Corps à corps: Une vision plastique de Farida Bouazzaoui

Des corps! Et encore des corps. On dirait que Farida Bouazzaoui, plasticienne et comédienne de talent, est habitée par les corps et peine à s’en débarrasser.

Est-ce pour conjurer un sort ou pour célébrer ce corps sujet à toutes les tensions dans une société où on tente depuis la nuit des temps de le cacher, de le nier, de l’ostraciser même car, par son pouvoir de séduction, il a un tel pouvoir de séduction qu’il est considéré comme quelque chose de maléfique, selon Malek Chebel. Des corps nus. Des corps filiformes et cadavériques qui s’entrelacent et se confondent les uns dans les autres comme s’il ne fallait en garder qu’un ersatz de corps qui ne serait pas le corps niant un autre corps mais la conjonction fusionnelle qui éliminerait l’idée même de genre. Homme ou femme ? Monstre à coup sûr, dirait Jean Genet quand il s’agit de représentation.

La nudité cadavérique chez Farida Bouazzaoui n’est nullement une transgression morale érigée en porte-à-faux d’une société conservatrice dont la fonction affichée et de plus en plus assumée est de brimer le corps, de le nier, surtout ces derniers temps avec la montée de l’intégrisme et du fanatisme religieux. Peindre serait-il un exutoire pour Farida Bouazzaoui, un cri de liberté pour sortir de cette ornière du confinement ou une main tendue à des corps malades qui ne demandent qu’une petite lueur de reconnaissance (dominance du gris) et un geste d’amour pour vivre les derniers instants d’un bonheur perdu ? C’est l’un et l’autre ou ni l’un ni l’autre car, dans le domaine de l’art, ce qui est ésotérique est plus fort que ce qui est donné à voir dans la clarté des mots et des images.

A l’exception de quelques tableaux représentant des masques mortuaires plutôt que des personnes humaines ou des corps baillonnés, les personnages de Farida Bouazzaoui sont anonymes. Ils n’ont pas de visage ou du moins sont-ils presque toujours tournés vers le néant. Ils sont déjà porteurs des stigmates d’une maladie incurable: têtes chauves, bandées et disproportionnées. A part ces têtes qui n’en sont déjà pas unes, le reste des corps sont entiers, montrés dans leur véritable nudité. Ils peuvent l’afficher puisqu’ils ont surgis de nulle part comme les fantômes qui hantent notre conscience marquée par le puritanisme.

N’est-ce pas là une tentative de colmater cette blessure que portent des corps malades du cancer comme on l’avait vu dans de nombreux spectacles autour de ce mal sournois et terrifiant dont ce petit bijou «Kharif»  de Asmaa Houri et dont l’une des protagonistes était justement Farida Bouazzaoui. Ce spectacle célèbre justement le corps où la comédienne auprès d’une vraie professionnelle des corps, Salima Moumni, a excellé. Elle ressemble à s’y confondre avec ces corps peints dans une sorte de dédoublement artistique hors du commun.

Farida ne s’embarrasse ni de proportions ni de détails croustillants qui dérangent.  Elle regarde la vie et les êtres tels qu’ils sont au-delà des voiles qui cachent. Ses tableaux sont une suite ininterrompue de cartographies de l’âme humaine qu’elle jette au hasard sur son passage pour dire en silence sa rage de vivre. Rendre hommage à la femme passe aussi par la peinture, semble dire l’artiste. Elle porte un regard sur la femme et à travers la femme une conscience profonde sur le monde qui l’entoure.

Farida Bouazzaoui peint pour se jouer (ou jouer) de cette incroyable dialectique entre la vie et la mort. Un jeu au sens théâtral du terme puisqu’elle est d’abord comédienne. Farida Bouazzaoui peint des corps de femmes pour dire la douleur de la femme, des corps de femmes désarticulés, squelettiques, des corps creux où rien ne résonne sinon cette douleur de la décrépitude qui peut transformer la beauté en laideur.

Que reste-t-il de la beauté quand le corps se fane, quand le corps est traversé par les affres de la vie ou le mal incurable ? Des regards vifs, brillants comme la lumière qui scintille au fond des ténèbres où des couleurs chatoyantes accompagnent des corps cendrés et la tristesse qu’ils expriment. Bref, un corps à corps entre l’artiste et ses fantômes.

Ahmed Massaia

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