Le PDG d’Orascom Développement, groupe en charge de l’aménagement de la station balnéaire de Oued Chbika tape encore une fois du poing sur la table. Or cela fait 12 ans que son entreprise s’enlise dans ce projet d’envergure qui était censé donner un réel coup d’accélérateur au développement touristique dans les Provinces du Sud, et dont la première phase aurait dû être livrée en 2015.
La sortie médiatique du tycoon égyptien SamihSawiris, PDG de Orascom, sur le premier quotidien économique du royaume le 6 décembre dernier n’a pas manqué d’attirer l’attention des professionnels du tourisme et du microcosme des affaires. Et pour cause, son groupe en charge de l’aménagement et du développement de Oued Chbikafait quasiment du sur place depuis la signature de la convention d’investissement avec l’État en 2007.
Alors que la station devait être livrée en 2015, rien ou presque n’a bougé depuis le premier coup de pioche en 2010.Voici ce qui a été convenu en 2007.La station de Oued Chbika, qui devait s’étendre sur un total de 1500 ha, devait connaître une première phase de développement sur 500 ha. À la clé, 8 hôtels totalisant une capacité de 5.000 lits, 2.000 unités résidentielles ainsi que des infrastructures sportives et de loisirs (centre de congrès, musée, golf, marina, un quartier dédié à l’artisanat, des commerces et restaurants, un centre de congrès, une médina, un centre de fitness, un spa, un cinéma, un village du personneletc.), le tout devant drainer quelques 2500 emplois. Coût de l’investissement : 6 milliards de DH. Le premier hôtel devait ouvrir ses portes en 2012.
Du lobbying pour préserver les terrains?
Située à 50 km au sud de Tan Tan, Oued Chbika aurait comme qui dirait la «chkoumoun». Les travaux qui devaient démarrer fin 2007, n’ont finalement démarré qu’en 2010. Sawiris avance comme argument face à ce premier retard, les lourdeurs procédurales. Soit. Depuis, et comme à chacune de ses sorties médiatiques au Maroc, en moyenne tous les 2 ans, (2012, 2014, 2016, …), il invoque tout à tour la crise financière de 2008 qui a rendu les banques plus frileuses quant au financement de ce genre de projet , et puis le Printemps Arabe.
Ce sont là des arguments qu’il ressort non seulement à chacune de ses interventions, et ce n’est pas pour autant qu’ils soient à mettre en doute, mais dont il se sert aussi à chaque fois que l’un de ses projets enregistrent du retard. Il suffit de faire une revue de presse à l’international pour se rendre compte que ce sont les mêmes arguments, aux mots près parfois, qui sont utilisés tant le discours de ce communicant hors pair est rodé. D’ailleurs, même les propos qu’il vient de tenir sur les colonnes de l’Economiste la semaine dernière concernant l’investissement dans les pays en développement comparativement aux pays développés sont en tous points identiques à ceux tenus au média suisse swissinfo.ch
dans son édition du 11 septembre dernier. «Dans d’autres pays, si un ministre change, vous avez une nouvelle atmosphère, si le gouvernement change, vous avez de nouvelles conditions. On y respecte moins ce qui a été convenu. D’une certaine façon, en investissant dans ces pays vous prenez plus de risques, mais vos rendements sont plus élevés et il y a plus de flexibilité», avait-il déclaré.
Mais là n’est pas le problème, d’autant plus que cela démontre une cohérence certaine de la logique de l’homme d’affaires avec ses propos. Ce qui est surprenant cette fois-ci dans sa dernière sortie médiatique c’est qu’il annonce un nouveau partenariat avec le TO allemand FYI. Un partenariat qui est une nouvelle fois censé donner un coup de fouet à ce fameux projet et marquer son véritable démarrage.
Sauf qu’il y a 2 ans, encore une fois lors d’une sortie médiatique tonitruante dans les colonnes de la presse nationale il avait déjà évoqué ce même partenariat : «Nous avons des problèmes de financement sur ce projet parce que les banques ont encore beaucoup de frilosité à cause de la crise financière. Le secteur touristique a été impacté par cette crise. Cela fait que jusqu’à maintenant, les grands projets dans ce secteur ne donnent pas forcément de l’appétit aux banquiers. Et c’est là la plus grande difficulté pour nous. Mais, avec le partenariat avec le groupe Atlas Hospitality Morocco et le groupe FTI, je pense que les choses vont s’accélérer concernant le projet de Chbika», avait-il annoncé. Surtout que 2 ans auparavant, il avait acquis 30% de de fameux TO avec lequel aujourd’hui il annonce un nouveau contrat aux côtés de partenaires hôteliers marocains. «En d’autres termes, il n’y a rien de neuf sous les tropiques, si ce n’est que Samih Sawiris veut s’assurer que sa convention avec l’Etat demeure valable, puisqu’au bout de 5 ans et en cas de non concrétisation des projets, le Maroc est en droit de récupérer les terrains concédés dans ce cadre», admet un fin observateur du secteur. Avant d’ajouter, «mais avec le nombre de désistement et autres déconvenues qu’ont enregistré les réalisations des projets dans nos stations balnéaires, je ne pense pas qu’il court un grand risque».
Thomas Cook dans l’escarcelle de Sawiris
En tous cas, Samih Sawiris ainsi que sa famille semble être les bienvenus au Maroc. En marge de l’EU-Africa Business Summit organisé par l’OCP les 28 et 29 novembre dernier, son frère Naguib Sawiris (PDG de Orascom –Telecom-) y a été aperçu.
Quant à Samih Sawiris, il a été récompensé en février dernier à Marrakech lors du FIHA, le Forum de l’investissement hôtelier en Afrique. Il reste une figure emblématique selon les professionnels, pour l’impact qu’il a eu sur le secteur immobilier, la vision de ses projets et son intérêt pour le développement durable. Mais aussi, moins connu, son intérêt pour le logement social en Afrique subsaharienne. Il faut dire aussi que El Gouna, le projet pharaonique de l’homme d’affaires milliardaire en Egypte, parle pour lui : 36,92 km mètres carrés, dont 17 hôtels et une gamme de propriétés résidentielles.Et il étend actuellement ses projets en Égypte, en Suisse (cf encadré), à Oman, au Monténégro, aux Émirats arabes unis, ainsi qu’ au Royaume-Uni.
Sa venue au Maroc est sans doute motivée aussi par la nomination de la nouvelle ministre du Tourisme, Nadia Fettah. Peut-être parviendront-ils enfin mettre Oued Chbika, qui a consommé pas moins de 5 ministres du Tourisme, sur les rails.
Une chose est sûre. Samih Sawiris n’est pas tout à fait en position de faiblesse bien qu’il n’ait pas réussi à faire sortir de terre ce projet. D’autant plus, qu’il est sensiblement initié au milieu des affaires locales étant donné qu’il était en 2009 actionnaire de Mutandis, la holding d’investissement de l’ancien ministre du Tourisme Adil Douiri.
Aujourd’hui, il est non seulement actionnaire du TO allemand FYI à hauteur de 30%, considéré comme l’un des plus grands voyagistes allemands. Mais il vient aussi de se porter acquéreur de Thomas Cooke, qui avant sa débâcle annoncée, il y a à peine quelques semaines, était un partenaire de choix pour de nombreux hôteliers du royaume. Même si l’acquisition annoncée il y a quelques jours ne portent que sur la filiale allemande de Thomas Cook, il n’en reste pas moins qu’elle vaut son pesant d’or.
Andermatt : la success story suisse de Samih Sawiris
Il faut avouer que ce petit village suisse a connu une réelle renaissance grâce à Samih Sawiris. Et la presse helvétique ne tarit pas d’éloges à son égard. Pas plus tard qu’en juin dernier la semaine, lors de l’inauguration d’une salle de concert, qu’il a bien évidement construite à Andermatt donc, près de Zurich, des articles aussi dithyrambiques les uns que les autres ont fleuri ici et là.
Passionné d’art et de musique, l’homme d’affaires égyptien a convié rien de moins que le Philharmonique de Berlinpour ouvrir le bal de cette salle de concert modulable de 700 places. Des centaines de VIP, clients potentiels de la station, ont été invités par le milliardaire pour l’occasion.
L’ouvrage de 10 millions d’euros est signé par l’architecte Christina Seilern (Performing Art Centers de Leicester et du Wellington College, future salle de concert d’El Gouna). L’acoustique a été confiée au cabinet Nagata (Philharmonies de Hambourg et de Paris , auditorium de Radio-France. ..).
L’histoire de SamihSawiris avec Andermatt commence en 2005, quasiment au même moment qu’avec Oued Chbika au Maroc, lorsque le gouvernement du Canton d’Uri l’ a sollicité pour reconvertir ce village alpin, ex-base militaire sinistrée, et y faire du développement touristique.S’il est vrai que la crise financière a retardé le projet, et que le printemps arabe est venu lui aussi mettre son grain de sel, il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui un palace 5 étoiles -Le Chedi, qui a ouvert ses portes en 2013 -, un hôtel Radisson, des résidences avec services hôteliers, un golf 18 trous ainsi qu’un centre des congrès font les beaux jours de la station , le tout autour du plus grand domaine skiable de Suisse centrale. Aussi, plus de 150 appartements ont déjà été vendus 2 à 3 millions d’euros pièce.L’auditorium récemment inaugurée vient fait de Andermatt une destination où la musique devient le produit d’appel. Positionnement idéal pour séduire une clientèle aisée. Une recette déjà éprouvée par Sawiris avec l’art contemporain à El Gouna. Outre une programmation à l’année, Andermatt abrite un festival décliné au printemps, en été et à l’automne, pour un budget global de 3,15 millions de francs suisses. Ce sont les fondateurs du New Generation Festival de Florence en Italie qui sont à la manœuvre, et leur spécificité est de renouveler le public de la musique classique en mélangeant les genres. Samih Sawiris ne fait vraisemblablement pas les choses à moitié…
Soumayya Douieb