De quoi Macron est-il le nom?

Voici un candidat novice en politique – il n’est connu du grand public que depuis septembre 2014 – qui s’appuie sur un mouvement, En marche !, vieux d’à peine dix mois, qui réussit à remplir les salles de meeting comme aucun autre candidat, qui sature l’espace médiatique et qui engrange les soutiens politiques de tous bords, à droite comme à gauche. Ces succès ne s’appuient sans doute pas uniquement sur les capacités oratoires ou l’attrait de l’individu. Plutôt, ils doivent être expliqués par l’écho que rencontre son projet politique auprès des élites politiques, administratives et économiques – la classe dirigeante française autrement dit – et de l’élan que cet écho génère en faveur de sa candidature. Le traitement que lui réservent les grands titres de la presse hebdomadaire ou les grandes chaînes en continu suffit pour montrer que Macron bénéficie de solides points d’appuis au cœur du pouvoir.

Il s’agit donc de se poser la question de savoir si le projet de Macron ne cristallise pas le choix stratégique d’une grande partie de la classe dirigeante française d’opérer une mutation dans le fonctionnement du système politico-institutionnel de la Ve République afin de mieux préserver sa capacité à dicter les choix législatifs et gouvernementaux dans la période qui vient

Des analystesont montré comment la haute fonction publique – cette «noblesse d’Etat», selon le terme de Pierre Bourdieu, qui constitue la colonne vertébrale de la classe dirigeante française depuis les années 1950 – et les quelques alliés dont elle disposait au sein de l’économie privée se sont emparés de l’avènement de la Ve République afin d’accélérer lamodernisation du capitalisme français en accélérant le processus de concentration du capital, l’ouverture européenne de l’économie française et le processus de décolonisation. Le renforcement du pouvoir exécutif au détriment du pouvoir législatif leur avait permis de contourner les résistances « malthusiennes » des élites traditionnelles qui avaient dominé les régimes parlementaires de la troisième et de la quatrième Républiques et qui constituaient la majorité des députés à l’Assemblée Nationale et, encore plus, au Sénat. Bien évidemment, les enjeux étaient alors autrement plus importants qu’aujourd’hui et le contexte politique autrement plus polarisé. Mais la percée électorale actuelle du Front National et la résistance dont fait preuve la gauche dans ses diverses composantes – des frondeurs socialistes vainqueurs des primaires à la France Insoumise en passant par le Parti Communiste et Europe-Ecologie-Les Verts – à la politique menée par François Hollande et Manuel Valls trouve dans une certaine mesure un parallèle dans l’action conjuguée de l’OAS et du mouvement Poujade ainsi que dans la présence d’un Parti Communiste toujours très puissant à la fin des années 1950.

Le candidat au parcours typique du personnel dominant

Macron lui-même appartient, en effet, au premier cercle de la classe dirigeante française, ayant réalisé le parcours le plus typique menant aux sommets du pouvoir dans ce pays. Diplômé de Sciences Po Paris en 2001, il réussit le concours de l’ENA dont il sort « dans la botte » (parmi les premiers du classement de sortie) en 2004, ce qui lui permet d’intégrer le corps de l’Inspection Générale des Finances. L’IGF constitue, avec le corps des Mines qui réunit les ingénieurs majors de l’Ecole Polytechnique, l’un des deux plus puissants grands corps de l’Etat. Elle ne recrute que cinq ou six énarques chaque année qui sont destinés à dominer les sommets des plus importantes hiérarchies du pouvoir politico-administratif et économique du pays : cabinets du Président de la République, du premier ministre et du ministre des finances, directions du Trésor et du Budget, présidence de la Banque de France et de l’Autorité des Marchés Financiers côté étatique ; conseils d’administration des entreprises du CAC40 et directions générales des grandes banques et assurances en particulier côté économique…

Sur les questions de politique économique, c’est surtout le consensus qui prévaut. Les inspecteurs des finances ont été les concepteurs et artisans des grandes réformes économiques des trente dernières années : libéralisation financière du début des années 1980, privatisations orchestrées de très près par le ministère des finances pour préserver le contrôle français sur les fleurons du CAC40, politique macroéconomique du franc fort, allégements successifs des cotisations patronales sur les petits salaires pour favoriser l’emploi non-qualifié et ainsi de suite. Ils comptent également parmi les principaux partisans de la réduction de la dépense publique et de la maîtrise de la dette publique, une thématique qui s’est imposée dans le débat public suite au rapport Pébereau de 2006.

Macron appartient à la tendance progressiste de l’inspection. Il a été membre du groupe des Gracques, ce collectif de hauts fonctionnaires et de patrons proches de l’aile droite du PS qui prône depuis sa création en 2007 une alliance entre le PS et le centre de François Bayrou. C’est d’ailleurs son discours de clôture de la 5e université des Gracques en novembre 2015 peu après les attentats de Paris, dans lequel il a expliqué que « la blessure que nous avons subie cette semaine, c’est la blessure des musulmans de France » et que «quelqu’un sous prétexte qu’il a une barbe ou un nom à consonance qu’on pourrait croire musulmane a quatre fois moins de chances d’avoir un entretien d’embauche qu’un autre ».

Cela lui a valu les foudres de Manuel Valls, tout comme son soutien à la politique allemande d’accueil illimité des réfugiés. Cela explique aussi ses positions sur les questions de laïcité, son opposition à la déchéance de nationalité ou ses propos sur la colonisation.

En 2007, il est nommé par Nicolas Sarkozy co-rapporteur de la Commission Attali pour la libération de la croissance française – une des tentatives initiales de Sarkozy de réaliser ce consensus bipartisan centriste dont Macron se fait aujourd’hui le promoteur sous une nouvelle forme. Il est déjà en contact avec François Hollande, dont le proche Jean-Pierre Jouyet, chef de l’inspection desfinances en 2005-2007 mais aussi membre fondateur des Gracques, repère Macron. Tous les deux illustrent la capacité des inspecteurs à dépasser les clivages partisans…

Après quatre années au ministère des finances, Macron « pantoufle » à la banque d’affaires Rothschild et Cie, l’une des deux principales institutions de ce type en France avec Lazard frères.Ces banques sont des cabinets de conseil très élitaires qui conseillent et négocient pour le compte des grandes firmes du CAC 40 ou encore des divers États. Elles réunissent la crème de la crème de la place financière de Paris. Macron s’y forge une réputation de brillant dealmaker et gravit rapidement les échelons. En même temps, il soutient le candidat François Hollande avant le naufrage de la candidature de Dominique Strauss-Kahn et dans la dernière ligne droite de la campagne présidentielle de 2012, il anime le groupe de la Rotonde, qui réunit des économistes de sensibilité sociale-libérale (Philippe Aghion, Gilbert Cette, Elie Cohen et d’autres), chargé de contribuer au programme économique de Hollande.

Une fois l’élection passée, Macron devient secrétaire général adjoint de l’Elysée, chargé des questions économiques et financières. Pendant ses deux années de services, il inspire le CICE et le pacte de responsabilité, mais aussi la politique française en matière européenne, en forgeant notamment un compromis avec l’Allemagne pour lancer en juin 2012 le projet d’union bancaire qui centralise le contrôle prudentiel sur les systèmes bancaires européens au sein de la BCE. Depuis le début, il est l’un des partisans les plus farouches du virage social-libéral du quinquennat. C’est précisément le clivage au sein de la majorité de gauche à l’Assemblée Nationale qu’il cite comme exemple des blocages qui existent au sein de la gauche et de la droite françaises et qui justifient une recomposition du système partisan avec l’émergence d’un grand pôle centriste, allant de la droite de la gauche à la gauche de la droite.

La liste des soutiens de Macron se lit comme un extrait du Who’s who de la classe dirigeante française. Son principal soutien a été Henry Hermand, grand patron avec des intérêts dans la grande distribution, proche de Mendès-France puis de Rocard et du courant chrétien de gauche fondé par Emmanuel Mounier autour de la revue Esprit. Hermand a financé des think tanks proche de la droite du PS (La République des idées, Terranova). Un autre patron proche du PS, le copropriétaire du Monde, Pierre Bergé, est aussi un soutien déclaré de Macron, le financier Henri Moulard, Pascal Lamy et d’autres…

Selon un « habitué des dîners du pouvoir » cité dans une enquête du Monde sur Macron, « il est celui dont le Siècle a toujours rêvé : homme de gauche faisant une politique de droite ».

Macron est donc, plus que tout autre candidat actuellement, celui au parcours le plus typique du personnel dominant les sommets du pouvoir en France. C’est dire si son projet d’un nouveau mouvement politique, «ni de droite ni de gauche», allié au Modem de Bayrou et qui propose un programme dans la continuité du quinquennat Hollande mais sans s’embarrasser d’une synthèse avec l’aile gauche du PS et EELV ou du besoin de satisfaire une partie de l’électorat de gauche, exprime les choix stratégiques d’au moins une partie de la classe dirigeante française. L’idée d’une grande majorité centriste pour faire «des réformes à la Schroeder».

Synthèse M.B

Jean-Luc Mélenchon

Et maintenant que faire…

Le score de Jean-Luc Mélenchon fera date. Avec autour de 20% des suffrages le candidat de la France insoumise, soutenu par le PCF, réalise une performance historique pour un candidat de la gauche de transformation sociale.

Après les 4 millions de voix en 2012, c’est cette fois près de 7 millions de personnes qui ont glissé un bulletin de vote Jean-Luc Mélenchon. Ce score ne lui permet pourtant pas de figurer au second tour comme la fin de campagne avait pu le laisser envisager. Ce serait seulement quelques centaines de milliers de voix qui séparerait le candidat de la qualification. Le faible score de Benoit Hamon (autour de 6%) semble indiquer qu’une partie importante de ses électeurs potentiels se sont reportés sur le candidat de la France insoumise.

Jean-Luc Mélenchon a de l’avis général, mené la meilleure campagne. Depuis le début de l’année, c’est devant des foules très importantes, qu’il a déroulé son programme, l’avenir en commun, aux quatre coins du pays. Les rassemblements de la place de la République à Paris (130 000 personnes selon les organisateurs) de Marseille ou encore de Toulouse resteront comme les plus grands rassemblements de la campagne, tous candidats confondus. Ses prestations télévisées avaient aussi permis de mettre en lumière des idées (sécurité sociale intégrale, VIème République…) pour mettre en œuvre le renouvellement profond que les Français appellent de leur vœux. D’après les enquêtes d’opinions, Jean-Luc Mélenchon est le candidat préféré des Français et celui dont le dynamique était la plus importante. Il est également celui qui le mieux utilisé les réseaux sociaux en étant le plus suivi sur Youtube et celui qui a le plus progressé sur Facebook et Twitter tout au long de la campagne.

Mais devenu potentiel participant au second tour il a néanmoins subi les attaques répétées de son adversaire comme des médias dominants. Ses liens prétendus avec Vladimir Poutine, le président russe, ou avec des pays comme le Venezuela ou Cuba, eux-mêmes caricaturés, ont été utilisés pour dissuader de voter Mélenchon. Ces tirs de barrages auront peut être empêchés JLM de figurer au second tour en lieu et place de Marine le Pen.

La situation à gauche est donc totalement nouvelle au soir de ce premier tour. Ce sont les idées de transformation sociale qui dominent dans une gauche éliminée dès le premier tour et historiquement faible avec un total autour de 25 % soit près de 20 points de moins qu’en 2012. Le score de Jean-Luc Mélenchon est une promesse pour l’avenir, un socle sur lequel construire «les jours heureux» chers au candidat.

(L’Humanité)

La gauche radicale

Le troisième tour…dans la rue !

«Cette campagne a témoigné du gouffre qui sépare de plus en plus la population d’un système politique qui ne nous représente pas et qui, fondamentalement, ne prend pas en compte nos conditions de vie, pire qui les aggrave année après année… Tous ces politiciens représentent de moins en moins d’électeurs, notamment dans les quartiers populaires», déclare Philippe Poutou, candidat au nom du Nouveau parti anticapitaliste (NPA)…

 L’élément inédit de ce premier tour est l’absence au second tour des candidats du PS et des Républicains. C’est le signe d’une grande crise politique que les deux partis qui ont gouverné le pays depuis 60 ans soient ainsi éliminés. Mais la présence au second tour de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron n’est pas une bonne nouvelle, et encore moins une rupture avec tout ce que nous subissons depuis des décennies.

Le FN se prétend un parti hors système qui défend les travailleurs, alors que c’est un parti capitaliste comme les autres, qui a autant de casseroles que les autres, qui ne se bat jamais contre les licenciements et les projets patronaux, qui protège les riches et frappe les exploités. De plus, ce parti est un grave danger car, par le racisme, il attise la haine contre les populations immigrées et d’origine immigrée, et la division, visant à détourner les salariés de vrais responsables du chômage et de la misère.

 L’autre candidat sera donc Emmanuel Macron, imposteur à plusieurs titres : il n’est pas un nouveau candidat hors système mais un rejeton des banques et de François Hollande, tout autant responsable que celui-ci de la politique que nous avons subie depuis cinq ans. Et il nous promet d’aggraver encore l’austérité et les inégalités.

Le score de Le Pen et la crise politique nous montrent l’urgence de reprendre nos affaires en main, de nous mobiliser. Bien plus encore qu’en 2002, ces prochains jours, ce n’est pas un «front républicain» mais une large mobilisation contre le Front national et les politiques libérales, en particulier de la jeunesse, qui est indispensable. Nous devons nous battre dans les entreprises et les quartiers, sans attendre le résultat du second tour.

 Dimanche 7 mai, beaucoup voudront faire barrage au FN en votant Macron. Nous comprenons la volonté de rejeter le danger mortel pour tout progrès social et pour l’ensemble des droits, tout particulièrement pour les populations immigrées et d’origine immigrée, que représenterait l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen. Mais nous voulons rappeler que ce sont bien les politiques d’austérité et sécuritaires, en particulier quand c’est la prétendue gauche de gouvernement qui les a portées, qui restent la cause de la montée du FN et de ses idées nauséabondes. Macron n’est pas un rempart contre le FN, et pour faire reculer durablement ce péril, il n’y a pas d’autre solution que de reprendre la rue, contre l’extrême droite, mais aussi contre toutes celles et ceux qui, comme Macron, ont mis en place ou veulent imposer des mesures antisociales. Le NPA et ses militants se joindront aux manifestations contre le FN.

(NPA)

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