Disparition de Jean-Louis Cohen
Mohamed Nait Youssef
«J’aime partager mes connaissances et je ne les garde pas pour moi, pour mes livres. Je suis curieux des autres.», Jean-Louis Cohen.
Le monde de l’architecture s’est réveillé, lundi 7 août, sur la triste nouvelle de la disparition de Jean-Louis Cohen, une icône et figure emblématique du patrimoine architectural moderne. L’information est tombée comme un couperet ; le géant de l’architecture moderne a rendu l’âme dans sa demeure, en Ardèche. Il avait 74 ans. Il est inutile de le présenter en deux mots. Historien de l’architecture, critique, professeur, ancien militant à l’UNEF et au PCF, cet architecte singulier aux multiples facettes et talents a transmis les belles lettres de noblesse d’un métier, mais aussi d’un art universel.
Un départ prématuré, une perte immense…
Son départ définitif a, incontestablement, laissé un grand vide. La preuve : les témoignages émouvants de ses collègues, ses amis, ses anciens élèves, mais aussi ceux qui l’ont connu affirmant l’immense perte d’une sommité irremplaçable et inclassable. Depuis lundi dernier, des paroles solennelles ont créé un émoi sur la toile. «Jean Louis Cohen, historien de l’architecture est décédé aujourd’hui. Nous lui devons tant pour la diffusion de la culture architecturale et de la recherche notamment, mais aussi tout ce qu’il faisait depuis de nombreuses années autour de la sauvegarde du patrimoine moderne du 20ème siècle. Un grand homme de combat et d’engagement.», c’est avec ces mots que Christine Leconte, présidente du Conseil national de l’Ordre des architectes, a annoncé le décès du père de l’architecture moderne.
Une bibliothèque vivante…
Une bibliothèque vivante. L’architecture moderne était son champ de prédilection. Jean-Louis Cohen ayant ouvert les yeux le 20 juillet 1949 à Paris ; a laissé dernière lui une œuvre monumentale et des projets portant sa marque et sa signature. Il a également marqué des générations d’architectes un peu partout dans le monde. «C’est avec une immense tristesse que nous avons appris le décès de Jean-Louis Cohen. Historien extraordinaire, intellectuel singulièrement doué, critique et bâtisseur d’institutions, il était en mesure de comprendre avec sagacité et compassion une multitude de cultures et de situations. Jean-Louis était curieux, engagé, politique, drôle, humble et généreux de son expertise. Plus impressionnant encore, il arrivait à faire une foule de choses simultanément sans jamais avoir l’air occupé»,peut-on lire dans un communiqué du Centre Canadien d’Architecture (CCA).
L’architecte aux semelles de vent…
Connu pour ses nombreux voyages fructueux, Jean-Louis Cohen a fait le tour du monde en marquant son empreinte d’architecte et de créateur. Jean-Louis Cohen a sillonné les quatre coins du globe : Europe, Russie, États-Unis, Casablanca pour chapeauter de grands projets. Grâce à ses compétences en la matière, il fut membre des conseils scientifiques de l’académie des arts de Berlin, du MoMa de New York, du Centre canadien d’architecture de Montréal. Grand spécialiste de Le Corbusier et créateur de la Cité de l’architecture et du patrimoine, il a occupé plusieurs postes de responsabilité tels que l’organisation du volet architecture de la grande exposition Paris-Moscou au Centre Pompidou (1979), la chaire de recherche à l’École d’architecture Paris-Villemin (1983-1996) ou encore la direction de Musée des monuments français et celle de l’Institut français d’architecture. Il était également professeur à l’Institute of Fine Arts de New York University et professeur invité au Collège de France sur la chaire internationale «Architecture et forme urbaine», depuis 2014.
Une passion nommée Casablanca…
La relation de Jean-Louis Cohen et Monique Eleb, psychologue, sociologue, spécialiste de l’architecture domestique et des modes de vie et originaire de la métropole, a donné naissance à l’une des références incontournables sur la ville de Casablanca : «Casablanca. Mythes et figures d’une aventure urbaine» (1998), un magnifique ouvrage de 480 pages a été réédité en 2019 aux éditions Hazan.
Rachid Andaloussi :
« Jean-Louis Cohen a su faire parler la ville de Casablanca »
Rachid Andaloussi, l’une des figures majeures de l’architecture au Maroc, et Jean-Louis Cohen étaient des amis de longue date. Ils partageaient non seulement la même passion, mais ils étaient des militants de la première heure pour la défense du patrimoine. «C’est une amitié qui remonte à 1994 lorsqu’ il faisait une recherche sur le patrimoine architectural du 20ème siècle à Casablanca. C’est-à-dire, le legs des français au niveau architectural de Casablanca, et qui révélait des choses importantes au niveau de la ville.», a affirmé Rachid Andaloussi dans une déclaration à Al Bayane. À l’époque, la Casablancaise Monique Eleb, qui est une célèbre sociologue, faisait la rencontre de Jean Louis Cohen dans une chaire à l’université. Les deux ont été désignés par le Centre national français de la recherche scientifique (CNRS) pour réaliser ce travail de recherche sur la ville blanche, et c’est là où ils ont découvert l’une des réalisations du grand architecte Rachid Andaloussi avant de le contacter par la suite. C’est ainsi qu’est née une longue amitié qui a commencé depuis. «J’ai assisté il y a trois mois aux funérailles de Monique Eleb pour prononcer un mot. Jean-Louis Cohen nous a surpris par son départ inattendu. Il était un grand défenseur du patrimoine moderne et universel. Il était vraiment un ami, un complice intellectuel et un soutien aussi », a-t-il confié.
Il a su inciter Casablanca à dévoiler ses bijoux et ses beautés…
Selon Rachid Andaloussi, Jean-Louis Cohen est un homme d’une intelligence exceptionnelle, d’une mémoire iconique impressionnante. «C’était une personne très proche. Je l’ai vu la dernière fois à Paris il y a deux mois et demi, on a beaucoup parlé. Ce fut une rencontre magnifique. C’est un homme d’une grande générosité intellectuelle qui a participé à l’encouragement de la création de Casamémoire en 1995.», a-t-il révélé. Et d’ajouter : « Il est vrai que Casamémoire lui doit beaucoup parce que c’était une prise de conscience de la valeur du patrimoine architectural et des bijoux architecturaux de Casablanca. Il nous a encouragés à travailler et à sauvegarder pour pouvoir faire de cet héritage un produit rentable.»
Par ailleurs, le patrimoine mondial du 20ème siècle de la ville doit beaucoup, dit-il, à cet homme parce qu’il n’est pas occupé seulement de l’architecture art déco, comme on dit souvent, mais il a révélé tous les mouvements qui sont passés par Casablanca : de l’art nouveau, de l’art déco, du post-modernisme, du dadaïsme, du Bauhaus, de l’impressionnisme, de l’expressionisme…
D’après lui toujours, Jean-Louis Cohen a su faire parler la ville de Casablanca, et a su l’inciter à dévoiler ses bijoux et ses beautés. «Il a laissé derrière lui une œuvre extraordinaire. Il a été commissaire de plusieurs expositions notamment celle qui a été présentée à Paris puis à la villa des arts à Casablanca où il avait exposé des livres, des maquettes, des images, des photos, des moments de la ville de Casablanca dans une exposition magnifique.», a-t-il fait savoir.
Un ouvrage majeur qui a donné un éclat à Casablanca
Pour Rachid Andaloussi, «Casablanca: mythes et figures d’une aventure urbaine» est une référence incontournable pour les étudiants, les architectes et les amoureux de la ville blanche. «Je n’oublierai pas surtout de parler du livre «Casablanca: mythes et figures d’une aventure urbaine» qui est devenu aujourd’hui une référence pour les étudiants et pour ceux qui veulent en savoir plus sur la ville. Ce livre a donné un éclat à Casablanca qui est un vrai musée à ciel ouvert par rapport à ses architectures aussi bien diverses que singulières.», a-t-il témoigné.