Contrairement au marxisme qui considère que les antagonismes de classes, des antagonismes sans répit, tantôt déguisés, tantôt ouverts, sont le moteur du changement sociétal, le populisme perçoit que le conflit social est entre «un peuple moralement pur et parfaitement unifié et homogène – mais pour nous, fictif – contre des élites politiques réputées corrompues ou moralement inférieures.» Ainsi, le populisme remplace-t-il la confrontation de différents projets et positions politiques démocratiques par une confrontation entre des valeurs morales et des formes essentialistes d’identification qui ne seront pas négociables. (Chantal Mouffe) le populisme confine son action politique dans des pensées et jugements moraux et nativistes, souvent extrêmes et rétrogrades sur la nation, l’immigration, famille, devoir, autorité, valeur, traditionalisme – en les combinant avec les thèmes agressifs d’un néolibéralisme renouvelé – intérêt personnel, individualisme compétitif, antiétatisme».
Le populisme est, aussi, une «idéologie fine/mince» (athin-centredideology) qui vise à construire et maintenir un pouvoir politique basé sur «la mobilisation massive de ses partisans par le biais de liens plébiscitaires. La conception plébiscitaire évoque généralement «les images puissantes des empereurs romains et des monarques français qui ont gouverné sur la base de l’adoration populaire, les masses donnant leur consentement bruyant à chaque action» (Lowi 1985, xi). Comme l’écrit Max Weber (1978), «le chef (démagogue) règne en vertu du dévouement et de la confiance que ses partisans politiques ont en lui personnellement». L’aspect «personnaliste» est central ici, en ce sens que le dirigeant, qu’il soit déjà élu ou qu’il cherche à être élu, aborde directement la question avec l’ensemble des sympathisants, au lieu de passer par les structures organisationnelles intermédiaires.
Le plébiscitarisme a donc un caractère très descendant et sans intermédiaire, et les adeptes ont l’impression d’un lien direct et personnel avec le chef (Roger Eatwell & Matthew Goodwin). Les liens sont des liens interactifs entre deux unités (Lawson, 1980). Plus précisément, ils constituent le moyen par lequel les acteurs politiques et les adhérents et sympathisants «échangent soutien et influence.» Même s’ils peuvent prendre et prennent la forme d’institutions organisationnelles, les liens sont plus souvent informels. Les populistes affaiblissent souvent les structures partisanes pour maintenir le contact direct et interactif avec le « peuple pur «. Les populistes n’aiment guère le leadership collectif qui implique le partage large des responsabilités et des décisions, la responsabilisation et l’engagement authentiques, dans lequel tout le monde peut et doit diriger. Les débats intellectuels et théoriques internes sont indésirables, superflus ou inappropriés. La participation des membres du parti se cantonne à l’acclamation (Jan-Werner Müller).
En plus d’être antiélitistes et plébiscitaires, les populistes sont toujours anti-pluralistes : les populistes prétendent qu’eux seuls représentent le peuple. Ils se considèrent comme l’«unique et authentique» volonté du peuple.
Si le populisme est associé avec l’extrême droite en Europe et les néoconservateurs aux Etats Unies, dans le monde arabe, le populisme se ressource dans le moralisme islamiste et le pan-arabisme.
Le populisme est le fruit amer d’un ensemble de quatre changements sociétaux profondément enracinés qui suscitent l’inquiétude croissante de larges franges de la société et auxquels la gauche n’a pas pu leur concevoir une réponse proprement politique à travers une coalition des forces progressistes qui devrait fédérer l’ensemble des luttes démocratiques pour imposer une alternative politique viable, réaliste et progressiste.
-Le premier changement se manifeste dans l’effritement des liens entre les partis parlementaires classiques, « incluant les syndicats et les nombreuses associations «faiseurs d’opinions», et les différentes couches de la société, ou ce que d’aucuns appellent le désalignement politique et partisan : beaucoup de gens se sentent que les partis n’expriment plus leurs intérêts et aspirations. Les liens se rompent et le taux d’abstention augmente. Ce désalignement rend «les partis politiques beaucoup plus volatils, fragmentés et imprévisibles et la politique plus chaotique, moins crédible et inefficace, se contentant de tourner autour du pot néolibéral de manière pathétique.
Cela est dû, essentiellement, au fait que les partis parlementaires, toutes tendances confondues, ont accepté de mettre en œuvre tout un ensemble de pratiques économiques et politiques néolibérales visant à «imposer la loi du marché – dérégulation, privatisation, austérité fiscale – et à limiter le rôle protecteur de l’État à la préservation des droits de propriété privée, du libre marché et du libre-échange». Les conséquences directes de l’application de ces mesures se sont révélées dans la réduction de la marge de manœuvre des partis politiques dans la définition et la mise en place de politiques sociales cohérentes, viables et efficientes et l’entrée automatique de larges couches de la société dans une dynamique de paupérisation et de précarisation, notamment la classe moyenne qui , issue de «l’accumulation par élargissement du salariat dans le secteur public, l’industrie et l’agriculture», est maintenant victime de ce que David Harvey a appelé «l’accumulation par dépossession».Tout cela a fait naître ce nouvel état de fait :comme le disait Tony Blair : «Il ne s’agit pas de choisir entre une politique économique de gauche et une politique économique de droite, mais entre une bonne et une mauvaise politique économique». La mondialisation néolibérale semble être le destin auquel nous devons seulement consentir, et les questions politiques de simples problèmes techniques à soumettre à des experts. Les citoyens se voient ainsi privés de la possibilité de choisir parmi différents projets politiques, leur rôle se limitant à approuver les mesures «rationnelles» élaborées par ces experts. (Mouffle Chantal).
Ce qui a exacerbé la méfiance à l’égard des politiciens et des institutions et a incité un grand nombre de citoyens à penser qu’ils n’ont plus voix au chapitre dans leurs conversations nationales. Qui plus est, La dimension culturelle de la mondialisation apparemment irréversible suscite de vives craintes quant à la possible destruction de l’identité historique et des modes de vie établis du groupe national. Aujourd’hui, l’identité est remodelée par les forces du marché; elle est conférée à l’individu – l’individu qui réussit financièrement se voit attribuer une identité et une validité garantie .Une personne est identifiée ou étiquetée comme étant défectueuse si elle manque spécifiquement de l’ambition ou des moyens de réussir sur le plan financier.(Scott A. Sandage, 2005). Ce qui inciterait certains à rechercher leur émancipation et autonomisation par le biais de politiques identitaires. Les individus construisent, renforcent et prêtent allégeance aux identités en tant que mécanisme d’adaptation, dont certains se manifestent dans des mouvements d’identité violents (M Wrenn). En outre, la manière dont la richesse mondiale créée se retrouve dans les poches des plus riches de la planète qui représentent 1%, suivie par des injustices et exclusions sociales et spatiales déchaîne de vives sentiments de ce que les psychologues appellent une privation relative en raison de ces inégalités croissantes de revenus et de richesses et d’une perte de confiance en un avenir meilleur. Bien que de nombreuses personnes qui soutiennent le populisme aient un emploi et vivent avec des revenus moyens ou supérieurs à la moyenne, la transformation économique des sociétés a engendré un fort sentiment de «privation» relative (Jonah Goldberg).
En outre, L’université qui a joué un rôle fondamental en stimulant, affinant et confortant les compétences de l’analyse, l’esprit critique (l’esprit de questionner et se questionner) et le raisonnement de ses étudiants pour qu’ils fassent montre de courage civique, de citoyenneté engagée et de responsabilité sociale s’est maintenant professionnalisée d’une manière effrénée pour décliner sous le poids des couches managériales et technocratiques si essentielles au fonctionnement des entreprises économiques modernes dominées par l’américanisation des modèles d’organisation et de management.
Ainsi, les vraies connaissances citoyennes critiques ont-ils été annulées au profit d’une obéissance aveugle aux fausses idoles du marché, du consumérisme et de la cupidité. Tous ces facteurs ont ouvert toutes grandes les portes et fenêtres de l’enfer : inégalités croissantes, solidarité abaissante, chômage à la hausse, corruption largement répandue et égoïsme, nihilisme et cynisme toujours montants à tous les niveaux de la société.
Dans ce contexte hasardeux, le populisme lance son appel de «nous le peuple pur» contre «eux, les élites corrompues). Canovan (2002), avec un certain nombre d’érudits, soutient que le message central du populisme est que la politique a échappé au contrôle populaire et que les citoyens «ont été exclus du pouvoir par des politiciens corrompus et une élite non représentative». Cet argument n’est cependant pas le domaine exclusif des populistes. D’autres peuvent utiliser et utilisent des versions d’appels anti-Establishment ou anti-tahakom (hégémonisme).
Dans une interview accordée au journal Le Monde du10 août 2018, intitulé» Comment combattre le populisme ? Le politologue allemand Jan-Werner Müller affirme que le populisme constitue un danger pour la démocratie. «Au pouvoir, les populistes gouvernent conformément à la logique de ce mouvement : eux et eux seuls représentent le vrai peuple ; en conséquence, il ne saurait exister à leurs yeux d’opposition légitime. Il s’ensuit que les populistes accaparent l’appareil d’État, affaiblissent ou même suppriment tous les instruments de contre-pouvoir. Ils cherchent à discréditer toute opposition, que ce soit au sein de la société civile ou dans les médias».
La conjoncture actuelle offre aux forces de la gauche une opportunité d’or pour transformer ce moment populiste en un mouvement progressiste et égalitaire qui puise son inspiration d’un héritage riche et vaste de luttes et sacrifices, en mobilisant les affects populaires et en créant «une volonté collective d’approfondissement des idéaux démocratiques».
Beniaich Mohamed