Sionisme, antisionisme et antisémitisme
Mokhtar Homman
Nous avons montré dans les articles précédents que le sionisme était le produit de l’antisémitisme occidental et de l’impérialisme britannique dont il porte les caractéristiques. Nous avons aussi montré que le sionisme a accentué ses crimes jusqu’au génocide en corrélation avec une accentuation du bellicisme occidental. Le reste du monde réagit.
La fin de la guerre froide avec la disparition de l’URSS avait laissé un monde unipolaire dominé par Les États-Unis qui ont usé et abusé de leur position dominante pour imposer leurs intérêts via la guerre, les sanctions, les coups d’État. Ce fut la mondialisation mais surtout la globalisation néolibérale. Mais le monde a réagi. Nous assistons depuis une dizaine d’années à un affrontement entre l’hégémonisme et le globalisme occidental d’un côté et le reste du monde appelé parfois le Sud global, et notamment les BRICS, de l’autre. Cet affrontement multiforme acquiert une agressivité exacerbée comme l’illustre ses volets militaires en Ukraine et en Palestine.
Nous n’allons pas procéder à une analyse sur le fondement économique, de classe, de l’hégémonisme et de l’impérialisme ni de ses adversaires de nos jours, mais à une analyse géopolitique. Pour faire une analyse économique, il suffit de relire quelques classiques du marxisme et de la littérature progressiste. L’impérialisme est bien le stade suprême du capitalisme et il se métamorphose en fonction de l’évolution du monde avec la même logique avec des moyens nouveaux.
L’hégémonisme occidental veut préserver sa domination du monde, condition de l’enrichissement de son oligarchie et du maintien du niveau de vie de leurs pays aux dépens de celui de tous les autres.
Cette agressivité accrue est la conséquence de l’évolution du poids des différends pays sur le plan économique. L’extraordinaire croissance de la Chine la situe désormais au même niveau que les États-Unis et elle va sans doute le dépasser largement au cours de la prochaine décennie. C’est une perspective intolérable pour l’impérialisme, d’où son recours à la menace de guerre contre la Chine.
L’alternative BRICS+
Face à cet hégémonisme on trouve une nouvelle structure, les BRICS, devenue BRICS+ en 2024 (1), de coopération économique et politique visant l’instauration d’un monde multipolaire basé sur le co-développement et la paix, dans le respect de la souveraineté des pays. Elle se caractérise par une logique anti-impérialisme occidental, l’égalité et le respect entre les pays, la coopération, la dé-dollarisation. Au Proche-Orient les BRICS+ se distinguent par le rétablissement de la coopération entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, que l’impérialisme et le sionisme voulaient entraîner à la guerre, grâce à la Chine, et les actions pour la réunification des factions palestiniennes grâce à la Chine et la Russie. Une politique radicalement opposée à celle de l’Occident.

Notons que la démarche politique et économique des BRICS+ de coopération équilibrée entre les États, sans ingérence dans la souveraineté des États, est la même que celle que le Maroc pratique, notamment en Afrique.
La montée en puissance des BRICS+, dont nous avons montré l’importance en termes de ressources énergétiques et en terres rares, constitue le « nouvel ennemi » de l’impérialisme occidental. Face à aux BRICS+ deux stratégies sont à l’œuvre à Washington et ses affidés à Bruxelles et les principales capitales européennes.
Le changement stratégique de l’orientation impérialiste
La première stratégie, avec le parti démocrate américain à sa tête, visait à affaiblir la Russie via la guerre d’Ukraine et les sanctions. Son échec est palpable : la guerre de l’Ukraine/OTAN est perdue et la Russie dictera les termes de la fin du conflit, la Russie s’est renforcée économiquement, l’alliance Russie-Chine est plus forte que jamais, les BRICS+ se développent, les pays européens sont en récession économique majeure pour longtemps.
Cela a amené l’impérialisme des États-Unis à changer de stratégie, d’où l’élection de Donald Trump appuyé par les plus grands oligarques du monde. La politique de Donald Trump a été marquée par l’abandon du projet Ukraine et la reprise du dialogue avec la Russie, par réalisme. Le but est cette fois de rompre l’alliance entre la Russie et la Chine pour isoler cette dernière. Pour cela il faut aussi que les équipes dirigeantes européennes soient renvoyées et remplacées par des dirigeants affins à Trump. D’où l’appui manifeste des dirigeants américains aux partis d’extrême droite européens.
On attribue à Donald Trump, sous le logo MAGA (« Make America Great Again »), de vouloir se concentrer sur les États-Unis, au détriment de tous les autres pays, y compris ses alliés européens. Sa volonté d’arrêter la guerre en Ukraine, ce qui est positif malgré ses motifs réels, traduit-elle une politique de paix globale ? Comme prévu son appui au sionisme, une constante tenue par le puissant lobby israélien, contredit cette « globalité ». Nous verrons si les États-Unis appuient finalement ou pas Netanyahou dans son objectif de nettoyage ethnique des territoires occupés et de guerre contre l’Iran.
Les dangereuses atteintes au droit international
Ne pouvant s’appuyer sur le droit international qu’il viole sans frein, l’Occident tente de remettre en cause le cadre juridique international adopté en 1945 et renforcé depuis. Ainsi les États-Unis ont ouvertement envahi l’Irak en 2003 en violant le droit international en prétendant la possession par le « dictateur fou » (2) Saddam Hussein d’armes de destruction massive, avec des « preuves » fabriquées et des mensonges éhontés pour tromper leurs opinions publiques, armes qui n’ont jamais été trouvées. Si l’Irak avait eu des armes de destruction massive, l’invasion n’aurait jamais eu lieu(3).
Dans ce contexte, le sionisme est le fer de lance de la destruction de l’ordre international de l’ONU, comme on y assiste depuis 1967 et surtout depuis 2023 de manière exacerbée. Non seulement Israël viole outrageusement la Charte de l’ONU et ses résolutions, se moque des résolutions de la Cour Internationale de Justice, mais il n’hésite pas à se montrer cyniquement grossier en déchirant à l’ONU cette Charte, en traitant l’ONU d’antisémite et en qualifiant le Secrétaire Général de l’ONU de persona non grata en Israël.

La stratégie est donc de vider l’ONU et de ses organisations de toute capacité à agir, via les vétos des États-Unis, afin de détruire tout cadre de résolution pacifique des conflits, de libérer la loi de la jungle, la loi du plus fort.
Nous assistons à l’usuel double standard des puissances occidentales. Il suffit de comparer leur traitement de la Russie en Ukraine et d’Israël en Palestine. Le mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale (CPI) contre Poutine, coupable d’avoir déporté quelques milliers d’enfants ukrainiens russophones loin des zones de conflit (et vivant comme des enfants russes avec visite des parents) a été chaudement applaudi en Occident. Le mandat d’arrêt de la CPI contre Netanyahou, coupable d’avoir organisé le massacre de dizaines de milliers de civils y compris d’enfants, coupable de génocide, ne sera pas respecté par les pays occidentaux et la CPI a même été menacée de sanctions par les États-Unis. Les athlètes israéliens, y compris des militaires ayant sévi à Gaza, ont participé aux Jeux Olympiques de Paris sous leur drapeau, chaleureusement accueillis par les autorités françaises, chose interdite aux athlètes russes, mêlant politique à l’Olympisme à convenance. Sur le plan des médias la chaîne israélienne I24 qui soutient et justifie ouvertement le génocide diffuse librement sur les bouquets numériques européens mais Russia Today est interdite.
Cette violence à l’égard du droit international nous fait poser la question suivante : allons-nous donc vers un monde où, comme le disait Blaise Pascal : « […] ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste » ?
Emmanuel Kant, un éminent philosophe européen, écrivait en 1795 les principes qu’il fallait adopter pour établir la paix perpétuelle avec une extraordinaire perspicacité (4) :
Aucun traité de paix ne doit valoir comme tel, si on l’a conclu en se réservant tacitement matière à guerre future.
Aucun État indépendant (petit ou grand, peu importe ici) ne saurait être acquis par un autre État, par héritage, échange, achat ou donation.
À terme, les armées permanentes doivent être abolies.
On ne doit point contracter de dettes publiques pour faire face aux querelles extérieures de l’État.
Aucun État ne doit s’ingérer de force dans la constitution et le gouvernement d’un autre État.
Aucun État en guerre avec un autre ne doit se permettre des hostilités des actes d’hostilité tels qu’ils rendraient impossible la confiance réciproque, une fois la paix rétablie : recrutements d’assassins ou d’empoisonneurs, violation de la capitulation, instigation à la trahison dans l’État avec lequel on est en guerre.
On ne peut qu’admirer la justesse de ces principes, et comment ils sont piétinés de nos jours.
Une situation lourde de dangers
L’ensemble du tableau montre une exacerbation des tensions, en raison de l’agressivité occidentale sur tous les fronts, agressivité accrue par la perception de la perte de force de son hégémonisme qu’il croyait perpétuel.
Or l’hégémonisme a montré ses faiblesses dans la crise financière de 2008/09 (les crises de cette magnitude sont le propre du capitalisme), lors du piteux retrait des États-Unis d’Afghanistan où leur armée, et quelques supplétifs occidentaux, venue chasser les talibans en 2001, leur a cédé le pouvoir vingt ans après, au prix d’immenses destructions et de centaines de milliers de victimes civiles, entre 200 000 et 400 000 directs et indirects (5). Impunément.

La guerre en Ukraine tourne au détriment de l’Occident, entrainant une récession économique qui emporte ses dirigeants les uns après les autres, malheureusement en faveur d’alternatives le plus souvent réactionnaires.
Ajoutons à cela des dirigeants occidentaux aussi irréalistes qu’arrogants (6), plus au service du néolibéralisme et des grandes multinationales (7) que de leurs peuples. Ils exultent, s’agitant comme des poules sans tête depuis la défection du support des États-Unis, d’une rhétorique guerrière contre la Russie alors que celle-ci dispose de missiles imparables capables d’anéantir l’Europe en moins d’une demi-heure (8), annonçant un réarmement fantasque en pleine décadence économique.
À contrario, le Sud global arrache de plus en plus d’autonomie par rapport à l’Occident. Le rejet à la domination occidentale est de plus en plus patent comme l’illustrent l’attractivité et la montée en puissance des BRICS+, l’évolution des votes à l’Assemblée Générale de l’ONU sur la Palestine et l’Ukraine, le départ massif des bases militaires françaises d’Afrique subsaharienne.
La situation présente des contradictions qui sont lourdes de menaces sur l’avenir. Le recours à la guerre ne s’est plus limité à des agressions des grandes puissances contre des pays et des peuples sous armés, mais contre une grande puissance nucléaire. La guerre d’Ukraine constitue un saut qualitatif dans la dimension de l’agressivité de l’impérialisme occidental, frôlant la 3ème guerre mondiale, peut-être nucléaire.
C’est dans ce contexte global que s’inscrit la lutte héroïque du peuple palestinien.
Mokhtar Homman, le 7 mars 2025
Demain : XXIII – L’héroïsme illimité du peuple palestinien
Notes
1.États membres de BRICS+ : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Iran, Émirats Arabes Unis, Égypte, Éthiopie, Indonésie. États partenaires : Biélorussie, Bolivie, Cuba, Kazakhstan, Malaisie, Thaïlande, Turquie, Ouganda et Ouzbékistan.
2.Le concept de « dictateur fou » est souvent utilisé en Occident contre ceux qui ne veulent pas se soumettre. C’est simpliste, cela prend l’opinion publique pour des moutons dociles incapables de réfléchir, facile à duper.
3.L’exemple de la Corée du Nord est édifiant. Ses dirigeants sont aussi traités de « dictateurs fous » par l’Occident, mais la Corée du Nord a la bombe atomique et n’a pas de pétrole. La Corée du Nord est « utile » pour faire peur au moindre test de missiles et justifier l’énorme base américaine « Humphreys », un mini Texas, en Corée du Sud (qui l’a payée à 90%). Bien entendu cette base sert les intérêts des États-Unis bien au-delà de la péninsule coréenne, en plus de la mise sous tutelle de la Corée du Sud. In Baptiste Galais-Marsac : La Corée du Sud sous l’éternelle tutelle militaire américaine », Le Vent Se Lève (LVSL), 10 septembre 2023.
4.Emmanuel Kant : Projet de paix perpétuelle, p. 9 à 13.
5.Source : https://en.wikipedia.org/wiki/Civilian_casualties_in_the_war_in_Afghanistan_(2001%E2%80%932021) » Civilian casualties in the war in Afghanistan (2001–2021) – Wikipedia.
6.Nombre d’entre eux sont issus du parrainage du Young Global Leaders du patron de Davos Klaus Schwab, tels Emmanuel Macron, Président français, Justin Trudeau, Premier Ministre canadien, Annalena Baerbock, Ministre des Affaires Étrangères allemande, parmi les politiciens les plus connus. Il est intéressant de consulter la liste actuelle des Young Global Leaders (source « https://fr.wikipedia.org/wiki/Young_Global_Leaders » Young Global Leaders — Wikipédia), certaines nominations ou élections passées et à venir seront moins surprenantes.
7.En Janvier 2023 à Davos, Larry Fink, le patron de la multinationale américaine BlackRock, la plus importante au monde en gestion d’actifs, déclare que le redressement de l’Ukraine après la guerre pourrait bien « envoyer un message au reste du monde sur la force du capitalisme », in Le Courrier International du 12 septembre 2024 (voir aussi Le Figaro du 19 Janvier 2023). BlackRock, actionnaire important de la plupart des sociétés du CAC40 et d’autres places financières, a signé fin 2022 un accord avec l’Ukraine pour conseiller la reconstruction de l’Ukraine via la privatisation et la déréglementation, un marché estimé à 750 milliards de US$. La destruction de l’Ukraine fait donc des heureux dans la logique décrite par Naomi Klein dans : La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre. De là à penser que certains poussent à la poursuite de la guerre en Ukraine.
8.Les missiles Orechnik de portée intermédiaire (5 000 kms), pouvant porter plusieurs têtes nucléaires, volant à la vitesse Mach 10 soit 13 500 km/h, sont impossibles à contrer. Son énergie cinétique, sans charge explosive, a réussi à détruire complètement un complexe industriel militaire ukrainien en novembre 2024.
Bibliographie
Kant, Emmanuel : Projet de paix perpétuelle. Éditions Mille et une nuits, Paris, 2001.
Klein, Naomi : La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre. Actes Sud, Paris, 2008.