Dans le quotidien des «migrants clandestins» de l’archipel des Comores

Trois questions à Rabiaa Marhouch, auteure du roman « Le Cœur du volcan »

Propos recueillis par Karim Naji – MAP

Mme Rabiaa Marhouch, auteure du roman « Le Cœur du volcan », décortique dans cet ouvrage, publié en 2021, la situation des « migrants clandestins » de l’archipel des Comores, et explique dans un entretien à la MAP comment est venue l’idée d’écrire une histoire sur cette région du monde, combien éloignée du Maroc.

Comment est venue l’idée d’écrire un roman « Le Cœur du volcan », sur l’archipel des Comores ?

Écrire sur l’archipel des Comores s’est imposé après un séjour de deux ans à Mayotte, où j’étais enseignante. Cette île m’a bouleversée par sa beauté, mais surtout par l’impressionnante communauté de ceux qu’on appelle les « migrants clandestins » (venus notamment des Comores) et qui vivent dans des conditions inhumaines, dans des bidonvilles, des habitations de fortune en tôle où s’entassent des familles entières. Et on est bien dans un département français, mais dont on parle rarement en France, car la misère et « l’aide au développement », dans l’esprit de beaucoup de Français, sont le lot des seuls pays africains !  J’ai été dévastée par la tristesse et la colère en voyant des enfants, pas plus âgés que ma fille de 4 ans, qui mangeaient dans les poubelles et dormaient dans les mangroves. J’étais aussi sidérée par les récits que j’entendais sur les traversées périlleuses de l’océan Indien par des Comoriens qui tentent de gagner les rivages mahorais.  L’océan est décrit comme un cimetière où périssent des femmes, des enfants et des hommes qui bravent les tempêtes et la police maritime mahoraise, en espérant parcourir les 70 km qui séparent Anjouan, l’île comorienne, de Mayotte, devenue département français en 2011.  De ma terrasse de Koungou, au nord de Mamoudzou, je pouvais voir la petite plage où parfois des kwassa-kwassa (des embarcations de fortune) déposaient au petit matin des dizaines de personnes, venues des Comores.  Souvent, dans la presse locale, on relayait comme un fait divers la découverte de corps sur les plages paradisiaques de Mayotte. Et l’événement le plus douloureux fut un éboulement de terrain, survenu juste derrière notre appartement, entouré de bangas (habitations provisoires). Une famille entière (une mère et ses cinq enfants avaient été engloutis dans la boue et les amas de tôles).  Dans mon roman, j’évoque cet événement comme l’épicentre de la souffrance de mon héroïne, Wilaya Mobali. J’ai imaginé que ce personnage était la sœur de la mère de famille emportée dans cette tragédie.

Y a-t-il un quelconque rapport entre l’histoire de ce roman et le Maroc ?

Il n’y a pas de rapport direct entre cette histoire et le Maroc, si ce n’est que l’auteure du roman est marocaine et que l’archipel des Comores appartient à notre continent, l’Afrique.
L’archipel des Comores est certes éloigné de l’Afrique du Nord, mais il appartient historiquement au continent africain et cela ne doit pas être oublié.
C’est un hommage que je lui rends. C’est aussi un cri, à la Munch, que je pousse dans ce texte pour attirer l’attention sur les souffrances de cette partie de l’humanité.  Mon parcours m’a conduite vers cette terre et l’écriture était le seul moyen pour moi d’exprimer les bouleversements provoqués par cette découverte à laquelle on ne s’attend pas dans un département français !

Ce livre fait partie de la collection « Sembura » consacrée à la littérature d’Afrique, qui vient d’être lancée à l’Académie du Royaume du Maroc. Comment qualifiez-vous la coopération littéraire intercontinentale ?

Mon roman, « Le Cœur du volcan », n’est pas publié dans la collection « Sembura » que je dirige, au sein de la maison d’édition La Croisée des chemins. C’est un texte que j’avais soumis à l’éditeur bien avant notre collaboration autour de « Sembura ». Il a été lu et validé par le comité de lecture de la maison d’édition et n’est pas publié dans ma collection, mais il est soutenu par l’Académie du Royaume et j’en suis honorée.
Pour ce qui est de la collection « Sembura », elle met en effet en avant la coopération intercontinentale. J’ai été contactée par Maja Schaub, coordonnatrice de « Sembura, ferment littéraire », une plateforme financée par la fondation zurichoise Corymbo et qui mène, depuis 2010, des actions culturelles dans les Grands Lacs africains pour instaurer le dialogue et consolider la paix dans cette région meurtrie par les guerres et le génocide des Tutsis en 1994 au Rwanda. La fondation souhaitait donner un nouvel élan à cette plateforme, grâce à un projet éditorial à construire à partir du Maroc.  J’ai proposé la création d’une collection au sein d’une maison d’édition marocaine pour accueillir les productions littéraires des GL, les faire bénéficier d’une édition professionnelle et donner de la visibilité aux auteurs de cette région. La collaboration s’est ensuite construite en accord avec Abdelkader Retnani, fondateur et directeur de La Croisée des chemins, qui a accepté cette ambitieuse coopération d’un nouveau type. Nos premières productions ont mobilisé les écrivains et universitaires des Grands Lacs africains et le savoir-faire éditorial marocain, dans un esprit de mobilisation des imaginaires au service d’une excellence intra-africaine.  D’autres intellectuels, écrivains et acteurs culturels du continent ont collaboré à la première œuvre collective, publiée dans la collection, pour sortir des égos et des entreprises solitaires et créer une nouvelle plateforme culturelle panafricaine. C’est à partir de celle-ci que s’est fabriqué l’ouvrage intitulé « Qu’est-ce que l’Afrique »?, inspiré par l’écrivain et universitaire Eugène Ebodé avec lequel j’ai eu le bonheur de codiriger cet excellent outil de réappropriation de ce que nous sommes et de ce que nous entendons dire au monde.  Ce livre a bénéficié de la bienveillance et de l’immense culture du Secrétaire perpétuel de l’ARM, le professeur Abdeljalil Lahjomri, qui nous a fait l’honneur de le préfacer et de soutenir cette ambition éditoriale panafricaine. En nous accueillant au sein de la prestigieuse institution marocaine qu’est l’Académie du Royaume dans un format solennel, il a fait du lancement de la première livraison de la collection Sembura un acte puissant et dont l’écho médiatique est en effet retentissant. Il le sera davantage quand les lecteurs se saisiront de ce qui est contenu dans les ouvrages publiés.

Enfin, la collection est aujourd’hui ouverte à tout le continent et elle se conçoit comme un lieu fédérateur et ambitieux où va fermenter (« Sembura » signifie « ferment » en kinyarwanda) et s’épanouir la créativité littéraire du continent pour le plus grand bonheur du public africain.  Il est temps de briser les barrières de la méconnaissance qui nous séparent de nos voisins du continent afin de rassembler tous les enfants de ce continent autour de la culture.  Nous y contribuerons grâce aux livres, mais aussi à partir de moments de convivialité culturelle et de fraternité panafricaine, comme celui organisé à l’Académie du Royaume du Maroc, le 17 novembre 2021. L’Afrique a des cartes fantastiques, notamment culturelles. Il s’agit de les utiliser sans orgueil superflu, mais avec la conscience de nos atouts et l’exposition sereine de notre puissance collective.

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