XIX – Le sionisme héritier de l’impérialisme

Sionisme, antisionisme et antisémitisme

Mokhtar Homman

Nous avons présenté dans l’article précédent les facteurs économiques qui déterminent l’action de l’impérialisme, l’énergie et depuis peu les terres rares. Israël est l’importante composante militaire du contrôle des ressources d’hydrocarbures dans la région. En tant qu’agent régional, Israël va inscrire son action de manière affine aux méthodes et actions de l’impérialisme et du colonialisme occidental, dont nous présentons dans cet article une synthèse historique.

Une tradition impérialiste et colonialiste multiséculaire

Les pratiques actuelles de l’impérialisme occidental ont une grande profondeur historique. La conquête des terres, l’exploitation des ressources, la domination économique, l’inféodation, voire l’extermination, des peuples autochtones ont trouvé divers fondements narratifs depuis plusieurs siècle pour justifier la colonisation économique.

Au cours des XVe-XVIIIe siècles l’Espagne, le Portugal, la France, l’Angleterre, les Pays-Bas se sont lancés dans la conquête du monde au nom de la Chrétienté, considérée seule religion véritable. On pourrait remonter cette entreprise aux Croisades du XIe au XIIIe siècle. Croisades qui visaient le contrôle de la route des épices provenant de l’Asie et passant par la zone du Proche-Orient, zone sous souveraineté musulmane. De cette époque et pour cette raison date l’islamophobie et le racisme anti arabe en Europe.

Avec la révolution industrielle, les avancées scientifiques, les Lumières au cours des XIXe et 1ère moitié XXe siècles ce fut au nom de la « civilisation » européenne, considérée supérieure. C’était la « mission civilisatrice » qui justifiait toutes les guerres et occupations coloniales, notamment en Afrique. Le sionisme est né dans cette période au sein de cette idéologie “civilisatrice”.

Gaza 2024 : la « mission civilisatrice » du sionisme (source : Grassroots Law Project).

Pendant la 2ème moitié du XXe et au cours du XXIe siècle, l’étendard change et ce sera au nom de la démocratie et des droits de l’homme, de type occidental, que les pays occidentaux chercheront à imposer leur domination néocoloniale dans le monde, notamment contre les pays refusant de se soumettre à cette domination.

Les « bonnes raisons » changent, l’objectif colonial, néocolonial de nos jours, demeure. « Il faut que tout change pour que rien ne change » disait Tancrède dans le magnifique film de Luchino Visconti Le Guépard (1).

Josep Borrell, ex-Haut Représentant de la politique étrangère de l’UE, déclara le 13 Octobre 2022 devant les futurs diplomates de l’UE du Collège de l’Europe à Bruges : « L’Europe est un jardin. Nous avons construit un jardin qui réunit liberté politique, prospérité économique et cohésion sociale. Mais le reste du monde n’est pas du tout un jardin. Le reste du monde, ou la majeure partie du reste du monde, c’est la jungle » ; et de conclure : « votre devoir ne sera pas de prendre soin du jardin lui-même mais de la jungle à l’extérieur » (2). Hormis l’auto satisfecit, peut-on être plus clair sur le retour de la « mission civilisatrice » de l’Occident, au parfum si colonial vintage XIXe siècle ?

L’Impérialisme au XXIe siècle

Depuis la disparition de l’URSS, l’impérialisme, principalement celui des États-Unis, a pu développer sa logique de domination à travers les guerres, les coups d’État, les « révolutions de couleur », les démembrements d’États, les sanctions arbitraires, les violations du droit international, l’accaparement des richesses des peuples, la manipulation financière via le FMI et la BM. En ne comptant que les évènements après la chute de l’URSS, nous pouvons dresser la liste non exhaustive suivante (3) :

Les guerres d’agression directes : Panama (1990), Irak en 1991 (4) et 2003, Afghanistan de 2001 à 2021, Libye en 2011, Liban en 2006 et 2024, Palestine/Gaza en 2008/09, 2012, 2014, 2023/…

Les guerres civiles et démembrements provoqués d’États : Yougoslavie (1999), Soudan (2005), Syrie (2011, opération Sycomore), Somalie (1993), Yémen (bombardements des États-Unis).

La guerre d’Ukraine, pays sous tutelle occidentale depuis le coup d’État de 2014, saignée jusqu’au dernier Ukrainien, comme moyen d’affaiblissement et de morcellement de la Russie en cinq États en vue de l’accaparement de ses richesses agricoles, minières et d’hydrocarbures et le contrôle de l’Arctique (5). L’étude de la RAND Corporation (6) publiée en 2019 décrit les actions que doivent mener les États-Unis pour affaiblir et démanteler la Russie, y compris en provoquant la guerre en Ukraine (7) ainsi que le soutien aux jihadistes en Syrie (8), sans oublier faire entraver (« hinder ») les gazoducs Russie-Europe (9), ce qui a été fait pour Nord Stream I et II.

Les menaces contre la souveraineté de la Chine à Taïwan, malgré la reconnaissance officielle d’une seule Chine, via le soutien aux séparatistes et la transformation de Taïwan en base militaire potentielle contre la Chine.

Les Coups d’État et « révolutions de couleur » en infiltrant et dévoyant les mécontentements populaires : réussis – Géorgie (2003), Ukraine (2004 et 2014), Syrie (2011/24) – et tentés – Serbie (2000), Arménie (2003), Azerbaïdjan (2005), Kirghizistan (2000/10), Biélorussie (2006, 2020), Iran (2009), Géorgie (2024). Les organisations du Gouvernement américain USAID (10) et National Endowment for Democracy (11), entre autres, finançaient les ONG locales, toujours dans le cadre des recommandations de la RAND Corporation (12).

Les sanctions économiques arbitraires et illégales : actuellement une centaine de pays, ou des entités de ces pays, subissent des sanctions économiques ou commerciales des États-Unis ou des pays occidentaux. Cuba, accusée de « terrorisme » sans preuves par les États-Unis, est l’exemple même de sanctions et d’un blocus arbitraires depuis plus de 60 ans pour son choix libre d’une orientation économique socialiste. Même certains pays européens sont sous le coup de sanctions et de menaces de sanctions par les États-Unis ! (13).

Nous avons présenté une synthèse des actions les plus violentes de l’impérialisme au XXIe siècle. Mais son action couvre d’autres domaines, comme l’utilisation de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International pour imposer ses intérêts dans le cadre d’une libéralisation accrue des politiques économiques. C’est ainsi que la dette extérieure des pays du Sud s’accroît sous la manipulation des taux de change, des taux d’intérêt – plus le pays est pauvre ou endetté plus les taux d’intérêt sont élevés (14) – et des conditions politiques et commerciales imposées par le « men in black » du FMI et de la BM. Il y a aussi le contrôle des grands médias, les intrusions culturelles (Hollywood), etc…

Avec la chute de l’URSS, les États-Unis se sont retrouvés dans un monde qu’ils dominaient sans partage, un monde unipolaire. Ils en ont fait une politique d’agressivité sans bornes, imposant leur politique par la force, hors du droit international. C’est sans limites morales que le sionisme agit.

Le « nouvel » impérialisme des États-Unis

Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche est marqué par un nombre considérable de décisions dont on peut interroger la viabilité à terme. S’agit-il de l’abandon des politiques agressives de l’administration Biden en Ukraine et en Palestine ? En tout cas elles marquent toutes un changement radical par rapport à la politique de l’administration précédente. Mais nous allons voir que l’impérialisme demeure. Parmi les plus importantes, nous allons considérer trois volets.

D’abord une constante avec changement de méthode : le soutien au sionisme. Trump a imposé un cessez-le-feu à Netanyahou à Gaza mais pour proposer le nettoyage ethnique de Gaza par l’expulsion des Palestiniens au lieu d’un génocide, ce que Netanyahou applaudit. Trump adopte donc une politique sioniste violant outrageusement le droit international.

Deuxième fait majeur, la perspective de paix en Ukraine. C’est certes une donnée positive. Mais là il s’agit juste d’une prise en compte de la réalité. Biden et ses marionnettes européennes répétaient à l’envi que la Russie perdait, qu’elle sombrait dans la ruine économique, finançant et armant l’Ukraine dont les soldats mouraient par dizaines de milliers par mois sous le feu d’une armée russe nettement supérieure. Ainsi Trump a radicalement réorienté la politique américaine vis-à-vis de l’Ukraine. Mais il n’est pas exclu qu’un évènement dramatique, organisé par les va-t-en-guerre occidentaux, dont on accusera la Russie, ne vienne dérailler le cours vers la paix en Ukraine aux conditions de la Russie.

L’administration Trump a simplement constaté que Russie avait gagné cette guerre. Or Trump vise la Chine comme menace principale à l’hégémonisme américain. Il s’agit donc d’une réorientation de l’impérialisme en espérant rompre le rapprochement Russie-Chine, rapprochement que Biden a renforcé. On peut douter sérieusement que la Russie cède à l’appât américain. L’expérience du mandat précédent de Trump, où des accords nucléaires stratégiques ont été unilatéralement abandonnés par les États-Unis pour menacer la Russie (voir article suivant), pousse à la méfiance face à l’Occident.

Le caractère néo-impérialiste se manifeste enfin aussi par l’objectif déclaré de s’accaparer du canal de Panama, du Canada et du Groenland au mépris des pays alliés et du droit international. Le tout pour contrôler l’Arctique que le réchauffement climatique va ouvrir à la navigation, le commerce avec la Chine et la saisie des gisements de terres rares (Groenland, Ukraine) essentielles aux nouvelles technologies et dont la Chine est le principal producteur mondial.

Actuellement, la principale route maritime entre l’Asie et l’Europe relie les grands ports chinois à Rotterdam via le détroit de Malacca et le canal de Suez. Une nouvelle route à travers l’Arctique pourrait donc permettre d’ouvrir un itinéraire alternatif et de gagner du temps pour le transport de marchandises (15).

C’est donc un changement dans la continuité de la politique hégémonique traditionnelle des États-Unis. Il y a certes un changement entre la politique sous Biden, que d’aucuns qualifient comme étant celle du Deep State américain sous influence sioniste (et que suivent les dirigeants européens à son service), et sous Trump, sauf sur la Palestine. Mais rien n’interdit de penser que ce Deep State ne parviendra pas à obliger Trump à changer de cap, comme ce fut le cas au cours de son premier mandat, ou à imposer leur candidat lors des élections présidentielles suivantes.

Le style brutal de l’impérialisme américain est apparent quelle que soit l’administration américaine, une brutalité que le sionisme pousse à son paroxysme sous l’aile protectrice américaine. Dans le prochain article nous allons détailler la nature belliciste de l’impérialisme.

Mokhtar Homman, le 28 février 2025

Prochain chapitre : XX – Le bellicisme occidental

Notes

1.Adaptation cinématographique du seul roman, posthume, de Giuseppe Tomasi di Lampedusa : Le Guépard. La traduction française exacte de cette phrase dans le roman est : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout ». La version du film de cette phrase est devenue une phrase culte, qui sied si bien à notre époque.

2.European Diplomatic Academy: “Opening remarks by High Representative Josep Borrell at the inauguration of the pilot programme” | EEAS Website (europa.eu).

3.Pour une revue complète de l’interventionnisme américain de 1945 à 2001, William Blum : L’État voyou.

4.L’invasion illégale du Koweït par Saddam Hussein fait suite à des manœuvres et provocations pilotées par les États-Unis après la fin de la guerre entre l’Irak et l’Iran. Ainsi le revirement des pays du Golfe sur le financement de la guerre entre l’Irak et l’Iran, le pompage koweïtien du pétrole dans le no man’s land entre l’Irak et le Koweït, laissaient l’Irak exsangue. Ajoutons l’apparente neutralité des États-Unis faces aux menaces d’invasion du Koweït en Juillet 1990. Huit mois avant cette invasion par l’Irak, l’armée américaine avait testé contre le Panama ses nouvelles armes destinées à la guerre contre l’Irak, dont les missiles de croisière. Une sorte de répétition générale dirigée par le même général, le général Schwarzkopf, qui dirigea les opérations en Irak. Par la suite les États-Unis ont bloqué toute possibilité de négociations sur le différend entre l’Irak et les pays du Golfe afin d’assurer la guerre.

5.Donald Trump annonce vouloir, en plus de posséder le canal de Panama, acheter le Groenland, de gré ou de force, et faire du Canada le 51ème État des États-Unis pour contrôler la navigation par le pôle nord face à la Russie. Le contrôle de l’Arctique est un enjeu stratégique dans le cadre du réchauffement climatique et de la disparition progressive de la calotte glaciaire. Le Danemark, le plus proche allié des États-Unis et meilleur relais de la CIA dans l’Union Européenne, est servi.

6.La RAND Corporation est un puissant think tank américain très influent à Washington. L’étude en référence, datée de 2019, répond à la demande du gouvernement américain sur la stratégie à suivre et les moyens à mettre en œuvre pour affaiblir, soumettre et dépecer la Russie en cinq pays faibles afin de mettre la main sur ses immenses ressources naturelles, en hydrocarbures, en métaux rares et en uranium. La provocation d’une guerre en Ukraine est le premier axe stratégique. La RAND Corporation fondée en 1946 par l’US Air Force et la firme aéronautique Douglas Aircraft, est devenue le plus grand think tank au monde. « Militaires, universitaires, industriels de l’armement y travaillent main dans la main pour produire des rapports qui sont lus avec grande attention à Washington », In Stephen Boucher & Martine Royo : Les think tanks. Cerveaux de la guerre des idées, p. 71.

7.RAND Corporation: Extending Russia, p. 96.

8.RAND Corporation: Extending Russia, p. 103.

9.RAND Corporation: Extending Russia, p. 59.

10.L’USAID vient d’être fermée par l’administration Trump. Ceci a permis de révéler comment l’USAID finançait les médias, dont de nombreux et prestigieux médias occidentaux, et des ONG à travers le monde pour favoriser des campagnes politiques contre les régimes qui déplaisaient à Washington.

11.Victoria Nuland, la sous-secrétaire d’État des États-Unis qui avait organisé le coup d’État en Ukraine en février 2014, a rejoint en septembre 2024 le comité de direction du National Endowment for Democracy.

12.RAND Corporation: Extending Russia, p. 109 (Biélorussie), p. 115 (Caucase), p. 121 (Asie Centrale), p. 130 (Moldavie).

13.Les États-Unis pratiquent l’extraterritorialité de leur justice, ce qui est contraire aux normes internationales, en cas d’usage illégal du dollar selon leurs lois. Ainsi la BNP Paribas, sous la menace, a plaidé coupable et payé en 2014 une amende de 9 milliards d’US$ pour avoir permis des transactions en dollars avec le Soudan, Cuba et l’Iran, enfreignant une loi américaine de 1977. « Ces actions représentent une série de manquements à la loi américaine. »selon le Ministre de la Justice américain (Le Monde du 30 Juin 2014). Un vrai abus de juridiction et un vrai pillage.

14.La crise du « corralito » en Argentine au début du XXIe siècle s’explique par le fait que le pays n’était plus en mesure de rembourser ses crédits. En effet les emprunts successifs avaient atteint un taux de 20%, dont 16% en termes de « risque ». L’Argentine empruntait en capital pour payer le service de la dette contractée. Une spirale infernale. Ces règles de taux de crédit reviennent à permettre aux pays riches d’emprunter à bas taux des capitaux fournis par le service de la dette des pays pauvres ou très endettés.

15.Tristan Gaudiaut : « La route de la soie polaire », Statista, 23 juin 2023.

Bibliographie

Blum, William : L’État voyou. Éditions Parangon, Paris, 2002.

Boucher, Stephen & Royo, Martine : Les think tanks. Cerveaux de la guerre des idées. Éditions Le félin, Paris, 2012.

RAND Corporation : Extending Russia. Competing from advantageous ground. Santa Monica, Californie, 2019.

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