Décès de trois femmes dans une clinique
Ouardirhi Abdelaziz
La mort lors d’un accouchement par césarienne programmée sous anesthésie générale, ou locorégionale, est un phénomène rare, et qui survient dans des situations particulièrement difficiles. Pourtant, le risque zéro n’existe pas, comme le rappelle le décès de trois jeunes femmes, survenu le même jour : le 7 janvier 2025, dans la même clinique à Casablanca. Retour sur un drame cauchemardesque.
Pour ces jeunes femmes enceintes, et à terme venues dans une clinique sise au quartier Tadart Californie pour accoucher, respectant en cela les conseils et consignes de leur gynécologue, cette étape ultime de leur grossesse qui a duré 9 mois était synonyme d’un évènement heureux pour le couple et les familles des deux conjoints.
En effet, quoi de plus merveilleux, de plus enchanteur et mirifique pour un jeune couple que la venue au monde d’un premier enfant, surtout quand celui-ci est désiré, espéré, et attendu pendant de longues années.
En arrivant à la clinique le jeudi 7 janvier 2025, rien ne laissé présager de l’issue fatale de ces femmes lors de leur accouchement par césarienne. De quoi sont mortes ces femmes ? Quelles sont les véritables causes de ces décès ? S’agit-il d’une erreur médicale ?
S’agit-il du produit utilisé dans l’anesthésie locorégionale ? Des compétences de l’anesthésiste-réanimateur ? Des questions et tant d’autres auxquelles doivent répondre en leurs âmes et consciences les experts diligentés par les autorités judiciaires, auprès desquelles une plainte a été déposée par le mari de la jeune défunte.
A noter qu’une autre plainte a été déposée le 13 janvier 2025 par l’association nationale de défense des droits de l’Homme et de protection des deniers publics qui a saisi le parquet, en se portant partie civile, pour connaitre les véritables causes de ces décès survenus dans des circonstances qui demeurent à ce jour non élucidées.
Quand pratique-t-on une anesthésie pour un accouchement
Il faut faire la différence entre analgésie et anesthésie. La première, pour un accouchement, est communément appelée péridurale. Il s’agit d’endormir une zone du corps, mais la mère reste consciente.
Pour la rachianesthésie, le médecin anesthésiste injecte une solution anesthésique dans le liquide céphalo-rachidien, à l’aide d’une aiguille insérée dans le bas du dos. Une fois le médicament administré, l’aiguille est retirée. Le soulagement de la douleur est immédiat et dure entre une heure et demie et trois heures. La femme enceinte sera engourdie de l’abdomen jusqu’aux jambes et ne ressentira aucune douleur. En cas de césarienne longue, une péridurale peut être aussi mise en place pour pouvoir prolonger l’effet de l’anesthésie si besoin.
La césarienne est une intervention chirurgicale qui consiste à extraire un nouveau né de l’utérus en réalisant une incision de la paroi abdominale et utérine de la mère.
Elle est nécessaire lorsque l’accouchement par voie basse n’est pas envisageable pour des raisons telles que la position du bébé et du placenta ou en raison d’autres risques qui pourraient compromettre la santé de la mère ou du nouveau né.
La décision de réaliser une césarienne est prise en fonction de l’état de santé de la mère et du bébé, dans certains cas, elle est prévue et planifiée à l’avance.
Taux anormalement élevé de césariennes au Maroc
En 2017, la caisse nationale des œuvres de prévoyances sociales (CNOPS) a compté 30.583 cas d’accouchement, dont 18.522 réalisés par césarienne (61%). Ce taux était de 35% en 2006, puis il a bondi à 43% en 2009 juste après le relèvement du Tarif National de Référence de 6000 Dh à 8000 Dh, pour atteindre 61% en 2017.
Le secteur privé, qui s’accapare 90% du nombre d’accouchements, enregistre un taux supérieur du recours à la césarienne, se situant à 66% contre seulement 25% dans le secteur public. Certaines structures privées d’hospitalisation à Casablanca, Rabat, Fès, Agadir, Kénitra et El Jadida, ont même franchi la barre de 80% d’accouchements par césariennes en 2017.
Une évolution constante des accouchements par césariennes contraire aux recommandations de l’organisation mondiale de la santé (OMS), qui recommande un taux maximum entre 13 et 15%.
Une pratique rentable
De nos jours, accoucher par voie basse n’est plus la règle comme c’était le cas autrefois dans les années 60-70 et même 80. Une pratique qui a toujours prévalu, une tendance qui était bien ancrée dans les mœurs des familles.
Aujourd’hui, qui dit accouchement fait référence à la césarienne.
Ce n’est un secret pour personne. Chez nous au Maroc, le taux de césariennes ne cesse d’augmenter d’année en année, surtout au niveau de certaines cliniques privées où il avoisine les 80, voire même 90 %.
Le coût d’une césarienne varie d’une clinique à l’autre. Il faut prendre en considération plusieurs données, comme la chambre qui peut être une suite avec tout le confort nécessaire, le suivi quotidien des praticiens et personnel soignant, le kiné, la pharmacie, l’accompagnant entre autres.
Il faut compter entre 15.000 et 20.000 DH, s’il n’y a pas de complications. La césarienne ne prend pas beaucoup de temps, c’est 30 a 45 minutes. La femme peut sortir au bout de 48 H si tout va bien.
On est donc loin de l’accouchent par voie basse qui peut durer 18 H ou 20 H, pour 8.000 DH.
Il est évident que toutes les cliniques privées, ne sont pas logées à la même enseigne, et sont respectueuse de l’éthique, et de la pratique du noble art, loin des considérations purement commerciales. C’est tout à leur honneur.
Quoiqu’il en soit, on se doit de rappeler ici que la décision de pratiquer ou non une césarienne est due seul ressort du praticien, qui agit en son âme et conscience et qui, il faut le souligner, est orienté dans ce choix par le souci de préserver la santé de sa patiente et de son fœtus.
Le risque zéro n’existe pas
Dans ce drame qui a endeuillé des familles entières, qui aujourd’hui traversent des moments très difficiles, et vivent un véritable cauchemar à cause de la perte subite d’un être cher (enfant – sœur – épouse – mère ….) que rien en pourra remplacer.
Il nous faut regarder les choses bien en face, et nous dire que la responsabilité de la clinique est évidente, car enregistrer trois décès le même jour, dans la même clinique, ne peut se justifier en aucun cas, combien même on cherchera à démontrer, à expliquer, à développer et à attester par un discours scientifique que ce genre d’incident, de drame, d’aléa existe.
Pour les familles, c’est un drame, c’est une injustice, une situation inacceptable. Et on les comprend, comme nous comprenons aussi leur douleur et leur chagrin.
Aujourd’hui, il faut que justice soit faite. Mais nous devons tous rester maitres de nos comportements, de nos paroles et agissements, loin de toute surenchère. Sans vouloir me faire l’avocat de ceux qui peuvent dans l’exercice de leurs fonctions être à l’origine d’une faute ou d’une erreur médicale, je dirais tout simplement que les médecins sont des êtres humains comme vous, et que ce ne sont pas des anges. Il leur arrive de ce fait de se tromper ni plus ni moins comme nous tous.
Mais parfois malheureusement, les choses peuvent être plus graves, surtout quand il y a négligences, confusion, excès ou incompétence au bloc opératoire. Il ne faut pas dire que cela n’existe pas, que tout est parfait, non et mille fois non, car le risque zéro n’existe pas.
Garantir la réparation du dommage subi
Chaque profession, chaque métier comporte des risques, et quel que soit la maitrise, la dextérité ou les qualifications de celui qui l’exerce, personne n’est à l’abri un jour ou l’autre d’une erreur. Nous comprenons et admettons plus facilement qu’un avion qui a à son bord 400 ou 500 personnes soit victime d’un crash et que tous les occupants décèdent au moment où les boites noires démontrent une erreur humaine. On met cela sur la fatalité, les assurances privées entrent en jeu et on oublie tout et on reprend l’avion. Mais quand il s’agit d’une erreur médicale, ce n’est pas la même chose, c’est différent, surtout quand il y a décès.
Les médias s’emparent du sujet et se font l’écho de tels drames, des mouvements de sympathie s’emparent des associations, et de la population en faveur des victimes comme c’est aujourd’hui le cas pour ces victimes de la clinique Tadart.
On comprend que ce douloureux sujet soit l’objet d’un tel élan de la part des citoyens qui sont très présents sur les réseaux sociaux, mais aussi des médias qui informent pour éclairer les citoyens et apporter leur soutien aux familles des victimes.
Ces drames appellent une réparation du dommage subi par les victimes, des indemnisations qui puissent être conformes, justes et équitables au regard du dommage subi et ce dans des délais raisonnables afin de garantir les droits des victimes qui sont mortes.
Nous tenons ici à présenter nos sincères et attristées condoléances aux familles de ces victimes.
En conclusion, le ministère de la Santé et de la protection sociale garant de la santé de toute la population Marocaine, est aujourd’hui interpellé pour revoir en profondeur la situation des cliniques privées, de procéder à des contrôles inopinés de toutes les cliniques des différentes régions du pays.
De procéder aux inspections concernant la conformité, la salubrité, l’hygiène, la sécurité des structures.
De procéder aux contrôles des ressources humaines; leurs diplômes, leurs compétences, leur nombre, leurs responsabilités au sein des cliniques privées, qui fait quoi..
De faire un suivi régulier des moyens matériels et de leur bon fonctionnement et maintenance.
Les cliniques doivent respecter la loi 131 / 13 et particulièrement son article 75, qui stipule clairement que la liste des médecins exerçant au sein de la clinique, à titre permanent ou occasionnel ainsi que leurs spécialités doivent être affichées, sous la responsabilité du directeur médical, à la devanture de celle-ci et dans ses espaces d’accueil. Doivent également faire l’objet d’affichage visible et lisible dans les espaces d’accueil de la clinique et les devantures des bureaux de facturation, sous la responsabilité du directeur administratif et financier, toutes les informations relatives aux tarifs des prestations qu’elle offre et aux honoraires des professionnels qui y exercent.
Le ministère de la Santé se doit de sortir de ses murs et d’être plus souvent sur le terrain, et communiquer avec les citoyens, car il y va de notre santé a tous.