Rachid Fettah
ⵜⵉⵣⵉ ⵏ ⵜⵖⴰⵡⵙⵉⵡⵉⵏ, Tizi n Tghawsiwin, le Temps des choses, en français, est le titre du deuxième roman écrit en amazigh par Mohamed Nedali. L’écrivain vient d’annoncer cette nouvelle publication sur sa page Facebook en ces termes : « Chers amis je vous annonce la publication, incessamment sous peu, de mon deuxième roman en amazigh, ma langue maternelle, intitulé Tizi n Tghawsiwin, il sera disponible au stand Tirra, l’Alliance des Ecrivains Amazighs, au prochain salon du livre et de l’édition, qui aura lieu à Rabat ». Ainsi annoncée, cette nouvelle ne va certainement pas passer inaperçue.
Il faut dire que Mohamed Nedali est un auteur qui jouit d’une grande notoriété, car il fait partie des rares romanciers dont les écrits ne cessent de toucher un public de lecteurs de plus en plus large. Nedali est en effet l’auteur d’une dizaine de livres publiés en France et coédités au Maroc. A son actif, une œuvre romanesque abondante, riche en sujets et qui se distingue par une écriture narrative originale.
Depuis son premier texte Morceaux de choix (Editions Le Fennec 2003) jusqu’à son dernier le Poète de Safi ( Editions de L’Aube, France, 2021 et La Croisée des Chemins, Casablanca, 2022), un constat demeure : son écriture se distingue par un haut degré de maturité et ses textes se particularisent par leur originalité, aussi bien au niveau de la forme qu’au niveau du fond.
Outre ce constat, au fil des écrits, cet écrivain, au talent rare, a fini par forger sa propre expression littéraire. Dans ses romans, au-delà de la langue d’écriture, les récits donnent à voir une peinture précise de la réalité sociale, décrite telle qu’elle est. Cette capacité de sonder, par le biais des mots, l’âme des êtres et des choses, fait de lui l’auteur marocain dont les écrits s’adressent marocains, de préférence. Et donc, sans la moindre réserve, l’écrivain le plus lu dans son pays. De texte en texte, par la pointe de sa plume, il ne cesse de disséquer le corps social pour révéler au grand jour ses maux avec, en plus, l’art et la manière.
Mais laissons l’écrivain francisant des Morceaux de choix pour revenir au romancier amazigh, auteur de Tizi n Tghawsiwin. Entre le premier et le second, le lecteur se trouve devant le même créateur, quoiqu’avec deux langues radicalement différentes : le français d’un coté et l’amazigh de l’autre. Face à ce dilemme, beaucoup d’esprits curieux vont certainement poser cette question : Pourquoi ce revirement subit dans le parcours de ce grand auteur ? En d’autres termes, pourquoi cette décision d’écrire en amazigh ?
Dans son annonce, comme s’attendant à une telle question, le romancier a fait cette déclaration : « J’ai écrit une dizaine de livres, en langue française, édités en France et coédités au Maroc, mais l’émotion que j’ai éprouvé en écrivant ces deux textes dans ma langue maternelle est unique, particulière. J’ai le curieux sentiment que ce ne sont pas des livres, mais des enfants, deux bébés nés de ma chair et de mon sang ». Fin de la déclaration de l’auteur où tout est dit. Le lecteur est appelé à faire la distinction entre ce que ces deux langues représentent pour l’auteur, d’un coté le français et de l’autre l’amazigh.
Dans l’imaginaire de l’écrivain, où cohabitent ces deux langues, le français, à force d’être une langue apprise, en dépit de sa grande capacité expressive, constitue pour le locuteur non natif, un outil incapable de transmettre fidèlement certains affects. Son usage implique plus l’intellect que le ressenti, alors que l’amazigh, lui, représente un canal capable d’exprimer avec précision certains de ces sentiments. Son usage est à même de véhiculer fidèlement les les émotions du locuteur natif dans ce qu’elles ont de plus subtile. C’est la particularité de la langue maternelle.
A ce propos, ceux qui ont eu l’occasion de connaître Mohamed Nedali, l’homme et l’écrivain, auraient sûrement évité de se poser la question de sa décision d’écrire en amazigh, puisqu’ils doivent savoir que son écriture dans la langue de Molière puise régulièrement sa sève et sa force dans sa culture d’origine. Cette culture que la langue maternelle, à savoir l’amazigh, traduit à merveille, laquelle reste, aux yeux de l’auteur : « l’une des plus belles langues du monde : expressive, riche, harmonieuse, claire, imagée, fine, poétique, aisée à apprendre. Elle porte, en outre, dans ses gènes, un vent de liberté, d’amour et de paix ». Ces caractéristiques, ainsi soulignées par l’auteur, sont amplement suffisantes pour constituer les ingrédients nécessaires qui garantissent l’expression littéraire d’une langue. Ces qualités font aussi d’elle un instrument puissant et efficace pour pouvoir codifier toutes les formes du savoir.
A travers cet attachement particulier, que l’auteur réserve à sa langue maternelle, beaucoup vont reconnaitre l’écrivain. Celui qui, un jour, lors de son passage à l’émission Mais encore sur 2M, a tenu de clore son entretien télévisé par la lecture d’un long poème écrit justement en amazigh. De ce fait, il est à souligner que l’acte d’écrire, dans la langue maternelle de Nedali, ne date pas d’hier. C’est, chez lui, une pratique qui remonte à loin, sans doute à sa prime enfance. Aussi tient-il, à la fin de chaque rencontre littéraire, à déclamer devant un public médusé, un ou deux de ces poèmes en amazigh.
Ainsi, passer du français à l’amazigh est tout ce qu’il y’a d’aisé et tout à fait naturel pour ce natif de Tahennaoute (petite ville située au pied du Haut-Atlas), où il a pris tout son temps pour pouvoir maitriser, grâce à Jean de la Fontaine, la langue française. Tahennaoute, sa terre natale, qui lui a inculqué la langue et la culture amazighes. Elle est sa muse, la source de son inspiration, la seule et unique, puisqu’il avoue ne pas pouvoir écrire ailleurs. C’est pourquoi, l’impact de l’héritage culturel amazigh, toujours vivant dans sa ville natale, marque profondément son œuvre littéraire.
L’annonce de la publication prochaine de son roman en amazigh rappelle, belle et bien, un mémorable incident qui remonte à la fin de la décennie 1980, à la faculté des lettres de l’université Ibn Tofail, lors d’une rencontre littéraire autour du roman de Mohammed Berrada écrit en arabe, intitulé « lou3bat Annisyane », le jeu de l’oubli, en français. Les participants se composaient majoritairement d’étudiants arabisants et de quelques universitaires, dont Abdelhak Serhane, lui même écrivain francophone. Le débat s’était bien déroulé, jusqu’aux dernières minutes, quand un étudiant prit la parole et formula cette question : « Comment peut-on expliquer que la majorité des écrivains maghrébins d’expression française sont d’origine amazighe ? » Une fois cette interrogation lâchée, un silence de tombe inonda la salle où se trouvait ce beau monde, amoureux des belles lettres. La question de l’étudiant avait l’effet d’un pavé lancé dans la mare.
Aujourd’hui, n’entend-on pas les échos de ce souvenir dans l’annonce de Nedali ? La publication de son roman en amazigh ne fait-elle pas penser à l’interrogation de l’étudiant évoqué, ci-haut ? Ne va-t-on pas la considérer comme une hérésie dans les milieux intellectuels et littéraires ? Ces questions trouvent sans doute leurs réponses dans certaines réactions suite à l’annonce, puisque beaucoup de lecteurs de l’écrivain demandent d’ores et déjà la traduction du roman amazigh. Car, chose étrange, on considère, inconsciemment sans doute, la langue amazighe comme une langue étrangère. Mais, pourquoi ces lecteurs ne font-ils pas un effort pour lire Mohamed Nedali en amazighe comme ils le lisent en français ?
Pour davantage de précisions sur la question, l’auteur de Tizi n Tghawsiwin donne rendez-vous aux lecteurs au prochain salon du livre et de l’édition, à Rabat, plus précisément au stand de Tirra, l’Alliance des Ecrivains Amazighs. Pour ceux qui l’ignorent, le mot Tirra signifie écriture en langue amazighe.