«Une institution dotée d’un mode de gestion des plus modernes»

Noureddine Belghazy, chercheur universitaire au sein du laboratoire «Religion et Politique» à la faculté des Lettres et des sciences humaines ben M’Sik, nous explique dans cet entretien les enjeux actuels de l’institution de la zaouïa. Contrairement à certaines idées reçues selon lesquelles le comportement des individus et leurs croyances s’expliquent par des facteurs irrationnels, notre chercheur considère que les croyances des individus sont fondées sur des motivations qu’on peut les qualifier de rationnelles.

Al Bayane : Comment expliquez-vous l’attrait que connait de nos jours, l’organisation de la zaouïa, en l’occurrence boutchichiya?

Noureddine Belghazy : Sans nul doute, l’attractivité ou plutôt le rayonnement dont jouit la zaouïa, en l’occurrence boutchichiya et ce, non seulement à l’échelle nationale mais aussi mondiale est dû à plusieurs facteurs. Il n’en demeure pas moins, si on se permet de paraphraser Alain Tourraine, qu’on vit aujourd’hui une crise de modernité par excellence. Ainsi, l’institution de la zaouïa, contrairement à d’autres institutions sociales offre à ses adeptes ou ses disciples dénommés «Foukaras» une satisfaction spirituelle voire un apaisement moral. En plus, selon certaines enquêtes sociologiques, le sentiment de «frustration relative» enregistré à l’égard de certaines institutions sociales telles que la famille, le syndicat, l’association etc…, a fait de la confrérie un espace de prédilection pour les individus en quête d’un sentiment de sécurité. Il faut dire que contrairement à certaines idées reçues, l’adhésion des individus à la zaouïa est évidemment basée sur des raisons bien fondées et des motivations qu’on peut qualifier de rationnelles.

S’agit-t-il donc d’une quête purement individuelle ?

Loin s’en faut ! Le rôle de la zaouïa consiste à offrir à l’individu un certain équilibre que ce soit au niveau individuel ou collectif. On est donc dans une vision wébérienne dans le sens que l’enjeu majeur pour la confrérie est celui de garantir à l’individu son intégration sociale. Bref, il s’agit d’un vecteur de valeurs morales et éthiques. En termes plus clairs, elle remplit une fonction intégrative pur jus.

Comment s’établit alors cette intégration ?

La zaouïa, outre la dimension éducative, permet à tous ses adeptes, sans exception, de contribuer à sa gestion. D’ailleurs, ce sont les disciples qui contribuent à son financement. A cela s’ajoute également la répartition des tâches entre ses membres (Alkhedma). Chacun est chargé d’une activité, en fonction de ses capacités (travaux de ménage, cuisine…). C’est une condition sine qua non pour qu’un disciple puisse exprimer son appartenance à la confrérie. Je dois également mettre l’accent sur le fait que la confrérie rivalise aujourd’hui avec plusieurs institutions sociales en organisant des actions de proximité à caractère purement social : colonies de vacances, caravanes médicales, opérations de don de sang… Grosso modo, il s’agit d’une institution bien structurée dotée d’un mode de gestion conforme aux standards les plus modernes.

Quelles sont les catégories sociales qui fréquentent la confrérie ?

Il faut dire que la confrérie a connu une grande évolution et ce, en fonction des grands changements qu’a connus la société marocaine. Les écrits de l’anthropologue américain, Dale Eickelman, qui a travaillé sur la confrérie Cherkaouia, sont obsolètes et n’ont plus de place hormis leurs apports historiques. Ce dernier a taxé les mourides de la zaouïa Cherkaouia de personnes naïves, simples et lambda, qui appartiennent au plus bas de l’échelle de la société, alors que ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’approche sociologique qui explique le comportement des individus et leurs croyances par des facteurs irrationnels a déjà trouvé ses limites. Au contraire, les disciples puisent leurs comportements dans une sorte de rationalité axiologique. Qui plus est, tout chercheur ne peut se passer du fait que la confrérie dispose d’une capacité mobilisatrice inouïe et réussit à intégrer toutes les couches sociales au sein du même espace : (mécanicien, instituteur, médecin, avocat, magistrat, professeurs universitaires…). Cela débouche sur un concept cher chez Max Weber, celui de la «communauté effective» où les adhérents partagent les mêmes idées, le même rituel dans une ambiance de solidarité et où tous les membres sont égaux.

Comment se tissent les liens entre la confrérie et ses adeptes ?

Il faut dire d’abord que ce qui caractérise le modèle de la zaouïa boutchichiya, c’est qu’il demeure un modèle ouvert qui n’impose pas un style vestimentaire ou un modèle unique de pratique religieuse. Il faut aussi souligner que même les rites de passage ne sont pas aussi rigides comme on le croyait et sont nullement compliqués. Il suffit que l’individu procède à l’acte de salutation par la main du responsable de la confrérie appelé Moquadem qui jouit de l’approbation (Al Idhne) du Cheikh au niveau local pour que cet individu puisse intégrer la communauté. En plus, le protocole du baisemain est un acte mutuel qui reflète le principe d’égalité entre les adhérents.

Le Cheikh de la Zaouïa a-t-il un rôle précis à remplir ?

Le Cheikh est considéré comme l’éclaireur de la voie de son disciple qui est doté de la Baraka (Sirr). Selon la littérature de la confrérie, la relation entre le maitre et le disciple est une relation de respect et d’amour en Dieu. Elle est aussi fondée sur le   statut de vénération (Manzilat Attaadhime). Reste à savoir que le disciple qui compte renforcer son appartenance avec la confrérie et aussi se ressourcer, doit rendre visite au Cheikh au moins une fois par mois, outre la fête de la commémoration de la naissance du prophète et le jour de la nuit sacrée. Cette visite rituelle, appelée « Ziara », a un sens hautement symbolique et justifie l’engagement des individus à l’égard de l’institution de la zaouïa et son maître.

Khalid Darfaf

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