L’essoufflement

Par: Abdeslam Seddiki

Dans l’ordre naturel des choses, l’ancien doit céder la place au nouveau.  C’est valable pour les personnes comme pour les phénomènes.  Car les uns et les autres finissent par s’essouffler.  Ce qui est valable à une certaine époque et dans un contexte donné ne peut pas l’être éternellement. Ainsi va la vie et il faut bien en admettre les règles.  Notre modèle de développement, en épuisant toutes ses forces, appelle à la mise en place d’un nouveau modèle dont les contours restent bien évidemment à définir.

Rappelons que le Maroc a testé depuis l’indépendance plusieurs modèles de développement, ou plus exactement «modèles de croissance». Ainsi a-t-il opté successivement pour un modèle d’import-substitution durant les deux premières décennies qui ont suivi l’indépendance, puis un modèle d’ajustement sous l’effet de la crise de l’endettement (années 80) comme tremplin vers la mise en place d’un modèle axé sur l’exportation et l’ouverture de notre économie sur le marché mondial (adhésion au GATT en 1987 et à l’OMC en 1995).  Les trois modèles qui se sont succédé avaient cependant en commun leur filiation au libéralisme et leur pari sur le secteur privé.

Ainsi, tout au long de cette période, le Maroc a réalisé des taux de croissance relativement élevés sans pour autant assurer le développement. Car ce dernier ne se réduit pas à la croissance. Alors que la croissance se mesure par le simple agrégat du Produit intérieur Brut (PIB), le développement est appréhendé par le niveau de satisfaction des besoins de la population et les transformations structurelles qui englobent l’économique, le social et le politique dans leur ensemble. Cela explique le décalage de notre classement au niveau mondial selon le revenu par tête (92ème rang) et selon l’Indice du développement humain (126ème). A l’évidence, les fruits de la croissance n’ont pas profité à tout le monde de la même manière !

Par ailleurs, si le Maroc a fait le choix de l’ouverture en procédant à la signature d’une série d’accords de libre-échange avec 55 pays regroupant 1 milliard de consommateurs, force est de constater qu’il est loin d’en tirer profit comme il s’y attendait.  Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, la croissance réalisée est tirée principalement par la demande intérieure composée des dépenses  d’investissement et de  consommation des ménages.

La demande extérieure, sur laquelle on tablait, joue un rôle négatif dans la croissance tant il est vrai que notre balance commerciale est structurellement déficitaire. Ce déficit n’est résorbé,  partiellement du reste, que  par les transferts des MRE et les recettes touristiques.

L’objectif d’un arrimage réussi à l’économie mondiale est resté un vœu pieux.  Le Maroc ne réalise que 0,13 % du commerce mondial soit une proportion à peine égale à sa part dans le PIB mondial (0,12%) et beaucoup moindre que sa part  dans la population mondiale (0,4%). Cette faible pénétration du marché mondial s’explique principalement par la faiblesse de la  compétitivité de notre économie  réduisant l’offre exportable à une portion congrue nonobstant les progrès réalisés au cours des dernières années au niveau de ce qui est convenu d’appeler les «nouveaux métiers mondiaux» tels l’automobile, l’aéronautique, l’électronique et l’offshoring.

Toutefois, là où le modèle a connu un échec patent c’est incontestablement  au niveau de l’inclusion sociale et de la réduction des inégalités à la fois sociales et spatiales.  Ainsi, les chiffres disponibles sont parlants et  montrent l’aggravation de l’exclusion sociale et des inégalités de toutes sortes.

Notre «gâteau national» est très injustement réparti : plus de 50% sont accaparés par les détenteurs du capital,  à peine 30% de la richesse produite profite à ceux qui la créent à savoir les salariés et le reste va à l’Etat sous forme de recettes fiscales.  Le fardeau fiscal est supporté essentiellement par les salariés et un nombre très limité d’entreprises  socialement et éthiquement  responsables.  L’inégalité ne se limite pas à la répartition des revenus, elle se manifeste également par une inégalité d’accès aux services sociaux de base  notamment au niveau de la santé et de l’éducation.

Ce modèle de croissance à l’œuvre, malgré tout ce qu’il a réalisé sur le plan quantitatif et au niveau de l’infrastructure physique, a atteint définitivement ses limites et ne peut plus tenir la route : une croissance incapable d’assurer un  emploi décent  à chaque marocain, incapable d’assurer un niveau de dignité humainement acceptable.  Il est grand temps, par conséquent, de changer de paradigme et d’envisager l’avenir du Maroc autrement, en  mettant le citoyen au centre du processus productif.

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