Le cinéma de Daech décrypté

«Le seul fait de filmer ce qui existe déjà le transforme en objet de cinéma», écrit Jean-Louis Comolli dans son nouvel opus, Daech, le cinéma et la mort. Les clips de l’horreur signés Daech qui scellent l’alliance macabre de l’image et de la mort relèvent-ils du cinéma?

C’est la première interrogation de nature phénoménologique qui interpelle les cinéphiles à la lecture de cette passionnante contribution au décryptage des images de l’horreur.  Jean-Louis Comolli, ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, théoricien du cadre, du montage et du rapport fiction/réel, cinéaste documentariste qui a beaucoup filmé la vie politique locale à Marseille, nous livre dans cet essai un décryptage d’une production audiovisuelle émanant non pas de l’un des pôles de la cinématographie mondiale mais d’une nébuleuse qui défraie la chronique par une démarche de propagande qui a très bien su mobiliser les  acquis les plus efficients  de la grammaire du spectacle hollywoodien.

C’est un exercice critique pénible auquel il nous invite : il faut visionner ces images quitte à se salir les yeux comme dirait Rossellini. Les visionner pour y déceler la contamination du cinéma qu’ils opèrent (les monteurs de daech s’inspirent des effets spéciaux hollywoodiens) pour en fait réhabiliter le cinéma. Car le cinéma a été créé pour conjurer la mort et voilà qu’il est mis au service de la mort. Comolli s’est attelé à visionner des dizaines et des dizaines de clips disponibles sur la toile, la doxa du marché des images faisant qu’aujourd’hui tout soit montrable et visible. Le but étant de comprendre «cette extravagance et ce qui en elle, porte atteinte à la beauté comme à la dignité du geste cinématographique».

Certes, la mort était toujours présente dans les films ; mais les morts du cinéma se relèvent et vont toucher leur chèque à la fin de la semaine. Avec «Daech» filmer et tuer participent de la même démarche. Tuer pour montrer, dévoilant une logique de voyeurisme qui relève du pornographique. Comolli nous initie par les voies de la cinéphilie à voir dans les clips de Daech l’exemple parfait d’une «dictature du formatage» familière à ce que Serge Daney nommait l’«odieux-visuel».

Mohammed Bakrim

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