Un acte chirurgical qui n’est pas anodin

Dans les années 50-60 et même 70, la grande majorité des accouchements se pratiquaient par voie basse, c’est à dire par voie naturelle. Le bébé était mis au monde par le biais des voies génitales maternelles. Presque tous ces accouchements avaient lieu à domicile grâce à l’assistance d’une accoucheuse traditionnelle. L’accouchement par voie basse se déroule en trois moments clefs : la dilatation du col, la mise au monde et la délivrance. Pour un premier enfant, ce travail  peut durer parfois plus de 10 heures, de longues heures pendant lesquelles la femme souffre, avec des risques pour elle et son fœtus, surtout quand l’accouchement se déroule en dehors d’une structure sanitaire spécialisée. Ce temps est révolu, de nos jours. De plus en plus de femmes préfèrent accoucher grâce à la césarienne qui peut être réalisée en urgence ou de manière programmée. Le point avec le docteur Touria Skally, spécialiste en gynécologie – obstétrique.

La césarienne est une intervention chirurgicale qui permet l’accouchement par incision de l’abdomen et de l’utérus.

C’est une intervention très courante, relativement aisée pour les praticiens expérimentés, grâce aux progrès que réalise la médecine dans le domaine chirurgical et d’anesthésie. La césarienne est de plus en plus sûre, mais il n’en demeure pas moins vrai, que ce n’est pas un acte chirurgical anodin.

Cette intervention est réalisée lorsque les conditions chez la mère ou/et chez l’enfant ne sont pas favorables à un accouchement par les voies naturelles.

La naissance par césarienne présente dans certains cas des avantages pour la mère et le bébé, et peut même leur sauver la vie. Dans d’autres circonstances, les avantages d’une césarienne pour la mère et le bébé sont moindres ou remis en question. De plus, une césarienne comporte des risques comme toutes interventions chirurgicales. La décision de pratiquer une césarienne devrait donc tenir compte des bénéfices et des risques liés à cette intervention.

Qu’en est –il au Maroc ?

Pour répondre de manière objective et cohérente à cette question, il suffit de se rendre au niveau de la première clinique spécialisée en gynécologie – obstétrique pour se faire une idée. Depuis plus de 10 ans, nous relevons en connaissance de cause, que le recours aux césariennes au Maroc est un phénomène dont la courbe est exponentielle. Chaque année qui passe, le taux de césariennes enregistre une augmentation.

La tendance à la hausse de cette pratique concerne particulièrement le secteur privé où existent des cliniques haut de gamme et ou préfèrent accoucher les femmes qui ont des moyens financiers, celles qui ont une couverture médicale de type AMO ou une assurance maladie.

Le taux de césariennes est ahurissant. Il peut dépasser les 60 % au niveau de certaines cliniques passées maitres dans l’art de mettre au monde des bébés par voie haute (Césarienne). Pour schématiser nos propos, nous nous sommes référés à une étude que la Caisse Nationale ses Œuvres de Prévoyance Sociales (CNOPS) avait effectuée durant la période 2007-2011.

Cette étude, bien que relativement ancienne, a le mérite de nous éclairer sur le sujet de la pratique des accouchements par césarienne.

En consultant les chiffres, il nous est apparu clairement que durant cette période, le taux de césariennes est passé de 36% (8.476 actes) à 50% (12.691) du nombre total des accouchements effectués. Par contre, en ce qui concerne les accouchements par voie basse, c’est à dire par la voie naturelle, ceux – ci ont régressé, passant de 64% (15.400 actes) à 50% (12.944 actes). Ces chiffres sont à revoir à la hausse, du fait du nombre de personnes qui bénéficient de l’AMO, du nombre sans cesse croissant de cliniques spécialisées, équipées, du nombre croissant de femmes qui travaillent. Au niveau des structures hospitalières publiques, le taux de césariennes est variable. Il se situe entre 13% à 18% au niveau des maternités des hôpitaux provinciaux et préfectoraux, mais ce taux peut même atteindre 20 % et plus dans une maternité spécialisée pourvue de réanimation maternelle et néonatale.

Des coûts qu’il faut connaitre

La décision de pratiquer ou non une césarienne est du seul ressort du praticien.

Césarienne d’urgence ou programmée, il n’en demeure pas moins vrai que celle – ci a un coût. Il y a certes la tarification nationale de référence évaluée à près de 8.000 DH, mais ce prix ne correspond pas aux frais qui sont engagés par la clinique, dans lesquels il s’agit d’ inclure la chambre, le bloc opératoire, les médicaments, l’ acte d’anesthésie, la réanimation, la prise en charge du nouveau né, le pédiatre, le séjour, les soins, l’hôtellerie…….

Tout cela est vrai, mais il est tout aussi vrai que ce qui plaide en faveur de la césarienne n’est autre que ce qu’elle peut rapporter, c’est une réalité qui ne peut souffrir d’aucun équivoque.
Quand une femme choisit d’accoucher dans une clinique privée, au moment de joie, de béatitude, de bonheur que procure la naissance sans douleur d’un bébé, le couple doit aussi savoir qu’au final, il y a une facture à payer et que celle-ci risque d’être salée. On doit débourser rubis sur ongle entre 15 .000 DH à 20.000 DH et même plus selon les cliniques.

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Entretien avec le docteur Touria Skally, gynécologue

La plupart des césariennes sont «programmées»

Pour les besoins de notre sujet relatif aux accouchements par césarienne, Al Bayane est allé à la rencontre du docteur Touria Skally, spécialiste en gynécologie – obstétrique, qui exerce dans le secteur libéral.

Touria Skammy400Al Bayane : Qu’est ce que la césarienne ?

Docteur Touria Skally : La césarienne consiste à faire naitre un enfant par voie chirurgicale, en incisant l’abdomen puis l’utérus, lorsque l’accouchement par les voies naturelles « par voie basse » n’est pas possible ou dangereux.

Ainsi, la césarienne est parfois appelée « accouchement par voie haute ». Elle existe depuis plusieurs siècles, mais bien sûr les progrès de la médecine, de la chirurgie et de l’anesthésie en ont fait une intervention fiable qui permet de prévenir de nombreuses complications du nouveau né, et/ou de la maman.

Cette pratique est-elle courante ?

Dans ses débuts, la césarienne était réservée à des situations d’urgence, alors que l’accouchement était déjà en cours, et qu’un problème survenait, blocage de la descente de l’enfant dans la filière pelvienne, hémorragie etc.

De nos jours, les césariennes en cours de travail ne représentent plus qu’un tiers des césariennes, c’est-à-dire quand l’accouchement par voie basse était prévu en principe, mais une anomalie est survenue.

La plupart des césariennes sont « programmées », c’est lorsque les patientes sont bien suivies et que la voie haute est jugée préférable par le médecin, pour une raison qui concerne l’enfant ou la mère.

Comment expliquer que la césarienne est plus courante dans le privé que dans le secteur public ?

Effectivement, partout dans le monde le taux de césariennes est différent selon qu’il s’agisse du secteur privé ou du secteur public. Les raisons sont multiples, contrairement à l’idée reçue, ce n’est pas juste une « facilité » pour le gynécologue ou des considérations financières ! Le métier du gynécologue est délicat et il porte la double responsabilité de la santé de la mère et de l’enfant à naître.

Les patientes suivies correctement ont accès à des diagnostics précis qui permettent d’évaluer les risques de la voie basse par rapport à la voie haute, et cela avant le début des signes d’accouchement : échographies, scannopelvimétrie, bilans biologiques à la recherche de diabète, d’anomalie rénale etc.

Les régions sous médicalisées, n’ayant pas un accès facile aux blocs opératoires auront tendance à favoriser la voie basse, en prenant parfois des risques importants.

Dans les pays occidentaux, et de plus en plus chez nous aussi, le risque de plainte (médicolégal) est plus important si un accident survient lors d’un accouchement, alors qu’une césarienne aurait peut-être été salutaire. On reprochera davantage cela, que l’inverse, surtout si l’enfant subit des préjudices neurologiques irréversibles après un accouchement « forcé » par voie basse, avec par exemple utilisation de forceps…ou encore lorsqu’une rupture utérine au cours de l’accouchement fauche la vie de la mère.

Quelles sont les indications de la césarienne ?

Pratiquée dans des conditions précises et en fonction d’indications médicales bien définies, la procédure permet de sauver de très nombreuses vies ou d’éviter des séquelles graves pour la mère ou l’enfant.

Les indications classiques sont : lorsque le bébé se présente dans une mauvaise position (transverse, en siège), lorsque le placenta est « prævia » c’est-à-dire que l’hémorragie provoquée par des contractions lors de l’accouchement serait mortelle, lorsque le bébé est trop gros ou que le bassin de la femme est trop étroit, lorsque le bébé présente une « souffrance » au moment des contractions ou encore dans certaines situations de pathologie maternelle telles que l’hypertension artérielle, le diabète, lorsque la patiente a déjà subi une ou deux césariennes.

Parfois, alors que l’accouchement par les voies naturelles était prévu, il y a absence d’ouverture du col de l’utérus, etc. En fait chaque accouchement, chaque patiente, est un cas unique et on ne peut qu’évaluer une probabilité pour elle d’accoucher par les voies naturelles ou non.

Existe t –il des risques ?  Si oui lesquels ?

Comme pour tout acte chirurgical ou médical,  le risque zéro n’existe pas !

Le risque anesthésique a quasiment disparu, depuis que l’anesthésie générale n’est plus la règle. C’est une anesthésie de la moitié inférieure du corps qui est pratiquée : la rachianesthésie.

Les complications liées à la césarienne sont possibles : hémorragie per opératoire, douleurs qui disparaissent en général complètement en quelques jours ou semaines, infection de la cicatrice, troubles de la circulation sanguine de type phlébite, mais la prévention médicamenteuse est actuellement la règle.

Combien de temps prend un accouchement par césarienne ?

En règle générale, une césarienne dure environ quarante cinq minutes à une heure. Mais parfois le temps est plus long, pour libérer des adhérences ou faire cesser une hémorragie par exemple. La césarienne reste un moment délicat pour l’opérateur, beaucoup plus que l’accouchement par voie basse quand tout se passe bien !

Quelle est la situation de cette pratique au Maroc ?

Au Maroc, la situation est très inégale : des régions entières ont un très faible taux de césariennes (moins de 8%), par manque de ressources humaines et d’infra structures. Il y a en fait un déficit en césariennes, qui accompagne un taux élevé de mortalité maternelle et périnatale. Dans les grandes villes, le taux de césariennes est nettement plus élevé. Les chiffres ne sont pas disponibles, mais la conséquence est que la mortalité périnatale et maternelle y est moins élevée. L’OMS recommande un taux avoisinant les 15%.

En France ce taux est de 20 à 25%, et ailleurs dans le monde parfois jusqu’à 45% (Chine), ou 32%(USA). Par contre dans des pays développés à niveau de surveillance médicale très élevé, le taux de césarienne reste assez bas, comme en Suède, avec d’excellents résultats.

Ouardirhi Abdelaziz

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