Gestion du flux migratoire
Par Bouchra Azour (MAP)
La veille de Noël, la vice-présidente américaine Kamala Harris a reçu un cadeau particulier du gouverneur du Texas: deux bus transportant des immigrés illégaux se sont arrêtés devant son domicile à Washington, DC. Des femmes, des hommes et des enfants sont descendus des deux véhicules dans l’obscurité totale. Cela semble normal à première vue, mais quelques petits détails indiquent qu’il y a quelque chose qui cloche. Leurs vêtements sont trop légers pour cette période de l’année, où un temps froid glacial prévaut dans la capitale fédérale.
Les passagers n’étaient donc pas préparés à ce qu’ils allaient affronter, y compris la météo. Les bus n’étaient pas les premiers du genre à arriver chargés de migrants clandestins. Des dizaines de bus arrivent, depuis des mois, à New York et Washington, et dans de nombreux États dirigés par des démocrates, dans un défi lancé par les gouverneurs républicains aux politiques pro-immigration du président Biden. La réponse politique ne s’est pas fait attendre puisque le président américain Joe Biden a annoncé, deux semaines plus tard, qu’il va se rendre à la frontière sud du pays, pour examiner de près la situation. El Paso, au Texas, à la frontière avec le Mexique, sera la destination de Biden, ce dimanche, pour discuter de la manière de gérer les flux record d’immigrants et de demandeurs d’asile.
L’extension de cette frontière sur trois mille kilomètres rend la tâche ardue, alors que la Maison Blanche peine à élaborer une stratégie à long terme pour gérer les flux record d’immigrés. « Je me rendrai moi-même à la frontière ce dimanche à El Paso pour évaluer les opérations de contrôle des frontières, rencontrer les responsables locaux et les dirigeants communautaires et les gens à la frontière (…) et essayer de convaincre mes collègues républicains qu’ils devraient faire quelque chose”, a souligné Biden.
La nouvelle politique migratoire promise par le président américain offre un accès légal aux États-Unis pour raison humanitaire à quelque 30.000 migrants et demandeurs d’asile par mois en provenance du Nicaragua, d’Haïti et de Cuba – en plus du Venezuela. Cette mesure s’appuie sur le « Title 42 », une mesure qui permet d’expulser les migrants à la frontière mise en place par l’ancien président américain, Donald Trump pendant la pandémie de Covid-19.
L’administration américaine, dont la gestion du dossier migratoire est régie par le Title 42, tente, à travers cette nouvelle stratégie, à se débarrasser de l’héritage de l’administration républicaine précédente, qui imposait de sévères restrictions à l’accès au sol américain, citant des craintes sanitaires pendant la pandémie. Dans un nouveau coup porté à la politique d’immigration de Biden, la Cour suprême des Etats-Unis a prolongé la mise en œuvre du Title 42, suite à un recours d’urgence formulé par un groupe de procureurs généraux républicains de 19 États cherchant à étendre ces restrictions imposées aux migrants.
La décision constitue une victoire pour les procureurs généraux républicains qui ont fait valoir que la levée des restrictions entraînerait probablement une augmentation de l’immigration illégale à la frontière sud du pays.
Avant les élections de mi-mandat, la scène politique américaine était au rendez-vous avec une bataille menée par les dirigeants républicains contre l’administration démocrate de Biden, cherchant à assurer la continuité du resserrement de la politique migratoire. Ils ont ainsi décidé d’expulser les immigrés vers les États gouvernés par les démocrates, puisque, selon leurs dires, ce sont les démocrates qui soutiennent l’afflux d’immigrés.
La stratégie a été adoptée par trois gouverneurs républicains: Ron DeSantis de la Floride qui aspire à la présidence de la Maison Blanche en 2024 et plus grand rival de Donald Trump dans le camp républicain, ainsi Greg Abbott du Texas, et Doug Ducey, gouverneur de l’Arizona. La manœuvre est simple: ceux qui ont quitté leurs pays attirés par le rêve américain sont amenés hors des centres de migrants, où de fausses promesses leur sont faites, selon lesquelles des emplois et des avantages financiers les attendaient dans d’autres Etats. Ron DeSantis avait envoyé, au cours de l’année écoulée, deux avions chargés de migrants vers Martha’s Vineyard, dans l’État du Massachusetts.
L’incident a poussé des organisations de défenses des migrants de la Floride à intenter une action en justice contre DeSantis et le secrétaire aux Transports de l’Etat, Jared Perdue, accusé d’avoir « enfreint les lois d’immigration du gouvernement fédéral en créant un système d’immigration parallèle et séparé ». Les groupes de défense des droits des immigrés ont demandé au tribunal d’annuler la section de la loi sur les crédits de Floride de 2022 qui consacrait 12 millions de dollars au transport des « étrangers non autorisés » hors de l’État.
Ils ont également accusé DeSantis d’avoir violé le 14e amendement en « ciblant les personnes de couleur nées principalement dans les pays d’Amérique latine et des Caraïbes pour déterminer leur statut d’immigration ».
Un grand nombre de migrants venus du Venezuela, d’Haïti, de Cuba, du Guatemala, du Honduras et du Salvador sont entrés au Mexique ces dernières années pour tenter d’entrer illégalement aux Etats-Unis. Près de 2,4 millions de migrants ont été interceptés après être entrés aux États-Unis au cours de l’exercice 2022.
Ces chiffres croissants posent des défis logistiques, politiques et humanitaires au président Biden. En plus de l’afflux traditionnel du Guatemala, du Honduras, d’El Salvador et du Mexique, les États-Unis ont vu un nombre croissant d’immigrants en provenance de pays plus éloignés, dont Cuba, la Colombie, Haïti et le Pérou. La question de l’immigration a toujours été un point de discorde entre les républicains qui prônent des politiques plus strictes, de peur d’inonder le pays d’un grand nombre d’immigrés, et les démocrates qui soutiennent la libre circulation des individus.
Les républicains et les démocrates divergent sur les priorités les plus urgentes du système d’immigration du pays. Les républicains accordent une importance particulière à la sécurité des frontières et aux expulsions d’immigrants qui se trouvent illégalement dans le pays, tandis que les démocrates accordent une plus grande importance aux voies d’accès au statut légal pour ceux qui sont entrés illégalement dans le pays – en particulier ceux qui sont entrés en tant qu’enfants, selon un sondage du centre de recherche Pew. Alors que le nombre de personnes appréhendées pour avoir franchi illégalement la frontière sud a atteint des niveaux annuels records, environ les trois quarts des Américains (73 %) affirment que le renforcement de la sécurité le long de la frontière américano-mexicaine doit être un objectif important dans la politique d’immigration des États-Unis. Presque tous les républicains (91%) affirment que la sécurité aux frontières devrait être un objectif important, tandis qu’une petite majorité de démocrates (59%) partagent la même position, selon l’enquête menée en août dernier auprès de 7.647 adultes américains.
A la veille de son départ pour El Paso, le président Biden a adressé un message clair à ses rivaux républicains: « Ils peuvent continuer à exploiter la question de l’immigration pour tenter de marquer des points politiques, ou ils peuvent aider à résoudre le problème. » Cependant, à la lumière des divergences politiques profondes qui divisent l’opinion publique américaine et l’élite politique, le rêve d’une vie meilleure des immigrés s’effondre rapidement sur le rocher d’une polarisation politique aiguë aux États-Unis, malgré l’accent mis par l’administration américaine sur la nécessité pour le Congrès d’approuver une réforme globale de l’immigration.
La situation actuelle laisse présager un tableau encore plus sombre, avec les républicains et les démocrates se partageant le pouvoir au Congrès, une Chambre des représentants, dominée par les républicains, et un Sénat qui a conservé sa majorité démocrate, il sera difficile de trancher sur cette question.
Le rêve américain des migrants devrait encore attendre un peu pour se réaliser…ou pas.