Le plagiat à l’université marocaine: un diagnostic sans complaisance

Ghofrane El Khomssi*

Un budget sectoriel situé quelque part entre le dérisoire et le ridicule, un ministère de tutelle ne sachant plus à quelle réforme se vouer, des étudiants débarquant à l’université forts, entre autre, de leurs handicaps linguistiques et une corruption qui commence à s’y implanter, tout est là pour que l’Université marocaine déclare forfait. Pourtant, elle se bat, lutte pour s’empêcher de mourir.

Aussi, au milieu des scandales éclatant périodiquement, çà et là, ternissant ainsi l’image déjà peu reluisante de nos Facultés, et des dénonciations légitimes, il serait bon de saluer les efforts orphelins d’universitaires soucieux encore du devenir de la recherche scientifique au Maroc.

Dans une première à l’échelle nationale, le Laboratoire de recherche sur l’expression Littéraire et Artistique de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines Dhar El Mahraz à Fès a organisé le 12 Novembre dernier une journée d’étude consacrée à la question du plagiat, ayant pour titre «Le plagiat à l’université marocaine. Le savoir académique face aux nouvelles technologies de l’information et de la communication : savoir, éthique, déontologie». La journée, initiée et coordonnée par le professeur Abderrahim Kamal, a réussi, au-delà de la condamnation, à penser le problème sous ses différents aspects : juridique, technique, historique et sociologique.

Du franc copier/coller à la paraphrase la plus discrète, où finit et où commence le plagiat ? Quelles en sont les retombées sur la recherche scientifique ? Comment expliquer que cette pratique, autrefois limitée aux lycéens et aux étudiants de premier cycle, ait fini par gagner les cycles de master, doctorat et même le corps enseignant ? Au-delà du contexte universitaire, quelles sont les mutations sociologiques et psychologiques qui aident le phénomène à prendre du terrain ? Comment y faire face ? Quelles solutions proposer ? Autant de questions auxquelles les intervenants ont essayé de répondre.

L’allocution de monsieur Moubtassim, vice-doyen chargé de la recherche, fraîchement nommé, loin de la langue de bois, véritable habitus de nos responsables et dirigeants, n’a pas hésité à rendre compte, chiffres à l’appui, de la gravité de la situation. Si en d’autres lieux, l’on se fait un point d’honneur de dire sa Faculté, son Ecole ou son Institut le plus productif, le plus à jour, le meilleur, qu’on préfère se réfugier dans le déni, M. Moubtassim, lui, n’a pas hésité à dire l’âpre réalité : depuis le début de son mandat en Juillet 2018, des thèses de doctorat ainsi que des dossiers d’habilitation ont été rejetés par le Centre d’études doctorales de la Faculté et pour cause : des travaux censés être de recherche sont en fait des plagiats.

L’éminent journaliste, poète, romancier et essayiste Abdallah Bensmaïn a ensuite pris la parole pour une conférence inaugurale portant sur le plagiat dans la littérature. Tranchant avec le ton académique des interventions qui la suivirent, la voix de monsieur Bensmaïn a permis d’établir au moins un constat : les frontières entre le vol et l’emprunt, entre l’allusion et la paraphrase peuvent sembler floues, surtout en l’absence d’un balisage scientifique et juridique. Cela a introduit les différentes interventions constituant l’essentiel de la journée d’étude, regroupées selon trois axes.

Le premier axe a porté sur des aspects techniques de la rédaction scientifique. Les professeurs K. Hadji et M. El Bouazzaoui se sont attachés à établir les différences entre paraphrase, citation et plagiat, mais aussi à rappeler à l’assistance les moyens informatiques (logiciels anti-plagiat) dont dispose aujourd’hui l’université marocaine pour démasquer les différentes pratiques plagiaires. Le deuxième axe de cette journée d’étude a reposé sur une approche juridique et éthique, droits d’auteur, mesures de sanction, failles juridiques, cas de plagiat célèbres et procès… tels ont été les sujets discutés par les professeurs H. Bouziane, O. Idrissi Aydi et H. Belhaj lors de cette séance. Le troisième axe, enfin, a attaqué la question d’un point de vue sociologique et historique. Si les deux premiers volets ont réussi à analyser le plagiat comme façon de faire, le dernier s’y est intéressé comme façon d’être. Tour à tour, les professeurs M. Hichchou, A. Bissani et A. Kamal ont pensé la genèse de cette pratique et les devenirs possibles de l’invention, de l’originalité et de la productivité dans une société noyée dans le consumérisme en pointant les facteurs socio-historiques et politiques qui ont amené la «pandémie» à sévir et en examinant la part de responsabilité des nouvelles technologies.

Si l’on s’accorde à dénoncer le plagiat comme pratique frauduleuse nuisant à la qualité de la recherche, ainsi qu’à la réputation de nos universités, on oublie souvent de rappeler que cet élève, cet étudiant, ce professeur n’hésitant pas à s’approprier le travail d’autrui, ayant perdu toute foi en sa capacité à produire (ici un savoir, ailleurs un objet, un art, une pensée), est d’abord le résultat d’une sape systématique de l’enseignement et du corps enseignant s’étalant sur des années et que l’on pourrait faire remonter au moins aux années 80.

En guise de clôture de la journée d’étude, des recommandations ont été formulées, principalement : la création d’un Conseil d’éthique, l’élaboration d’une charte anti-plagiat, la mise en place d’un protocole de vérification systématique des travaux de recherche déposés pour soutenance, la programmation de séminaires de sensibilisation au plagiat dans le cadre des formations doctorales, enfin la publication des actes de la journée d’étude.

*doctorante au LaRELA

(Université sidi Mohamed Ben Abdellah- Fès)

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