Point de vue
Par Jamal Eddine Naji
Le 8 juin 1972, l’armée sud-vietnamienne (soutenue par l’armée américaine) déversa un déluge de bombes incendiaires et de napalm sur la petite localité de Trang Bang (moins de 400 km2 au sud-ouest du pays). La petite Kim Phuc de 9 ans fût brûlée à plus de 65% par le napalm qui peut atteindre les 1200 degrés… « Oh, Maman, c’est trop chaud, trop chaud ! » , cria-t-elle, poussée par l’extrême effroi et l’effroyable douleur à fuir, nue, ses vêtements ayant fondu par les flammes que nul humain n’a connu à cet âge, et son petit corps sur le point de laisser choir derrière elle des lambeaux de sa chair… Son prénom, « Phuc » signifie « bonheur » !
Une image prise par son compatriote photographe, Nick Ut (de l’agence AP/Sipa), fera le tour du monde et participa grandement à mobiliser toute la jeunesse du monde, y compris l’américaine, contre la guerre US au Viet Nam.
Cette petite fille brûlée au napalm a survécu à cet enfer de damnés et est devenue mère de famille établie au Canada engagée ces derniers temps dans l’aide aux réfugiés ukrainiens, venus nombreux dans le pays d’adoption de Phuc (« Bonheur »).
Il y a dix ans, en 2014, après l’invasion israélienne, génocidaire déjà, à Ghazza, le même horrible effroi dans les yeux d’une petite fille est immortalisé par un autre photographe, également compatriote de la victime, Fadi Thabet : une écolière palestinienne fuyant l’enfer en pleurant de tout son frêle corps, de même âge que celui de Phuc, et serrant de tous ses doigts, contre son flanc tremblant comme jamais, ses notes de cours et quelques feuilles éparses de ses manuels qui, certainement, ne comportent nulle allusion à ce possible enfer que peuvent commettre des humains à d’autres humains, que ceux-ci soient petits ou grands !
L’image de cette petite élève palestinienne, foudroyée, anéantie, par la douleur, dans son regard, comme dans son innocente âme, est autrement plus accusatrice pour la conscience humaine que la photo de Phuc… la photo de la petite Ghazzaouie donne une mesure biblique à l’attachement d’un petit être humain à la vie,, au droit à l’espoir de survivre, y compris aux portes de l’enfer et de ses flammes déclenchées impitoyablement par une humanité de la pire espèce pour elle-même !
L’inhibition du prestidigitateur messianique
Deux effrois, deux émois humainement insupportables, qui se croisent, sur 50 ans, attestant que l’humanité a le crime comme credo suprême, nourri par un instinct inextinguible pour le crime et l’extermination de son semblable… Un credo supérieur à toutes les saintes écritures et paroles de leurs messagers… à toutes les formes des conventions et canons civilisationnels imaginés par les humains pour éviter, voire pour bannir, le désir maléfique de s’exterminer mutuellement.
Mais si l’effroi universel que communiqua, dans le temps, la photo de la petite Phuc, au point de réussir à fouetter la conscience de nombreux humains à travers la planète, celle de la petite écolière de Ghazza ne semble pas avoir la même puissance d’impact… C’est que l’exterminateur, cette fois, est plus implacable, plus féroce, que l’envahisseur d’hier au Viet Nam… Car il est d’un autre calibre dans la perpétuation du mal et de la violence, tant il est aveuglé par une vision messianique dont il tente de ressusciter les « limbes éternels », croit-il, alors qu’ils sont perdus depuis des millénaires… Et, en plus, il détient et utilise un pouvoir d’inhibiteur infaillible, cynique, sournois et si efficace, qui lui permet de désactiver, pour les inféoder, toutes les consciences humaines qui seraient tentées de dénoncer ou même, juste, de se désolidariser par la parole de ses actes criminels et génocidaires. Et ce par de moult techniques de prestidigitateur instillant la culpabilisation chez quelconque voix qui serait critique ou opposée à sa besogne criminelle. Pour cela il use aussi bien des saintes écritures que de la honte qu’il entretient depuis 1945 chez les puissants d’aujourd’hui, jadis complices de l’innommable vision exterminatrice des nazis, la Shoah… Comme il exploite également, pour ses dessins de nouveau exterminateur, artisan zélé d’une nouvelle « Shouha », de la lâcheté de ceux qui assistent, pas loin, à ses prouesses et victoires macabres d’ethnocide, de génocide et d’apartheid et qui ne réagissent que par une compassion diluée timidement et peureusement dans des discours de circonstance ou des serments de foi sans poids… Ni réelle et conséquente foi !