Le cinéma et la question nationale

en présence de quelques invités du monde artistique dont notamment Mme Naima Elmecharqui en sa qualité de présidente de l’association Watanouna (Notre patrie).

Le thème conducteur de la cérémonie a été d’ailleurs consacré à la question des détenus marocains, civils particulièrement, dans les camps de Tindouf. Une figure emblématique de ces victimes oubliées de l’histoire était conviée à prendre part  à ces activités, Abdellah Lammami qui a passé plus de vingt ans de détention. Des films se réclamant de la veine documentaire ont été projetés : deux courts métrages de la jeune Yasmine Elkhayat  (relatant des témoignages des rescapés de cette terrible tragédie) et un extrait du long métrage de Rabiî El Jaouhari, librement inspiré du livre rédigé justement par Abdellah Lammami. Le débat qui a suivi ces projections a permis à ce dernier, de raconter, entre autres,  les circonstances de la sortie de ce livre. Calme, serein et sans animosité aucune, ce casablancais originaire de Tata dans le sud marocain menait une vie paisible de technicien travailleur et ambitieux (parallèlement à son travail, il suivait des cours du soir) et préparait son mariage avec une jeune femme de son quartier. Les vacances de l’été 1980, il effectue un voyage au sud, à Tata, justement pays de ses ancêtres. Il est accompagné de l’un des ses camarades de travail avec qui il partage les plaisirs de la vie. L’été est suffoquant surtout dans les confins du désert où se trouvait son village. Abdellah et son ami décident de rentrer à Casa, vers un climat plus frais. Nous sommes à l’été 1980. La situation est très tendue aux provinces marocaines du sud du fait des incursions du Polisario qui mène une guerre d’harcèlement des troupes marocaines chargées de sécuriser la région. Les commandos séparatistes ultra-équipées par  l’Algérie et la Libye, menaient des incursions jusqu’à Tantan et semaient la terreur dans les confins de l’Anti-Atlas et les chaînes rocheuses dite Alwargziz qui leur offraient un abri naturel pour tendre leurs embuscades. C’est au cours de l’une d’elles que  Lammami et son ami ont été enlevés. Il le décrit en ouverture de son livre ; leur paisible bus reliant Tata à Agadir a été attaqué et une dizaine de ses passagers enlevés. Le livre est le journal qui décrit au jour le jour les tortures et les humiliations subies. Des années plus tard, au début des années 90, profitant de la visite d’une délégation de La Croix rouge, Abdellah ayant sympthisé avec un médecin de la délégation humanitaire lui demande de faire sortir son livre du camp et de le faire éditer. Le médecin français réussit  effectivement à faire publier le livre en France, les télévisions en parlent et le sort de Abdellah va connaître un tournant qui le mènera vers sa libération. Le film, sorte de docu-fiction, a été produit par la première chaîne nationale.
Le débat a, en outre, été l’occasion de soulever le rapport du cinéma marocain avec la question nationale. On sait que le sujet est récurrent et revient sous une forme ou une autre. Certains officiels, quand ils abordent le cinéma, ils n’hésitent pas à poser le problème frontalement en demandant à la profession du cinéma : « pourquoi il n’y a pas de film sur le Sahara ? ». Les promoteurs du livre blanc initié par le ministère de la communication en ont fait un choix stratégique. Certains membres de la commission d’aide au cinéma, dont l’actuel président, ont fait du thème « le cinéma et les grands sujets nationaux » leur carte de visite. En fait, ils en parlent comme s’il s’agissait de la découverte de la roue ou d’un nouveau continent…scénaristique. Or, me semble-t-il, le sujet est trop sérieux pour en faire un enjeu de marketing ou le livrer à de la surenchère démagogique. D’abord, il n’est pas juste de dire que le sujet est complètement occulté par le cinéma marocain. Je cite rapidement la docu-fiction Frontieras de Farida Benlyazid (2012) et le court métrage de Hassan Legzouli, Quand le soleil fait tomber les moineaux, « l3adrej » (1999).
En outre, il a fallu que le cinéma marocain arrive à une forme de maturation et de dispositions pour qu’on lui pose enfin de telles questions relatives à son programme dramatique. Aujourd’hui c’est un cinéma apte à s’ouvrir sur les sujets qui interpellent l’imaginaire collectif contemporain de notre société. Il en a fait la preuve. Encore faut-il que la société fasse preuve d’une telle disponibilité à se voir en miroir, avec tous les risques inhérents à la représentation de soi : notre public est habitué à voir l’autre filmer l’autre ; il s’initie peu à peu à découvrir sa propre image. Je renvoie aux polémiques qui ont accompagné certains films lors de cette décennie.
Et puis d’un point de vue plus «culturel», notre cinéma évolue dans un contexte où ni le roman, ni une autre forme de production de l’imaginaire n’ont  initié une prise en charge des «récits fondateurs» qui, selon Jean-François Lyotard, constituent les ressorts de la modernité. Et en matière de modernité, notre  cinéma fait œuvre  de pionnier.
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