Par Abdeslam Seddiki
La science et l’innovation sont aujourd’hui au cœur des évolutions du monde et elles le seront de plus en plus à l’avenir. Elles impactent de très nombreux domaines de notre vie et semblent à l’orée d’une immense révolution, susceptible d’introduire de profondes ruptures technologiques et sociales qui nous rendront demain plus forts, plus agiles et plus efficients face à toutes sortes de défis. L’avenir appartient à ceux qui ont le sens de l’innovation et s’y investissent totalement. Où en sommes-nous à l’heure actuelle ? Sommes-nous sur une pente ascendante ou au contraire en train de trébucher.
Le classement mondial de l’innovation publié annuellement, depuis 2007, par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), dont le dernier porte sur l’année 2024, nous donne un aperçu des principales positions. C’est un document incontournable pour apprécier les progrès accomplis et procéder aux comparaisons avec d’autres pays qu’il s’agisse de pays appartenant à la même catégorie que le Maroc, en l’occurrence les pays à revenu intermédiaire inférieur, ou des pays développés.
Remarquons, et ce n’est pas une surprise, que le top 10 des pays innovants appartiennent tous au « camp occidental ». La Suisse qui occupe la première position pour la 14e année consécutive, est suivie dans l’ordre par la Suède, les États-Unis, Singapour, le Royaume-Uni, la Corée du Sud, la Finlande, les Pays-Bas, l’Allemagne et le Danemark. La Chine et la France occupent respectivement le 11ème et le 12ème rang sur un total de 133 pays, en précisant, toutefois, que le pays du soleil couchant est classé dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire, sur la base du revenu par tête d’habitant
Considérations méthodologiques
Comment est calculé cet indice global de l’innovation ? L’indice évalue 133 économies sur la base d’une série d’indicateurs au nombre de sept : Institutions, Capital humain et recherche, Infrastructure, Sophistication du marché, Sophistication des entreprises, Productions de connaissance et de technologies, Productions créatives. Chacun de ces indicateurs est décliné en 78 sous-indices. A titre d’exemple, le premier indicateur relatif aux instituions, noté en tant que tel, concerne trois sous-titres : 1- Environnement institutionnel qui porte à son tour sur Stabilité opérationnelle des entreprises et Efficacité du gouvernement ; 2- Environnement réglementaire portant sur la qualité de la réglementation et l’État de droit ; 3- Environnement des affaires exprimé sous forme de Stabilité politique pour faire des affaires et Politiques et culture de l’entrepreneuriat.
Comme on le voit, c’est un classement basé sur une méthodologie rigoureuse qui prend en compte plusieurs indicateurs pour évaluer la capacité d’innovation des pays, ce qui en fait un outil précieux pour les gouvernements cherchant à améliorer leurs performances en matière d’innovation. C’est aussi un document de base pour les investisseurs.
La promesse de l’entrepreneuriat social.
Il est à noter également que le GII (Global Innovation index) aborde tous les deux ans une thématique liée à l’innovation qui va au-delà des classements de l’innovation. En 2020, le thème était « Qui financera l’innovation ? » avec pour objectif de faire la lumière sur l’état du financement de l’innovation en étudiant l’évolution des mécanismes existants et en soulignant les progrès et les défis restants. Les thèmes précédents du GII couvraient l’innovation en matière de santé, l’innovation environnementale, l’innovation agricole et alimentaire, et autres. En revanche, en 2024, le thème retenu porte sur « l’entreprenariat social et l’innovation ».
Aujourd’hui, l’entrepreneuriat social est reconnu pour sa capacité à relever les défis sociaux et environnementaux mondiaux croissants qui menacent des vies et des moyens de subsistance, en particulier ceux des populations les plus marginalisées. Deux décennies de recherche ont démontré l’efficacité de l’entrepreneuriat social dans la réduction de la pauvreté et d’autres défis complexes. De plus, à une époque de chômage élevé chez les jeunes à l’échelle mondiale et de mécontentement face au travail, l’entrepreneuriat social offre une opportunité unique d’éduquer et d’engager les jeunes dans la résolution des problèmes sociétaux qui les concernent, tout en développant les économies locales et régionales.
Qu’en est-il du Maroc ?
Le Maroc a fait des progrès significatifs dans l’Indice mondial de l’innovation (GII) 2024, se classant au 66ème rang mondial parmi 133 économies évaluées, et 2ème en Afrique, juste derrière l’île Maurice (55ème). Ce classement représente une amélioration de quatre places par rapport à l’année précédente. En 2000, le Maroc était classé 79ème dans l’Indice mondial de l’innovation. À cette époque, le pays faisait face à des défis importants en matière d’innovation et de recherche, avec des indicateurs montrant un retard par rapport à d’autres pays, notamment en termes de dépenses en recherche et développement (R&D) et de production scientifique. Dans le monde arabe, il occupe la 4ème place après les Emirats Arabes Unis, l’Arabie saoudite et Qatar. Des pays comme l’Egypte et l’Algérie arrivent loin voire très loin pour notre voisin de l’Est qui a d’autres « priorités » ! L’Egypte est au 86ème rang soit 20 marches de moins que le Maroc. L’Algérie est en queue de peloton se contentant de la 115 -ème place.
En poussant l’analyse dans le détail, on constate que le Maroc a réalisé des performances dans certains domaines mais aussi il affiche des faiblesses dans d’autres. Au niveau des performances, on soulignera particulièrement son classement de numéro UN mondial pour les dépôts de dessins et modèles industriels, ce qui montre son potentiel créatif dans ce secteur. Ses dépenses en éducation, estimées à près de 6% le placent au 20ème rang mondial, ce qui ne se reflète pas malheureusement dans les résultats eu égard aux mauvaises performances de notre enseignement et de la recherche-développement. De même, il occupe une position confortable dans le domaine des actifs immatériels (22ème), de l’industrie de haute technologie (27ème) et se classe dans le top 40 dans une série de domaines telles que la stabilité politique pour les affaires (32ème), la productivité du travail (33ème), diplômés et ingénierie scientifique (34ème) …
En revanche, il est mal classé dans une série de variables. Pour ne prendre que les exemples où il est classé au-dessus de 100, on mentionnera le E. Gouvernement et le E. participation, les connaissances pratiques des travailleurs, la maitrise des connaissances, la sophistication des entreprises…Il est possible d’améliorer sensiblement notre classement dans les prochains rapports en nous penchant sérieusement sur ces faiblesses.
Faire mieux à l’avenir.
Notre pays dispose d’un potentiel non négligeable en matière d’innovation. C’est sa jeunesse qui a été formée dans les grandes écoles et dont malheureusement une bonne partie quitte la pays, faute de structures d’accueil adéquates. C’est également une pépinière de chercheurs talentueux mais qui manquent eux aussi de conditions de travail stimulantes. Le budget alloué à la recherche demeure significativement bas, à peine 0,7% du PIB au moment où les pays émergents y consacrent plus de 2% de leur richesse. C’est enfin les startups créées par de jeunes diplômés mais qui ont du mal à émerger par manque de financements nécessaires et du soutien des pouvoirs publics.
Nous avons gagné 13 points de classement au cours d’un quart de siècle. C’est bon mais ce n’est pas suffisant. Il faut afficher plus d’ambition pour le prochain quart de siècle et se donner comme objectif à l’horizon 2050 de figurer dans le top 30. Ce n’est pas un rêve !