Le tissu de nos singularités, aux éditions HEM, Sous la direction de Fadma Ait Mou
Par Abdelmajid Baroudi
Le texte : Mots communs sur le virtuel(1) que Fadma Ait Mous a publié dans le tissu de nos singularités(2) est l’un des écrits qui m’ont intéressé pour plusieurs raisons. Cet écrit pointe du doigt la problématique du lien social que représente la notion de discorde.
Du coup, à mon avis, on ne peut parler de lien social sans évoquer la discorde car cette dernière nous renvoie au vécu, au concret qui ne traduit pas ce vivre ensemble auquel nous aspirons. Toutefois, la notion du vivre ensemble pour un lien social n’est perçue que comme idéal que la réalité de par ses changements et ses contradictions empêche de se concrétiser. Oui nous vivons ensemble, mais pas vraiment dans une cohérence qui laisse entendre que ce lien est un fait, une concrétisation de concepts dont la tonalité appelle la concordance, tels Humanité, Égalité, Amitié, Fraternité…. Si non, pourquoi constatons-nous ? La deuxième raison, c’est que ce texte interpelle nos rapports à ces nouvelles technologies d’information et communication, en l’occurrence les réseaux sociaux.
Les mots communs que Fadma Ait Mous analyse dans son texte, nous sont transférés à partir de représentations de certains usagers de cet outil qui n’est autre que le net et leurs rapports aux réseaux sociaux. Force est de constater que le lexique de ces internautes dont l’origine est convertie en dialecte Marocain est une forme d’expression de la discorde de ce lien social en quête d’harmonie par la connexion. La déconnexion est une forme de déception due au manque de mise œuvre de concepts visant la cohérence du vivre ensemble, laquelle déconnexion essaye de retrouver via internet ce que le lien social lui a fait perdre. Le récit de Fatimzahra que Fadma Ait Mous a rapporté, illustre cette ambivalence de la déconnexion ou la discorde dans la connexion.
Les propos de cette jeune fille montrent que cette connexion via internet ne peut pas délimiter le champ qui sépare le vrai du faux dans la mesure où cet outil n’arrive pas à combler cette discorde tant que l’illusion l’emporte sur le dire vrai. Et pourtant, le souci d’esquiver cette discorde, en allant chercher dans d’autres horizons quitte à transgresser l’uniformité normative qu’exige la société, alimente l’espoir d’une jeunesse désorientée. La génération de Hamid n’allait pas seulement au cybercafé pour télécharger des vidéos. C’était une génération, victime d’une déconnexion engendrée par un désespoir à l’endroit d’une politique qui ne fait que creuser davantage cette discorde. Il a fallu donc sans le vouloir que cette génération, internet, si j’ose dire, invente son langage pour attribuer à ce désespoir des mots compatibles avec cette déconnexion dont elle n’est pas responsable.
La seule issue pour cette génération, c’est d’aller voir ailleurs et s’ouvrir sur d’autres horizons que facilite cet outil .Deux mots traduisent cette frustration à l’égard d’une société où l’égalité des chances n’est pas à l’ordre du jour des responsables politiques. (Lahrigue), et (sauver). (Lahrigue) (Hrague) qui veut dire brûler, n’as pas la même connotation que : brûler quelque chose. (Lahrigue) signifie chez cette génération victime de dysfonctionnement des institutions locales, quitter son pays et aller voir ailleurs, en Europe ou en Amérique.
(Lahrigue), c’est fuir une société où les opportunités ne sont plus à la portée d’une jeunesse en quête d’un avenir, quitte à laisser sa vie. Bref, (Lahrigue), c’est penser une meilleur vie en étant disposé à mourir, dans le but de sauver sa vie. Et sauver qui veut dire mettre quelqu’un hors du danger se rapproche de la signification que cette génération voulait mettre dans ce verbe. (Sauva) en dialecte Marocain veut dire qu’il a réussi à s’échapper de la discorde qu’imposait sa société à cause de l’injustice sociale et que désormais, son destin est lié à une nouvelle vie qui pourrait remédier à l’anomalie de sa situation antérieure. Quitter ce pays et aller tenter sa chance en terre « de saints » comme la nomme cette génération d’internet ou ces cybers jeunes. Il faut donc se connecter pour (sauver) car c’est le seul moyen pour changer de cap, quitte à sacrifier le sentiment de la nostalgie. Après tout, c’est l’avenir qui compte.
Fadma Ait Mous nous introduit dans ce monde virtuel, métaphorique que les mots communs lui assignent, en lui attribuant une sociabilité sans chair. Il s’agit là d’une absence d’inter corporéité puisqu’il est question d’une présence qui appelle une absence. Dans ce monde virtuel, l’accueil se fait sans toucher et l’accès ou l’entrée n’est pas sentie comme une succession de langage qui doit s’affirmer par des actes. L’hospitalité dans ce monde qui favorise l’émotion se fait dans la désinstallation car il n’y a pas d’ouverture immédiate du corps au corps d’autrui. Il n’y a pas d’installation inter corporelle entre les personnes qui résident dans ses réseaux sociaux sans lien social.
Seul le mur exprime ces rites d’hospitalité caractérisée par l’errance. Ecrire sur le mur est une métaphore qui exprime l’interdit dans la vie réelle. Sur les murs réels on écrit : Ici, c’est interdit d’uriner. Sur ces murs, on exprime ce qui est interdit de dire. En revanche, toutes les projections, mesurées ou incontrôlées, sont possibles sur le mur virtuel puisque l’absence l’emporte sur la présence du face à face .D’autant plus que le fait de supprimer facilite la désinstallation de la corporéité.