Un crime prémédité selon le Président Erdogan

Au moment même où devait s’ouvrir à Riyad et sous la présidence effective du Prince Héritier d’Arabie Saoudite Mohammed Ben Salmane, la Conférence sur l’investissement dite «Future Investment Initiative» à laquelle ont été conviés les plus grands «investisseurs» de la planète pour se concerter sur les moyens à mettre en œuvre à l’effet d’aider l’Arabie Saoudite à diversifier son économie qui repose essentiellement sur les revenus du pétrole, le Président turc Recep Tayyip Erdogan prenait la parole devant les députés de son parti pour leur faire part, ainsi qu’au monde entier, des résultats de l’enquête effectuée par les services de police et de renseignements turcs à la suite de la disparition le 2 Octobre dernier du journaliste saoudien Jamal Khashoggi après son entrée au Consulat de son pays à Istanbul pour le retrait d’un document administratif.

Et si toutes les chancelleries et les médias avaient les yeux rivés vers leurs postes de télévision pour prendre connaissance des révélations qu’allait faire le Chef de l’Etat turc, force est de reconnaître que ce dernier aura, surtout, confirmé ce que le monde entier savait déjà car si personne n’ignorait que Jamal Khashoggi n’est pas sorti vivant du consulat saoudien d’Istanbul le 2 Octobre dernier, le président turc a donné les preuves attestant que son assassinat – d’une sauvagerie inégalée – n’a pas été accidentel comme ont cherché à le faire croire les autorités de Riyad après plus de quinze jours de silence mais bel et bien prémédité.

Ainsi, nous apprenons que la victime s’était présentée au consulat de son pays à Istanbul le 28 Septembre dernier pour demander le document administratif nécessaire à son remariage avec une ressortissante turque mais que les employés du consulat lui ont demandé de revenir le 2 Octobre dans l’après-midi pour le récupérer.

Et c’est à partir de cet instant-là que la machine s’est mise en branle. Ainsi, quelques heures à peine avant le rendez-vous fixé quinze ressortissants saoudiens ont atterri à l’aéroport d’Istanbul dans trois vols différents ; deux groupes sont venus à bord de deux avions privés et le troisième a emprunté un vol régulier de la Saudia Airlines. Dès leur atterrissage, tous ceux-ci se sont présentés au Consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul.

Trois membres de ce commando – que nous savons aujourd’hui venu spécialement d’Arabie Saoudite pour assassiner Jamal Khashoggi – se sont « promenés », durant un bon moment, dans une forêt d’Istanbul non loin du Consulat saoudien ; ce qui présuppose qu’ils étaient bien à la recherche d’un endroit où enfouir la dépouille de la victime après l’accomplissement de leur forfait.

Autres éléments confirmant la préméditation, le système de vidéosurveillance du consulat a été désactivé et les employés libérés peu avant l’heure à laquelle Jamal Khashoggi devait venir récupérer son document.

Mais la question de la désactivation, par les membres du commando saoudien, du système de vidéosurveillance du consulat en amène une autre: d’où proviennent, dans ce cas, les enregistrements, aussi bien audio que vidéo, dont la presse turque fait état depuis le début de cette affaire ? Affirmer que tous ceux-ci proviennent de la montre «intelligente» que le journaliste portait à son poignet au moment des faits laquelle était connectée au téléphone qu’il a remis à sa fiancée avant de franchir la porte du Consulat reviendrait à vouloir faire croire – à qui voudrait bien y croire – que la montre du défunt serait «un peu trop intelligente», aurait des fonctions insoupçonnées et couvrirait un bien grand rayon d’action. Mais çà c’est une autre histoire que les différents services diplomatiques de la planète étudieront, sans nul doute, «à tête reposée et au moment opportun» car elle remet en cause les questions de l’extra-territorialité et de l’inviolabilité des locaux diplomatiques.

Mais tout en invitant les autorités saoudiennes à bien vouloir lui indiquer  l’endroit où aurait été dissimulée la dépouille de Jamal Khashoggi – entière ou découpée en 15 morceaux comme l’aurait déclaré sur le journal «Hurriyet» Abdulkadir Selvi, un «éditorialiste proche du pouvoir turc – et à faire connaître au monde l’identité du « donneur d’ordres », Erdogan leur demande de bien vouloir livrer à la Turquie les responsables de ce crime pour qu’ils soient jugés par les autorités judiciaires du lieu où ils ont commis leur odieux forfait car « la conscience internationale ne sera apaisée que lorsque toutes les personnes impliquées, des exécutants aux commanditaires, auront été punies ».

Ménageant, tout de même, la chèvre et le chou afin de préserver les relations économiques qu’entretiennent les deux pays, le chef de l’Etat turc essaie d’épargner le vieux monarque saoudien en se disant persuadé que celui-ci va coopérer, comme il se doit, avec la Turquie pour les besoins de l’enquête sur la mort sur son territoire du journaliste Jamal Khashoggi.

Mais en ménageant le Roi Salmane, Recep Tayyip Erdogan lance, du même coup, la pierre – une bien grosse pierre, à vrai dire – à son héritier le fameux Mohammed Ben Salmane qui, en se mettant, de lui-même, dans une situation particulièrement inconfortable semble avoir définitivement perdu l’occasion d’accéder un jour à ce rang qu’il convoitait tant de Serviteur des Lieux Saints de l’Islam. Est-ce cela le prix que MBS va être appelé à payer pour avoir ordonné un tel crime ? Attendons pour voir…

Nabil El Bousaadi

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