du travail pour faciliter la vie à l’entreprise et promouvoir la justice sociale à travers la lutte contre la prévarication et la consolidation des équilibres sociaux.
Tous les indicateurs étaient au rouge à l’arrivée du gouvernement, a-t-il rappelé, notant que l’action du gouvernement a permis de redresser la situation à travers le recouvrement des fondamentaux et partant des marges nécessaires à la mise en oeuvre de la politique du gouvernement.
C’est ainsi que la situation a complètement changé après le recouvrement des 57 milliards de Dirhams, consacrées auparavant à la caisse de compensation, ce qui posait un grand problème devant la prévision budgétaire.
Il a été procédé aussi à la consolidation du cadre macroéconomique, laquelle action a permis au gouvernement de disposer d’une marge budgétaire meilleure, a-t-il dit, ajoutant que le gouvernement a réussi en même temps à réduire le déficit budgétaire de 7,3% à 3,5%, ce qui a eu un impact sur la croissance.
Evoquant la question de la réforme des régimes de retraite, il a indiqué qu’il s’agit d’un problème social dont la gravité échappe à d’aucuns. C’est une réforme indispensable pour la reconstitution des réserves nécessaires dans le cas au moins de la Caisse marocaine de retraite pour que des futures retraites puissent avoir leurs pensions, a-t-il expliqué.
En matière des finances, le gouvernement a réussi à faire adopter la loi organique des finances, selon laquelle on est passé d’une logique des moyens à une logique des résultats, ce qui devra donner de la visibilité à la programmation budgétaire, a-t-il dit.
Quant à la réforme fiscale, elle pose problème. Il est nécessaire de préserver la compétitivité de l’économie tout en promouvant l’équité fiscale. C’est pourquoi, on s’est contenté d’une réforme limitée au lieu de procéder à une refonte de tout le système en place, a-t-il reconnu.
En matière d’investissement, le gouvernement a maintenu l’effort à un haut niveau (189 milliards de Dirhams).
Au niveau des secteurs, il a fait constatér que le secteur tertiaire représente désormais une part plus importante et que l’agriculture a changé en termes de production. La céréaliculture ne domine plus le secteur.
En matière de soutien à l’entreprise nationale, l’effort déployé à travers l’automaticité de la préférence nationale au niveau des marchés publics a eu un impact hautement positif, étant donné que l’entreprise marocaine et en particulier les PME ont désormais une part du marché national.
Abdeslam Seddili :
Pour sa part, le ministre de l’emploi et des affaires sociales, Abdeslam Seddiki a souligné d’entrée que le Maroc a évolué au cours des dernières années et connu des changements importants, avec des aspects positifs et d’autres négatifs.
Le rythme d’évolution n’a pas été à la hauteur des attentes, a-t-il reconnu, estimant que cela est du en premier lieu à des problèmes de société et de mentalité.
C’est ainsi que la production législative est très lente. Au niveau des deux chambres du parlement, l’on assiste à un véritable jeu de ping-pong, étant donné que les délais d’examen des textes ne sont pas fixés. Une fois soumis au parlement, nombre de projets sont pris en otage pendant de longues périodes, a-t-il dit.
Il a par ailleurs estimé que la Constitution de 2011 a institué un pouvoir exécutif à deux têtes, dont les attributions et prérogatives s’imbriquent.
Il a rappelé dans ce cadre que les grandes lignes de la politique du pays, ainsi que les programmes consistants comme le Plan Maroc Vert sont exposés en conseil des ministres, ce qui représente l’avantage de préserver la stabilité du pays et qui donne l’impression que les gouvernements qui se succèdent ne différent pas les uns des autres.
Il a souligné aussi que le ministère de l’économie et des finances joue actuellement un rôle prépondérant au sein du gouvernement dans la mesure où tous les textes législatifs doivent avoir l’aval de ce département comme le faisait dans le passé le ministère de l’intérieur.
Il a par ailleurs convenu que le secteur agricole a enregistré au cours de la campagne agricole exceptionnelle des pertes importantes de postes d’emploi en particulier les emplois non rémunérés, ce qui constitue une évolution positive, a-t-il dit et non négative, consécutive à la modernisation du secteur.
Il a expliqué aussi que la hausse du taux du chômage s’explique en partie par la faiblesse du taux d’activité des femmes et non des hommes.
En somme, au terme des cinq dernières années, le gouvernement a enclenché une dynamique de transformation des structures dont les résultats ne sont pas immédiats, a-t-il dit. On a réduit la pauvreté mais pas les inégalités, tâche qui requiert pour sa réalisation davantage de solidarité et de cohésion nationales, selon Seddiki.
M’Barek Tafsi