Manipulation médiatique, fabrication de l’opinion
A la veille d’un été très politique – ce sera l’entrée dans la dernière ligne droite qui mène aux prochaines législatives- la mobilisation bat son plein au sein des appareils politiques. Sauf que, au-delà de l’aspect strictement électoraliste, l’enjeu est la consolidation de l’édifice démocratique.
Faut-il rappeler qu’une démocratie ne se réduit pas à un échéancier électoral ? Elle s’exprime aussi et notamment dans l’existence d’un espace public ; ce lieu symbolique de débats infinis où pourront être jugés collectivement les idées des individus, mais aussi la scène d’où pourra être jugé et contrôlé le comportement des différents acteurs. C’est le lieu où l’on attend un comportement démocratique des médias. Or les signaux qui sont émis ici et ailleurs démontrent que l ‘un des aspects de la crise de la démocratie moderne réside dans le dévoiement des médias. Tout support confondu. L’ampleur prise par la médiation avec les réseaux sociaux a fait illusion. On a même commencé à parler de la démocratie d’opinion comme une avancée tangible. Les réseaux sociaux dictent le comportement des acteurs et déterminent parfois leur devenir : le paraître l’emporte sur l’être.
Une nouvelle fois, l’espace public se trouve réduit à un dispositif scénique. Une élection se joue désormais à la gestion de sa présence sur la toile, à l’image renvoyée dans les médias. On ne peut pas dire que c’est de bon augure pour la démocratie au sens premier du mot : le gouvernement du peuple par le peuple. Désormais, les facteurs de médiation sont déterminants. Ils sont l’enjeu suprême et finissent par orienter le jeu politique lui-même : l’opinion publique n’est plus la résultante d’une confrontation d’idées et d’un échange, elle est une construction. «L’opinion publique est fabriquée» pour paraphraser le titre de l’ouvrage de Noam Chomsky. Son synopsis peut être rappelé à travers une série d’interrogations notamment celle-ci : qui désigne les ennemis d’un peuple et décide des guerres justes que celui-ci doit mener ? Comment l’imaginaire collectif distingue les bonnes victimes des mauvaises ? Quel rôle jouent les institutions, les lobbies, les multinationales et le fameux «quatrième pouvoir» dans la fabrication de l’opinion publique ?
Pour aborder ces différents aspects du fonctionnement d’une démocratie, le livre met en place une grille de lecture critique des événements. Celle-ci est portée par un concept central, celui du modèle de propagande : un cadre analytique capable d’expliquer le fonctionnement des grands médias américains à partir de leurs relations avec les principales structures institutionnelles qui les environnent. «Ce sont les mêmes sources de pouvoirs qui possèdent les médias et les financent par la publicité.
Elles définissent à notre avis, le plus gros des «nouvelles» – tout en jouant un rôle primordial dans l’élaboration de l’idéologie dominante et en fournissant à la fois les récriminations et les «experts» «politiquement corrects».
Le contrôle des «médias» par l’élite au pouvoir -et la marginalisation des dissidents qu’il entraîne- se fait si naturellement que des journalistes généralement intègres et pleins de bonne volonté en arrivent à se persuader qu’ils choisissent et interprètent les nouvelles objectivement, sur la base de leurs principes professionnels. Ils oublient l’omniprésence d’un paradigme qui dessine les voies d’accès par lesquelles la fortune et le pouvoir sont capables de filtrer les nouvelles publiables. Ces filtres qui ont plusieurs formes : 1) la taille, la richesse des propriétaires, la concentration et l’orientation des profits des firmes médiatiques dominantes; 2) la publicité comme source principale des revenus des grands médias; 3) l’état de dépendance des médias dont l’information provient du gouvernement, du business, et des «experts» financés et approuvés par ces deux sources principales ; 4) les «tirs de barrage» comme moyen de rétorsion pour discipliner les médias; 5) l’anticommunisme comme religion nationale et comme mécanisme de contrôle: tous ces éléments se renforcent mutuellement, le matériau brut des nouvelles doit traverser tous ces filtres pour ne laisser qu’un résidu bien propre et «bon à tirer». Cela n’est pas propre aux USA.
Certaines dérives qui ont marqué récemment notre paysage médiatique sont une illustration de ce schéma. Dans ce sens, la réussite du processus démocratique ne dépend pas seulement de la mise en place d’un dispositif institutionnel et d’un arsenal juridique ; il dépend aussi de la vigilance à l’égard de toutes les formes de manipulation «douce» ; celle qui est distillée par les médias qui avancent sous le masque de l’indépendance.
Mohammed Bakrim