Le digital

Par : Abdeslam Seddiki

Quel avenir du travail à l’ère du digital et de la 4ème révolution industrielle? Quelles formes d’organisation  et  de management succèderont à l’organisation classique et  taylorienne? Comment les systèmes de protection sociale vont-ils  s’adapter à ces  nouvelles réalités? Autant de questions que se posent des chercheurs et des économistes et qui interpellent nécessairement les pouvoirs publics,  les partenaires sociaux, les défenseurs des droits humains.

A cet effet, l’Organisation Internationale du Travail a lancé la réflexion sur le sujet  depuis 2016 en invitant les pays membres à ouvrir le débat. Elle prévoit d’organiser une Conférence Internationale à l’occasion du Centenaire de sa création.

L’économie digitale n’est pas un phénomène marginal.  Elle est en passe d’envahir l’ensemble des activités et  contribue d’ores et déjà à hauteur de 25% dans le PIB des pays développés.  Les entreprises du digital sont aujourd’hui parmi les 2000 les plus riches du monde et génèrent des profits faramineux.  Plus de la moitié des  habitants de la planète sont connectés à internet. Presque la totalité de la population des pays  développés l’est.  Ces mutations, appelées  à  se renforcer à l’avenir, auront à coup sûr, des impacts considérables sur les rapports de production, les modes de consommation, l’organisation  du temps et de l’espace…Et c’est à juste titre que l’on parle de révolution!

Le changement fondamental concernera le travail qui a connu, on le sait, des transformations continues au fil des temps.  On est passé d’un travail simple à un travail complexe, d’un travail concret  à un travail abstrait.  Pour faire court, on est passé progressivement du «travail torture» vers le travail épanouissement   et essence de l’homme. Le risque est grand de voir cet acquis de la civilisation humaine remis en cause sous l’ère digitale avec le développement de l’ubérisation de l’économie et de la société. On assiste, en effet, à de nouvelles formes d’utilisation de la force de travail comme le travail dit collaboratif. Ainsi, le travail est non seulement flexible, mais n’est plus localisé dans un temps et un lieu déterminés.  Il y aura de moins en moins de différence entre travail et non travail, vie professionnelle et vie privée.

Les  plateformes numériques, en mettant en relation des offreurs et des demandeurs de services, contribuent ainsi, à découper le travail en prestations individualisées en tâches fragmentées  et à accentuer  de ce fait  l’individualisation et la précarisation des relations de travail. C’est un travail commandé par ordinateur, payé le plus souvent à la tâche et réalisé par des personnes qui ne sont ni des salariés ni de véritables entrepreneurs.  On assiste ainsi, à un certain abêtissement qui rappelle par certains côtés  les pires formes d’asservissement du travail humain.  Ce « capitalisme de plateforme »  n’est autre qu’un  retour à un nomadisme de type nouveau. L’emploi salarié est remis en cause non pas pour le dépasser dans un sens progressiste, mais pour lui substituer  cette nouvelle forme d’exploitation basée sur la flexibilité et  la précarité.

Il ne faut pas se laisser piéger par la technique. Celle-ci  doit rester au service de l’homme et non l’inverse. Il faut absolument une riposte d’ensemble et un programme d’action centré sur la sauvegarde de la dignité et les valeurs humaines. Pour ce faire, il faut s’opposer au démantèlement du droit du travail et de la protection sociale. La compétitivité ne doit en aucune manière se faire au détriment de l’homme et de la négation de sa personnalité comme l’envisage une certaine conception de «doing business» qui ne tient nullement compte des variables sociales et de l’amélioration des conditions de vie des travailleurs. Il faut absolument réintroduire un minimum d’éthique dans l’économie.

C’est l’homme qui doit être  l’alpha et l’oméga de  l’acte productif. Outre la satisfaction de ses besoins,  un investissement dans le potentiel humain est nécessaire en rendant effectif le droit universel  à la formation tout au long de la vie afin de donner la possibilité aux hommes et aux femmes d’acquérir des compétences nouvelles, de les actualiser, de se perfectionner pour mieux maitriser les processus productifs et technologiques.

Du reste, la protection sociale doit être généralisée à toutes les personnes quel que soit leur statut socio-professionnel.  Aussi, Le travail ne doit pas se faire au détriment  de la vie, d’où la nécessité d’une maitrise du temps dans le sens d’un meilleur équilibre entre le travail et la vie personnelle pour combattre le stress  et la polyvalence.  Enfin, le dialogue social doit être promu à tous les niveaux et faire partie des politiques publiques.

En somme, si personne ne peut s’opposer à la technique, encore faut-il qu’elle soit au service de l’être humain et du travail décent. Le pire n’est pas encore sûr, mais c’est maintenant qu’ilfaut agir!

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