Une anthologie pour sauvegarder l’art de l’Aïta. C’est la mission que s’est donnée Brahim Elmazned, président de l’association « Atlas Azawan », en publiant « Chikhates et chioukhs de l’Aïta ». L’ouvrage, qui a été publié récemment, a impliqué plus de 250 artistes et musiciens et une trentaine d’interprètes reconnus sur la scène artistique marocaine, entre autres Khadija El Bidaouiya, Mustapha El Bidaoui et Ould Kaddour, Khadija Makroum, le groupe Ouled El Bouazzaoui et bien d’autres figures de l’Aita. Dans cette anthologie, les mélomanes et férus de l’Aïta pourront découvrir de près les 7 variantes de l’Aïta sur l’ensemble du Maroc, de Tanger jusqu’à Errachidia, en passant par Khouribga, Safi, Oued Zem, Sebt Gzoula, Marrakech, El Jadida, Fqih Ben Saleh, etc…
Al Bayane : Vous venez de publier l’anthologie « Chikhates et Chioukhs de l’Aïta » que vous avez présentée à l’Institut du monde arabe et qui a remporté le Prix Coup de cœur 2017 de l’Académie Charles Cros. D’où vous est venue l’idée de réaliser un tel travail?
Brahim El Mazned: Effectivement, l’anthologie a reçu le prix Coup de Cœur 2017, décerné par l’Académie Charles Cros. C’est une véritable reconnaissance. Il faut dire que la musique et les arts populaires au Maroc sont très riches. A travers un cumul d’expériences professionnelles, j’ai eu la chance de rencontrer des artistes de toutes disciplines confondues. Mes rencontres dans ce cadre avec les Chikhates et Chioukhs de l’Aïta m’ont donné l’envie de travailler sur une œuvre, sous forme d’Anthologie, réunissant la diversité des formes et genres de cet art, à savoir l’aîta Hasbaouia, Mersaouia, Jeblia, Filalia, Haouzia, le Zaâri… etc.
Ce travail permet de sauvegarder ce patrimoine en péril. J’espère que les jeunes artistes s’en inspireront et éventuellement le perpétueront.
Qu’en est-il de la documentation et des archives musicales ? Parlez-nous du processus de collecte des témoignages et des données sur l’Aïta?
Une partie du travail avait déjà été réalisée par d’éminents connaisseurs de cet art, notamment Mohamed Bouhmid, Allal Ragoug, Hassan Najmi, El Hassan Bahraoui… En ce qui nous concerne, nous avons rassemblé 10 albums composés de 70 titres de divers styles de l’Aita sur l’ensemble du Maroc, de Tanger jusqu’à Errachidia, en passant par Khouribga, Safi, Oued Zem, Sebt Gzoula, Marrakech, El Jadida, Fqih Ben Saleh, etc… En outre, nous avons accompagné ce travail par deux livrets en français et arabe et une version en anglais pour l’étranger. Je pense qu’on devrait réaliser ce travail par région et par style. Tout cela nécessite beaucoup de travail et évidemment des moyens.
Certains poèmes et textes sont transmis oralement de cheikh au disciple. Où en sommes-nous du passage de l’oralité à l’écrit, puis à l’enregistrement?
Le mode d’apprentissage à l’ancienne n’appartient plus au temps moderne. A mon avis, nous devons passer à un mode plus actuel. Nous devons réfléchir à mettre en place l’enseignement de la musique traditionnelle dans nos conservatoires au côté d’autres musiques, en prenant en considération les spécificités régionales. Le Maroc est très riche de par sa diversité culturelle et musicale. Si on ne s’occupe pas de la transmission, ce patrimoine va disparaître.
Cette anthologie rassemble les sept types ou couleurs de l’aïta. Qu’avez-vous trouvé de particulier voire d’original dans cet art authentique?
Il existe plusieurs formes de l’Aïta, y compris dans chacune des écoles. Dans la région de Abda, on écoute principalement l’hasbaoui ; dans la région de Zair, l’Aita Zaaria. Du côté de Casablanca, c’est l’Marsaoui ; à Tanger, le Jebli. A Errachidia, c’est le beldi, etc… Il y a évidemment une forte pratique de l’Aïta l’Mersaouia vu sa présence en milieu urbain, notamment dans les mariages, les clubs etc…
Plusieurs figures de proue de l’aïta ont eu un parcours exceptionnel, à l’instar de Kharboucha, Fatna Bent Lhoussin, Hamounia, Hadda Ouaki et bien d’autres. Quel est le parcours qui vous a le plus marqué?
J’ai été étonné en découvrant en ces chikhates une modernité exceptionnelle et une tolérance rare. J’espère que de jeunes femmes interprètes reprennent le flambeau de cet art.
Vous êtes le directeur du MoMEx, bureau d’export de la musique marocaine. Quels sont vos projets pour aider cet art et les autres expressions artistiques à mieux se vendre à l’étranger?
Le MoMEx est un projet structurant pour la filière musicale et pour le rayonnement de la culture marocaine et de nos artistes à travers le monde, selon une approche de diplomatie culturelle. Il a permis à plusieurs artistes de s’exporter vers plusieurs destinations, notamment vers des territoires nouveaux comme le Chili, l’Afrique du Sud, le Danemark, etc… Malheureusement pour le moment, l’activité du bureau est suspendue faute de moyens.
Pensez-vous qu’il est temps d’ouvrir un débat sérieux sur la question des droits de la propriété intellectuelle et artistique au Maroc?
A mon avis, oui. On ne peut développer la situation des artistes et les projets artistiques au Maroc sans respect de la propriété intellectuelle. C’est une affaire qui requiert l’implication d’abord des ayants droits, une meilleure transparence, des outils fiables et une grande sensibilisation.
La filière de la musique est très prometteuse, mais fait face au défi de l’informel. Que proposez-vous pour mieux structurer le secteur musical?
La filière baigne malheureusement encore dans l’informel. Dans ces conditions, elle ne peut contribuer à l’économie du pays et encore moins au développement de la scène musicale. Je pense qu’il faudra mettre en place des outils pour accompagner ce secteur. L’Etat le fait pour d’autres départements (Tourisme, artisanat, agriculture, etc). Ces outils peuvent accompagner la production, la diffusion, l’export, etc. Amine Sbihi avait lancé des appels à projets qui ont d’ailleurs dynamisé ce secteur. Je pense qu’il faudra les renforcer et les développer sur le plan régional. Il est regrettable de voir le manque d’implication de la plupart des collectivités territoriales dans ce secteur.
Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef
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